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Presse socialiste italienne avant 1880

lundi 28 décembre 2020, par René Merle

Un article de Gnocchi Viani dans le premier numéro de la Revue socialiste (janvier 1880)

Cf. : Benoît Malon, Revue socialiste n°1, 20 janvier 1880

Un regard sur la presse révolutionnaire italienne, Gnochi Viani, 1880

Il est intéressant de rencontrer dans la premier numéro de la Revue socialiste de Malon ((20 janvier 1880)), une des figures marquantes du mouvement révolutionnaire italien, qui dans les années 1870 a bouillonné entre les deux tendances de l’Internationale, collectivisme anarchiste et collectivisme plus ou moins marxiste. Malon, qui au début de son exil après la Commune, avait été très proche de la Fédération jurassienne bakouniniste, s’était progressivement rallié, en partie, aux thèses marxistes. Il accueille ici un ami qu’il avait bien connu dans son exil en Italie : Osvaldo Gnocchi Viani, (1837).
Journaliste initialement démocrate mazzinien, Gnocchi Viani avait suivi Garibaldi en France en 1870, puis adhéré à l’Internationale. En 1872, il avait fondé la " Lega operaia di arti e mestieri". Rédacteur en chef de la Plèbe, il avait tiré la leçon des échecs des courageux coups de mains insurrectionnels anarchistes, en s’orientant vers l’organisation d’un parti ouvrier vraiment ancré dans le prolétariat italien, et à même de mener la lutte de classe. Volontairement factuel, et seulement factuel, il dresse ici un rapide bilan de l’expérience des années 1870 en matière de presse internationaliste.

Voici l’article de Gnocchi Viani :

« Le socialisme a-t-il une littérature en Italie ?
L’Italie n’a que la littérature socialiste qui est naturellement le produit de la vie économique et il n’en peut être autrement. Les phases et les formes socialistes littéraires trouvent toujours leur explication historique naturelle dans les phases précédentes et dans les conditions économiques et politiques des peuples chez lesquels elles se révèlent.
Si l’on voulait remonter aux origines des aspirations et des idées socialistes, on se perdrait dans les ténèbres de l’histoire la plus lointaine et l’on pourrait répéter la phrase connue : le socialisme est né avec l’homme, cela par la simple raison qu’avec l’homme sont tout naturellement nés les rapports sociaux. Etant donné ces rapports entre hommes qui ont un esprit pour concevoir des idées et des moyens naturels ou artificiels pour les exprimer et les publier, il en résulte logiquement une littérature qui changera de forme et de mode, en même temps que changeront de forme et de nature les rapports sociaux. Si donc on voulait remonter aux temps les plus reculés, on trouverait des formes littéraires correspondant aux institutions de leur époque.
Mais ce n’est pas de cette étude que nous voulons nous occuper, les limites de la Revue socialiste ne le permettraient pas, d’ailleurs.
Désireux de vivre le plus près possible de cet avenir de justice que le socialisme annonce, nous voulons voir ce que nous sommes et ce que nous valons dans l’ordre des manifestations littéraires socialistes modernes
La modernité socialiste italienne date de l’Essai sur la Révolution (Saggio sulla Revoluzione) de Charles Pisacane, nom que le mouvement insurrectionnel de 1857 contre les Bourbons de Naples a rendu si populaire.
Pisacane fut socialiste anarchiste ; son anarchisme émanait d’un esprit puissant et exalté qui se heurtait contre l’implacable autoritarisme qui écrasait et morcelait l’Italie. Cet anarchisme n’était pas le produit d’un milieu homogène le secondant, mais la conséquence provoquée par un milieu antipathique et irritant. Par cette raison, l’audacieux penseur resta solitaire, ne fonda pas d’école, et après lui pesèrent sur la littérature socialiste, en Italie, huit années d’un silence froid comme la tombe.
Ce silence prit fin à Florence en 1865, quand parut un journal socialiste intitulé Il Proletario et dirigé par Nicolo Lo Savio. Mais aucun lien de tradition ne liait la rédaction du Proletario aux idées anarchistes révolutionnaires émises précédemment par Pisacane.
Le journal florentin était simplement mutuelliste néanmoins le Proletario aussi ne fut qu’une voix solitaire et, manquant d’un milieu vivifiant, il mourut aussitôt.
La série des journaux de combat ne commença que quelques années plus tard, quand Bakounine vint séjourner en Italie. Alors parut à Naples le journal Libertà e Giustizia, anarchiste-révolutionnaire, dans le sens de Pisacane [1] ; mais, dans l’ordre économique, les rédacteurs de Libertà e Giustizia étaient plus socialistes que Pisacane même.
Les persécutions gouvernementales contre la presse socialiste datent de cette époque (1867-1869). Libertà e Giustizia ayant été tué par le gouvernement, l’Uguaglianza parut avec le même programme.
Avec ces journaux, le socialisme théorique avait fait une telle brèche dans l’opinion publique qu’on pouvait prévoir la fondation d’autres journaux socialistes et l’entrée en scène de nombreux socialistes militants levés contre l’ordre bourgeois récemment inauguré en Italie. Comme pour hâter cette invasion éclata la mémorable révolution parisienne de la Commune. Ce grand fait historique se répercuta en Italie comme une secousse électrique et cette secousse, malgré les efforts rétrogrades de Mazzini et des mazziniens, détermina l’efflorescence socialiste en Italie.
Les journaux du nouveau parti naquirent par dizaines. Le mouvement communaliste répondait à des aspirations ou assoupies ou mal définies, et il impressionna vivement des milliers d’ouvriers et de jeunes bourgeois que l’éducation dominante n’avait pas encore gâtés et qui, par des circonstances spéciales et par caractère propre, n’étant pas portés aux longues et patientes méditations, se jetèrent dans l’arène du journalisme qui répondait mieux à leurs aspirations sentimentales. L’arme violente du journal répond mieux, en effet, aux explosions belliqueuses du sentiment, que le pesant instrument du livre scientifique.
De l’époque de la Commune à nos jours, plus de trente journaux ont successivement paru dans les diverses villes d’Italie avec assez de richesse d’inspiration pour embrasser dans leur orbite littéraire toutes les diverses tendances du socialisme des anciens théoriciens français et de Marx et de Engels à Herzen et Bakounine. Ce fut une vraie bataille sur toute la ligne. Aucune aspiration ne resta cachée ; tout ce qui pouvait sortir d’innovation de cœurs bouillants d’impatience, fut exprimé et fut jeté tantôt comme un élément de discussion et tantôt comme un défi à l’ordre régnant. Il est superflu de dire que le pouvoir, appuyé par la classe dominante qu’il représente, fit un véritable massacre de ces journaux ; mais si aujourd’hui l’un était tué, demain un autre naissait. Actuellement, le socialisme compte en Italie quatre organes qui directement et franchement affrontent, avec des vues radicales, les questions de la religion, de la propriété, de la famille et de l’Etat. Ce sont : la Plèbe de Milan (qui a survécu à tous les massacres précédents), L’Atéo de Livourne, il Movimento socialista de Naples et la Nuova Favilla [étincelle] de Mantoue. Et ce ne sont plus des voix solitaires ; un milieu sympathique adopte leurs revendications ; ce milieu, pour ne parler que du mouvement journaliste, est surtout formé par un groupe d’autres journaux politiques et non politiques qui ne combattent plus le socialisme, mais le discutent, lui font bon visage et l’infiltrent dans la littérature proprement dite, lui ouvrant ainsi le chemin de l’Art. "
Gnocchi Viani donne ensuite quelques indications sur les revues et journaux "bourgeois" qui, à l’occasion, ne sont pas insensibles aux thèses socialistes.

Notes

[1Note de l’auteur : Parmi les rédacteurs de Libertà e Giustizia était Fanelli, ancien disciple de Pisacane, devenu le lieutenant de Bakounine en Italie. Ainsi le socialisme anrachiste ne fut pas en Italie une importation russe mais la reprise d’une tradition italienne – La Rédaction

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