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Toulon, rue d’Alger… et Algérie

jeudi 26 décembre 2019, par René Merle

De Barberousse à la conquête de l’Algérie, et de la conquête à la libération de Toulon


La flotte de Barberousse à Toulon, miniature ottomane du temps (Matrakçi Nasuh), palais de Topkapi, Istanbul.

Sinon pour raisons médicales, j’emprunte désormais rarement la rue d’Alger, qui fut, jusqu’à l’implantation à proximité d’un énorme complexe commercial, "LA" rue du centre de Toulon, celle que la jeunesse arpentait, celle que les clients de ses commerces serrés remplissaient... Elle est un peu vide aujourdh’ui, un peu délaissée, dans sa descente directe vers le port... et l’Algérie...
Mais au fait, pourquoi rue d’Alger ? Au lendemain de la chute du Second Empire, le maire républicain et radical [1870-1874] Vincent Allègre l’expliqua sans le moindre état d’âme anticolonialiste [1], bien au contraire :
« Considérant que Toulon a été la dernière étape de l’armée qui a fait la conquête d’Alger ; et que la rue des Chaudronniers a été l’une des voies par lesquelles l’armée expéditionnaire se rendit au point d’embarquement [2] ;
Considérant enfin qu’une rue de la capitale de notre grande colonie d’Afrique a reçu le nom de rue de Toulon, et que la dénomination de rue d’Alger, appliquée à l’une des rues de notre ville, sera un acte de gracieuse réciprocité ;
Arrêtons :
Le nom de la rue des Chaudronniers sera remplacée par celui d’Alger.
Fait à Toulon, en l’hôtel de ville, le 14 avril 1871.
V. Allègre. [3]
.
La rue avait été longtemps en effet celle des chaudronniers et des serruriers, et d’une certaine manière cela me concerne, puisque mon ancêtre Merle, serrurier dans le nord du Vaucluse, y vint en 1830, alors que la préparation de l’expédition... d’Alger attirait à l’Arsenal une main d’œuvre d’ouvriers spécialisés venus des quatre coins de France. Jusqu’à ce que, le 24 mai 1830, une énorme armada quitte la rade pour aller "châtier les Barbaresques" algérois... (J’ai expliqué par ailleurs les motivations réelles de cette entreprise).
Ironie de l’Histoire, trois siècles auparavant, les Barbaresques algérois avaient investi Toulon. Oh, très pacifiquement - rien à voir avec le raid sarrasin qui avait mis à sac la petite ville en 1178 -. Non, le 14 octobre 1543, les deux cents galères du corsaire algérois Barberousse (Baba-Oruç), amiral de la flotte ottomane étaient les invitées du très chrétien Roi de France, que Barberousse assistait dans sa lutte contre la maison de Savoie (Nice la savoyarde en sut quelque chose). Les Toulonnais furent proprement invités à quitter la ville, qui demeura pendant quelques mois peuplée par les milliers de guerriers et rameurs de Barberousse, (c’est une des clés de mon petit roman noir, Opération Barberousse.
N’imaginez cependant pas nos Barbaresques arpentant la rue d’Alger. Sur son emplacement courait un large fossé de défense couvrant le flanc Ouest de la petite ville.
Et le fossé ne fut comblé qu’en 1589. D’où le premier nom de la future rue des Chaudronniers : "rue des Vieux Fossés".
C’est cette rue qu’emprunta le Président de la République, Gaston Doumergue, avant de monter sur le croiseur Duquesne (3 mai 1930) et de faire route vers Alger, où il allait célébrer le centenaire de la conquête [4]...
Pouvait-il se douter que quatorze ans après, après de durs combats, sous le commandement du général de Lattre de Tassigny, aux côtés notamment des Commandos de choc, des tirailleurs sénégalais du Colonel Salan, des F.F.I locaux, les tirailleurs algériens du Colonel de Linarès libéreraient Toulon (27 août 1944), 12 jours après le débarquement... Ainsi, à nouveau des combattants arabes et berbères se retrouvèrent à Toulon, et cette fois défilèrent dans la rue d’Alger...
Et ces combattants pouvaient-ils se douter de ce qui allait se nouer en Algérie dix ans plus tard, et dont le souvenir douloureux est encore au cœur de dizaines de milliers d’habitants de l’agglomération toulonnaise, anciens militaires et Français d’Algérie au premier chef ?
Depuis, les rues ouvrières (l’Arsenal est à deux pas) des deux côtés de la rue d’Alger ont vu leur population radicalement changer avec l’afflux considérable de migrants maghrébins qui suivit les indépendances algérienne et tunisienne, et la politique du rapprochement familial... C’est dans une de ces rues (rue de Pomet) qu’en 1982 le futur "patron" du populaire Rugby Club toulonnais (éclatante revanche sur le racisme ambiant, souvent affirmé par les fils ou petits fils d’autres immigrants !), Mourad Boudjellal [1960] ouvre sa petite librairie de bandes dessinées, première étape d’une ascension éditoriale impressionnante...
Ainsi, en tirant le fil de l’odonyme (celui-là, il fallait le placer), peut-on éclairer un passé, et un présent, en apparence contradictoires, mais qui marquent combien fut et demeure prégnant ce face à face (interface ?) des deux rives de la Méditerranée...

Notes

[1Avec le retour de la République aux républicains, Allègre sera d’ailleurs l’énergique gouverneur républicain... et anticlérical, de la Martinique

[3Octave Teissier, Chroniques toulonnaises, Toulon, 1872

[4Sur le climat de ce centième anniversaire, cf. : La presse française et le 100e anniversaire de la conquête de l’Algérie et plus largement la rubrique Algérie.

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