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Barrès, les pauvres et la paix sociale

lundi 28 décembre 2020, par René Merle

Un regard sur « Les Déracinés »


J’ai traité plusieurs fois sur ce blog du maître à penser de la droite nationaliste française Barrès (Voir le mot-clé). J’y reviens aujourd’hui à propos d’une phrase abondamment présentée, sans autre explication, dans les dictionnaires de citation. « Que les pauvres aient le sentiment de leur impuissance, voilà une condition première de la paix sociale ».
En 1897, Barrès (1862) publie Les Déracinés [1] : l’histoire de sept jeunes Lorrains venant étudier dans un Paris qui les fascine. Deux d’entre eux, Racadot et Mouchefrin, d’origine modeste, vivent dans une extrême pauvreté, en tristes représentants de ce « prolétariat de bacheliers et de filles », comme l’écrit Barrès. Ils « n’ont pour seule préoccupation que d’avoir l’argent nécessaire pour ne pas mourir affamés, quel qu’en soit le moyen ».
Et le moyen apparaît dans le chapitre VI, où les deux jeunes gens assassinent la belle, riche et cosmopolite Astiné Aravian pour la dépouiller de ses bijoux. Barrès, estime que « le coup des paysans Racadot et Mouchefrin ajoute un épisode banal à l’éternelle Jacquerie »,
Pour autant, il n’y a dans ce constat aucune indulgence envers les assassins :
« Mais bien qu’on en sente le déterminisme, leur conduite n’est pas en harmonie avec les façons de voir des gens normaux elle offense les lois de la société civile et les lois instinctives un tel acte doit entraîner la suppression de ses auteurs ».

Et il présente ainsi la fuite forcenée de Racadot après le crime :
« S’il croisa douze gardiens de la paix avant de rentrer dans sa tanière, quelques observateurs, considérant cet homme dans la vigueur de l’âge, et qui n’est pas intéressé à la bonne organisation de la collectivité, jugeront que le budget de la police n’est pas encore assez élevé. Vraiment aucune force armée n’y peut suffire : un garçon qui a de l’audace et qui ne raisonne pas le rapport des moyens avec leurs conséquences, des efforts avec les obstacles, c’est tout ce qu’il y a de plus dangereux. Que les pauvres aient le sentiment de leur impuissance, voilà une condition première de la paix sociale ».

Si, vingt six ans après l’écrasement de la Commune, l’on file la métaphore, - en passant du cas particulier de la brute inconsciente Racadot au cas collectif du prolétariat qui baigne dans la pauvreté -, il est clair que Barrès mise sur une éducation précoce qui émasculerait les pauvres de toute tentation de révolte (qui ne peut qu’être criminelle à l’égard de l’ordre établi).
À cet égard, dans le fameux diptyque du sabre et du goupillon, Barrès commencera par privilégier l’Ordre établi par la force, et le prolongera plus tard d’un recours à la religion.

Notes

[1Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle Éditeur

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