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Hong Kong et Victor Hugo

lundi 28 décembre 2020, par René Merle

De l’identité française et du regard extérieur sur la France

Au vu des titres des dépêches d’agences, je me suis dit ; la France des Droits de l’Homme a encore frappé, car les protestataires de Hong Kong se réclament de Victor Hugo ! Bon, j’ai quelque peu déchanté en regardant les détails : la chanson qu’entonnent les manifestants, « Do you hear the people sing ? » est tirée de la comédie musicale les Misérables, (adaptation du roman fleuve de Victor Hugo), créé en 1980 et mondialement, diffusée dans sa version anglosaxonne, et bientôt connue sous le nom de « les Miz » ! En France, la chanson fut connue grâce au très révolutionnaire Michel Sardou…
Cette chanson « d’un peuple qui ne sera pas esclave à nouveau » est depuis quelque temps une sorte de best-seller protestataire : les récentes manifestations européennes anti TTIP et anti CETA en ont témoigné.
Mais bon, la France et Victor Hugo dans tout cela ?
J’ai pourtant, il y a bien longtemps, vérifié que le message démocratique de Hugo et d’une certaine France était bien vivant.
A ce propos, je reviens avec plaisir sur des souvenirs qu’il m’est déjà arrivé d’évoquer dans mon blog précédent. Quid du sentiment d’être français ? Et surtout quid du sentiment que les non Français peuvent porter sur nous ?
Il est vrai qu’à l’étranger comme on dit, étranger plus ou moins lointain, quand ma qualité (?) de Français se révélait, on me parlait plutôt de Platini (jadis) puis de Zidane, que d’histoire, de philosophie ou de politique...
Mais reviennent quand même d’autres souvenirs...
C’était à Lahore, il y a bien longtemps (1966), dans un Pakistan tout aussi dictatorial et inquiétant qu’aujourd’hui. Nous allions en Inde en voiture, et nous faisions étape à Lahore. La nuit était très vite tombée. Nous étions attablés dans un marché, musique, parfums, exotisme garanti sous les chapelets d’ampoules nues. Un jeune homme qui nous entendait parler s’était approché timidement, un étudiant, qui dans un français approximatif nous avait parlé de la France : Victor Hugo, les droits de l’Homme... Ah, vous voyez, me direz-vous, que cette lumière démocratique pouvait prendre sens dans un régime étouffant, et j’en conviens bien volontiers.
Autre souvenir. Espagne. Catalogne. Le guide touristique qui accompagne la Bible dans la table de nuit de l’hôtel parle d’Histoire, et de l’Envahisseur. : l’Invasor, l’Envahisseur, de Charlemagne à Napoléon et à Louis XVIII, c’est celui qui vient de l’autre côté des Pyrénées les armes à la main, c’est le Français... (d’aucuns regrettent cependant qu’il ne soit pas intervenu en 1936...)
Autre souvenir, un drapeau venu de France dans une vitrine du siège national du parti communiste italien, à Rome, via delle Botteghe oscure : ce n’est pas le drapeau tricolore, c’est un drapeau rouge de la Commune de Paris...
Autre souvenir, Rapa Nui (île de Paques)... Un jeune qui me dit (en espagnol) : "si nous ne pouvons pas nous libérer du Chili par l’indépendance, autant être annexés à la France, c’est-à-dire à Tahiti... On y parle à peu près la même langue polynésienne, on y respire librement et vous avez mis au point un sacré système d’assistance et d’éducation"...
Autre souvenir, une discussion à propos de Napoléon avec des amis piémontais, à deux pas de Marengo où, en 1800, les soldats de Bonaparte défirent les Autrichiens. Qui voit favorablement dans Napoléon l’ennemi de l’aristocratie piémontaise et du clergé tout puissant, qui rappelle les abominables répressions des insurrections paysannes dont il se rendit coupable. On me demande mon avis. Je dis que Napoléon, à sa façon, garantissait à la bourgeoisie française les acquis de la Révolution... Réponse d’un ami : "Eh oui, vous autres Français avez fait la Révolution, nous, hélas, nous ne l’avons jamais faite..."
Autre souvenir, je travaille aux Archives nationales pour préparer mon livre sur l’enquête impériale sur les patois, lancée en 1807 [1]. Je vois défiler les réponses des préfets de tous les départements dorénavant français, taillés dans les territoires aujourd’hui belges, hollandais, allemands, suisses, italiens... France dilatée jusqu’à 130 départements... Qu’en pensaient les néo-français ?
Autre souvenir, Kabylie, années 1990, dans un village qui fut un des hauts lieux de l’insurrection de 1871 et de la guerre d’indépendance (pardon, des « événements d’Algérie »), avec tout ce que cela implique de souvenirs tragiques. Dans une boutique de bijoux kabyles, un très vieil artisan a punaisé une photo de de Gaulle et évoque sa campagne de France, en 1944... Le professeur qui est notre guide (et que les intégristes supposés assassineront bientôt) a connu la prison française à Tizi-Ouzou. Il accompagnera amicalement une collègue désireuse de se recueillir sur la tombe de ses parents, au cimetière français. Le papa était gardien à la prison...
Autre souvenir, quelques jours dans une maison d’hôtes cossue, dans le Val de Loire. La maison est tenue par des Anglais, et essentiellement fréquentée par des Britanniques. Je les entends parler du si commode aéroport de Limoges, de la facilité que l’on a en France à se faire soigner, et bien soigner, bref, que tout marche en France, etc. etc. L’hôte apporte sa plainte sur la fiscalité française, qu’il juge excessive. Chœur d’approbation british tendance Tory ou blairiste. Je me permets d’avancer que sans notre fiscalité, tout ce beau monde ne trouverait pas la France aussi agréable et aussi confortable. Silence. J’entends quelqu’un murmurer : "I love France, but I don’t like french people". Authentique.
Pourquoi dérouler tout cela à l’emporte-pièce, sinon pour retrouver dans mon souvenir quelques facettes du kaléidoscope France, en ces temps de proclamation identitaire ?

Notes

[1Cf. son texte intégral, Visions de l’idiome natal, consultable sur mon blog linguistique : Archivoc.

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