La Seyne sur Mer

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1849-1851, l’espérance républicaine rouge en Aveyron, Rozier

lundi 24 décembre 2001, par René MERLE

article publié sur le site de l’Association 1851

L’expert géomètre Auguste Rozier [Najac, 1813], fixé à Sauveterre de Rouergue, a diffusé sous la Seconde République l’idéal de la République démocratique et sociale dans la langue du peuple, par ses articles dans L’Aveyron républicain. De cette abondante publication en langue d’oc, je retiens ici une longue chanson sur l’air du traditionnel "Bèla, Sant Joan s’aprocha" (scandée par le "Guié !" festif), publiée le 19 juillet 1851. J’indique, en italique, le texte en graphie originale, graphie "patoisante" qui garantit la lecture par les paysans rouergats ; en caractères latins, le texte en graphie classique [je traduis littéralement].

Il n’est pas indifférent de lire aujourd’hui, dans notre période électorale, cette chanson de lutte. En voici quelques strophes.
Les "Rouges" de l’Aveyron, comme ceux de toute la France, ont mis leurs espoirs dans les élections de 1852, élection présidentielle et élections législatives. Et, compte tenu des progrès des Démocrates socialistes aux dernières élections partielles, la victoire est envisageable. Cette fois, en tout cas, le peuple ne doit plus se laisser tromper.
Cinquanto dous s’approtcho, / Tournaren léou bouta ; / Per ca plus d’anicrotcho / Guié ! / Nous laissen pas troumpa !
Cinquanta dos s’apròcha , / Tornarem lèu votar ; / Per cas plus d’anicròcha / Guié ! / Nos laissem pas trompar !
[Cinquante deux s’approche, / Nous retournerons bientôt voter ; / Dans ce cas plus d’anicroche / Nous ne nous laisserons pas tromper ]
Mais les conservateurs au pouvoir et le président Louis Napoléon usent de grosses ficelles démagogiques. Ils prétendent parler au nom du peuple, de l’ordre et de la sécurité :
Soun rusats coumo quatre ! / Lous tournaren pas presta, / Lou bastou per nous battre / Guié ! / Quand tournarén bouta.
 Son rusats coma quatre ! / Los tornarem pas prestar / Lou baston per nos batre / Guié ! / quand tornarem votar.
[Ils sont rusés comme quatre ! / Nous recommencerons pas à leur prêter, / Le bâton pour nous battre / Quand nous retournerons voter]
En fait, cette Droite se gorge au détriment du peuple, qu’elle estime pouvoir tromper facilement ; Rozier l’invective directement :
Boulez qué tout aboundé, / Per vaoutrès souloumen ; / Nous prenez per dé moundé / Guié ! / tout o fet innoucent !
Voletz que tot abonde, / Per vautres soulament ; / Nos prenetz per de monde / Guié ! / Tot a fet innocent !
[Vous voulez que tout abonde,/ Pour vous seulement : / Vous nous prenez pour des gens / Tout à fait niais !]
Mais l’espoir est là :
Bibo la Républiquo, / Laben, la gardaren, / Malgré touto la cliquo / Giué ! / la counsoulidaren !
Viva la Republica, / L’avem, la gardarem / Malgré tota la clica / Guié ! / la consolidarem !
[Vive la République, / Nous l’avons, nous la garderons / malgré toute la clique / Nous la consoliderons !]

On connaît la suite... Le président étranglera la République par son coup d’État du 2 décembre 1851... Rozier sera présent dans la colonne des courageux insurgés qui marchèrent sur Rodez et prirent la préfecture. Mais hélas la France ne suivit pas, et le destin de Rozier fut celui de tant de condamnés et d’exilés. Rozier mourut en 1865, sans avoir vu le retour de la République, qui, pour être démocratique à partir de 1880, n’était toujours pas sociale. Saluer la mémoire de ce vaillant n’est pas faire œuvre de collectionneur de vieux textes "patois", ni apporter sa pierre au monument des vaincus : c’est non seulement saluer la langue d’oc qui fut celle d’un peuple paysan, langue qui vit toujours, sous d’autres formes, mais c’est encore mesurer combien les luttes actuelles pour la République démocratique et sociale s’inscrivent dans un mouvement séculaire qui, malgré les défaites provisoires, devra triompher.
Sur Rozier, on lira de Jean-Paul Damaggio : "Auguste Rozier chanteur révolutionnaire"
Rozier

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