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Félibrige 1866

mercredi 20 mai 2020, par René MERLE


Depuis sa naissance en 1854, parallèlement à l’entreprise qui se voulait au départ populaire de son Armana, puis à l’organisation du mouvement aux plans locaux et régionaux, le Félibrige a misé principalement sur une renaissance littéraire pour défendre et promouvoir la langue d’Oc.
Cette floraison de publications offrit évidemment de belles réussites, à côté de textes plus quelconques ; la plus belle des réussites étant sans conteste celle de Mistral, dont la réputation nationale fut assurée dès 1859 avec la publication de Mirèio.
Pour autant, Mistral le poète était aussi Mistral l’idéologue.
Dans un article récent, j’évoquais sa prise de position "nationaliste" provençale, au sens large, (avant le "tournant" nationaliste français et conservateur clérical, effectué lors de la crise nationale de 1870-1871) : nationalisme provençal tout verbal (mais qui lui valut de violentes critiques, y compris de la part des siens, comme celle d’Eugène Garcin, un des premiers félibres [1]. Et, à l’impuissance de ce nationalisme sans
retombées concrètes, j’opposais l’affirmation de l’aspiration nationalitaire catalane.
La photographie présentée en tête de cet article est fort intéressante à cet égard. Nous sommes en 1866. Mistral termine l’écriture de son second grand poème, Calendau (Calendal). Autour du Maître [4], l’air inspiré dans la pose, sont regroupés quatre des six compagnons avec lesquels il avait fondé le Félibrige en 1854 : Théodore Aubanel [3], Jean Brunet [5], Anselme Mathieu [9], Joseph Roumanille [13], auxquels se sont joints d’autres auteurs et félibres : leur aîné Antoine Crousillat, de Salon [10], l’Irlandais (mais oui !) William-Charles Bonaparte-Wyse [2], le Comtadin Félix Gras [1], le Nîmois Louis Roumieux [12], ainsi que le peintre avignonais Pierre Grivolas [11]. Mais le personnage central en l’occurrence est sans doute, l’air farouche, le Catalan d’Espagne Victor Balaguer [6].
Exilé en France pour des raisons politiques, ce militant libéral fut accueilli à Avignon par Jean Brunet [5], peintre décorateur et verrier d’art, républicain fervent et franc-maçon comme Balaguer. (À noter sur la photo la présence de Mme Brunet [8], qui, plus encore que les autres Félibres, était liée au couple Mallarmé). On le constate, à côté du très réactionnaire et royaliste Roumanille, et du pieux Aubanel, le petit groupe des amis de Mistral compte des républicains convaincus comme Brunet et Gras [1], alors que l’opinion des autres, y compris celle de Mistral, s’en tient plutôt au placide ralliement à l’Empire.
Balaguer est vite adopté par le groupe des Félibres, et ce partisan décidé de la "Renaixença" politique et culturelle catalane fait profonde impression sur Mistral. C’est à Balaguer que Mistral dédie en août 1866 son superbe poème La Coumtesso, véritable hymne à l’indépendance de la Provence et du Midi conquis par les "Franchimands" (on en trouvera facilement le texte sur le Net). Et c’est dans la même optique que le début de Calendal exalte la résistance des Méridionaux (et des Catalans), à l’envahisseur français lors de la Croisade des Albigeois (ce qui valut à Mistral un refus de publication par deux éditeurs d’Avignon).
Ce nationalisme, tout verbal répétons-le, et converti dans un fédéralisme plus en rapport avec les débats français du temps, ne durera qu’un temps, même si les Félibres conserveront en hymne le fameux Coupo santo qui témoigne de cette rencontre avec le catalanisme... Avec la guerre de 1870, et ses suites, nous retrouvons un Mistral converti totalement au nationalisme français, à l’idéologie conservatrice et cléricale, à l’exécration de la Commune de Paris (et de Marseille).
Cf. : Mistral et la Commune
Tout en se défendant de faire de la politique et de choisir entre Bleus, Rouges et Blancs, Mistral demeurera jusqu’à l’affaire Dreyfus et au-delà un conservateur affirmé, sans que, pour autant, le Félibrige abandonne son apolitisme de principe...

* J’emprunte cette photo au site :
http://tybalt.pagesperso-orange.fr/LesGendelettres/
Elle a été publiée dans l’hebdomadaire Annales Politiques et Littéraires, n°1558, 4 mai 1913 (cf. " Les chants populaires de Provence", présentés par le journaliste et écrivain Gabriel Boissy [1879])

Notes

[1Eugène Garcin, Les Français du Nord et du Midi, Paris, Didier, 1868

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