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L’Association internationale des Travailleurs en France et le déclenchement de la guerre de 1870

mardi 29 décembre 2020, par René Merle

« Travailleurs de France, d’Allemagne et d’Espagne, unissons nos voix en un même cri de réprobation ! »

À partir de quels principes se prononcer ?
Il en est souvent (toujours ?) allé ainsi : la guerre tombe sur des peuples qui ne s’y attendaient pas, comme un terrible caprice des dieux. Et voilà les peuples embarqués, entre stupéfaction, consternation, résignation ou orgasme nationaliste. Qui n’a jamais connu ces maudits aléas de l’Histoire peut-il imaginer ce qu’il advient quand les boussoles idéologiques s’affolent, quand elles ne donnent plus le Nord, et que, bon gré mal gré, il faut assumer la nouvelle situation.
Ainsi en alla-t-il de l’opposition républicaine et du mouvement ouvrier, en cette fin inattendue du Second Empire.
Il n’est pas question ici de philosopher sur le rôle de l’inattendu (du hasard ?) dans le fil programmé des événements. Il n’est pas question non plus de refaire ici l’histoire du mouvement républicain, (elle a été faite depuis longtemps, et bien faite, récemment encore) ; il est encore moins question de refaire l’histoire de la guerre de 1870-1871. Sur l’histoire de l’Association Internationale des Travailleurs en France, on consultera notamment les incontournables études de Jacques Rougerie, présentes sur le Net : Rougerie
De la veille du conflit à la déclaration de guerre, le 19 juillet, il s’agit seulement de pointer le rapport aux autres forces d’opposition de la petite phalange de militants de l’Association Internationale des Travailleurs.
À la veille du conflit, l’AIT, accusée de complot subversif, est déclarée illégale : les inculpations, initiées en 1868 et durement poursuivies en 1870 après la vague de grèves qui secoue les centres ouvriers de toute la France dans les premiers mois de 1870, ont envoyé en prison (Benoît Malon) ou poussé vers l’exil (Varlin) nombre de militants, et non des moindres. Le pouvoir ne pouvait guère cependant reprocher à ces militants de la transformation sociale non violente, qu’un engagement résolu en faveur des revendications des travailleurs, et la création, sous des formes multiples, d’embryons de syndicats. Ce qui n’empêche pas ces militants, fort divers idéologiquement (collectivistes, proudhoniens, bakouniniens, libertaires d’obédience diverse, mutuellistes pur sucre, etc.), de souhaiter avec les groupes radicaux l’obtention des pleines libertés, l’instruction laïque, gratuite et obligatoire, la séparation de l’église et de l’état, la réforme de l’impôt, la suppression des armées permanentes, etc., mais toujours dans le souci que le mouvement ouvrier soit autonome et ne devienne pas un appendice du mouvement politique petit-bourgeois, quelle que soit son influence, indéniable, dans les milieux populaires.
La répression officielle est donc très dure. Elle a apparemment cassé l’élan attesté par le grand congrès ouvrier qui rassembla à Lyon (13 mars 1870), sous la présidence de Varlin, plusieurs milliers d’ouvriers français et suisses romands. Pour autant, les sections de l’AIT se reconstituent et se fédèrent, notamment à Paris et dans sa banlieue, elles développent leurs « marmites », restaurants coopératifs, portent au grand jour à Paris la chambre fédérale des Sociétés ouvrière, matrice syndicale aux fortes troupes. Ainsi un noyau de quelques centaines de militants peut toucher dans la capitale des milliers de sympathisants, voire des dizaines de milliers.
A priori, l’AIT n’a rien à voir avec les Blanquistes, organisés en « dizaines » militaires prêtes au combat révolutionnaire. Cependant, on ne saurait négliger, dans le virage de 1868 qui voit le vieux mutuellisme à la Tolain bousculé par les jeunes adhérents collectivistes, l’entrée de nombreux blanquistes dans les rangs des sections parisiennes de l’AIT.
C’est la candidature (21 juin 1870) d’un prince prussien (Hohenzollern) au trône d’Espagne vacant qui déclencha l’extrême tension franco-prussienne. Le 6 juillet, le duc de Gramont, ministre français des affaires étrangères, annonçait l’opposition de la France à cette candidature. Si, à la Chambre, Thiers et ses modérés prêchent le calme, les inconditionnels de l’Empire poussent au conflit ; ils sont non seulement rejoints par la « gauche dynastique » née de la scission d’avec les radicaux, mais par le leader radical Gambetta, qui, au grand désarroi de ses troupes, couvre de souvenirs révolutionnaires son appel à briser la menace germanique.
Chauffé par la presse, Paris connaît alors quelques journées d’exaltation : cris de « À Berlin » poussés par des foules où les blouses artisanes et ouvrières étaient nombreuses, certes, mais côtoyaient la cohorte habituelle des hommes de main de l’Empire, pour la circonstance déguisés en prolétaires.
C’est dans ce contexte que le 12 juillet, la section parisienne de l’Association Internationale des Travailleurs lançait son manifeste contre la guerre, magnifique de lucidité et courageusement signé par plusieurs centaines de militants :
« Une fois encore, sous prétexte d’équilibre européen et d’honneur national, la paix du monde est menacée par les ambitions politiques. Travailleurs de France, d’Allemagne et d’Espagne, unissons nos voix en un même cri de réprobation !... La guerre pour une question de prépondérance ou de dynastie ne peut être, aux yeux des travailleurs, qu’une criminelle folie. En réponse aux proclamations belliqueuses de ceux qui s’exemptent de l’impôt du sang et trouvent dans les malheurs publics une source de nouvelles spéculations, nous protestons, nous qui avons besoin de paix, de travail et de liberté !... Frères d’Allemagne ! Nos divisions n’aboutiraient qu’à un triomphe complet du despotisme des deux côtés du Rhin... Ouvriers de tous les pays ! Quoi qu’il advienne pour le moment de nos communs efforts, nous, membres de l’Association internationale des travailleurs qui ne connaissons pas de frontières, nous vous adressons, comme gage d’une solidarité indissoluble, les vœux et le salut des ouvriers de France ! »
Les Internationalistes parisiens se trouvaient-ils bien isolés en ramant contre une opinion publique apparemment gagnée à la cause de la guerre ? L’Internationale ne disposait d’aucun organe de presse spécifique, mais c’est dans le journal radical jacobin de Délescluze, Le Réveil, que l’appel est publié, et il a un écho immédiat dans La Marseillaise de Rochefort, vecteur majeur de l’opposition républicaine et démocrate résolue.
Un des historiens et témoins de la guerre, Alfred Wachter, après avoir évoqué quel enthousiasme nationaliste agitait la bonne société en cette veille de guerre (on se souvient notamment du public mondain de l’Opéra entonnant « La Marseillaise », chant de guerre jusqu’alors interdit) relève dans sa Guerre franco-allemande de 1870-71, que le peuple parisien n’était pas autant gagné à la guerre que ne le laissait croire la bonne presse.
« On ne peut taire cependant que la fièvre patriotique à laquelle étaient en proie les classes riches et éclairées commençait à s’éteindre dans la rue et que la population ouvrière devenait moins passionnée à mesure que la bourgeoisie s’animait davantage »
Et d’ajouter, à propos de la mobilisation générale :
« À la gare de l’Est, dans laquelle s’engouffraient les régiments qu’on ne devait plus revoir, certains symptômes affligeants appelaient l’attention et impressionnaient douloureusement ceux qui ne se méprenaient pas sur la force de l’ennemi. Certains bataillons de l’armée de Paris casernés dans des quartiers populaires et, par suite, soumis à la propagande démagogique, disaient hautement qu’on les conduisait à « la boucherie » et que les peuples étaient bien sots de s’égorger entre eux pour le plaisir des rois. »
C’est dans ce contexte que, désireux de conforter son succès au référendum-formations plébiscite de mai 1870, et de noyer définitivement dans l’exaltation nationaliste toute opposition, Napoléon III, cédant à la provocation de la dépêche d’Ems, déclara la guerre à la Prusse le 19 juillet.
Nous aurons l’occasion de revenir sur la suite, dont le point final fut, on le sait, l’épisode communaliste provincial et parisien…

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