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Les Communistes et l’Alsace au lendemain de la guerre de 1914-1918 La question de l’identité des « provinces libérées ». Spécificités alsaciennes et positions de classe

lundi 28 décembre 2020, par René Merle

Lors de la création du Parti communiste en Alsace, début 1921, l’immense majorité des militants socialistes qui y adhèrent étaient issus des rangs de la social-démocratie allemande, dont ils avaient partagé les déchirements avant et pendant la guerre, jusqu’à l’insurrection « rouge » de 1918 à laquelle ils avaient participé (le "soviet" de Strasbourg). Ils ne s’étaient donc pas contentés de gloser sur le mot "Révolution", ils l’avaient faite avant que l’arrivée des troupes françaises ne rappelle à l’Ordre les Rouges. Ils avaient passé leur vie entière dans le Reich, ils avaient combattu dans l’armée allemande, et l’on peut imaginer le choc qu’a été le changement de nationalité.
Je donne ici quelques articles qui peuvent éclairer la position des Communistes, avec l’aval de leur quotidien national, l’Humanité.
Le premier article est relatif à un débat qui partageait l’opinion alsacienne comme les communistes alsaciens : maintien ou abrogation du régime spécial de l’Alsace hérité de la période allemande.
Ainsi, des tenants communistes de l’école confessionnelle estimaient que le maintien de celle-ci permettrait le maintien du dialecte alsacien que le rouleau compresseur de l’école laïque allait écraser.
C’est un point de vue opposé qui est donné ici par l’instituteur Louis Kuntz (1897), responsable de la fédération communiste du Haut-Rhin.


L’Humanité, 3 mars 1925
« L’Alsace-Lorraine livrée à la réaction.
Depuis le retour des « provinces libérées » à la « Mère Patrie », la désillusion et le malaise étaient permanents parmi la population de l’Alsace-Lorraine. Les fautes graves commises par les gouvernements qui se sont succédé depuis l’armistice (fautes dans l’administration, dans le régime scolaire, dans la justice et sur tous les autres terrains) provoquèrent un mécontentement profond parmi le prolétariat et les couches moyennes qui en souffrent le plus.
Durant le règne du Bloc National, les socialistes profitèrent de cette crise et demandèrent, avec beaucoup de phrases, la suppression du régime spécial qui sépare l’Alsace-Lorraine du reste de la France à presque tous les points de vue.
Ils réclamaient l’assimilation intégrale, l’introduction des lois françaises et ils inscrivaient au premier plan de leur programme régional l’introduction des lois laïques. Comme partout ailleurs, les promesses électorales des S.F.I.O. des trois départements étaient particulièrement grandes : réorganisation du système scolaire, introduction des lois laïques, etc. C’est ainsi que, grâce à ces promesses, Peirotes, maire de Strasbourg, ancien député au Reichstag où il votait durant toute la guerre avec Ebert et Scheidemann les crédits pour la guerre « fraîche et joyeuse », et Georges Weill, directeur de la société anonyme des Grands Moulins, avec 100.000 francs d’appointements, par an, furent élus. Le fameux social-chauvin Grumbach-Homo fut battu à son plus grand regret dans le Haut-Rhin.
L’offensive du clan clérico-nationaliste
On aurait pu croire un instant que les actes promis par le Bloc des Gauches ne tarderaient pas. En effet, dans sa déclaration ministérielle, Herriot annonçait « l’introduction rapide des lois laïques en Alsace et en Lorraine ». Ce qui eut pour effet de réveiller le cléricalisme dans ces deux provinces. Avec tous les moyens : réunions, manifestations de rue, tracts et centaines de résolutions, les cléricaux essayèrent de faire comprendre à Herriot que la « population entière » est contre les intentions du gouvernement visant la suppression de l’ancien état de choses.
L’évêque de Strasbourg en tête provoquait ouvertement à la guerre civile en demandant aux paysans de s’armer pour défendre la « cause sainte jusqu’au sang ». Mais on n’a pas vu que l’évêque fut l’objet d’une poursuite quelconque pour cette provocation. La population attendait. Des semaines et des mois ont passé. Elle attend toujours la réalisation des promesses faites par Herriot et ses deux acolytes alsaciens Peirotes et Weill.
Bientôt elle allait se persuader de la cynique trahison des élus socialistes.
La trahison socialiste
Ce fut lors de la discussion sur la suppression de l’ambassade au Vatican. C’était la première occasion pour les socialistes d’Alsace de tenir les grandes promesses. Quel coup de théâtre ! Eux qui avaient toujours les grands mots de l’assimilation, de la suppression du régime spécial dans la bouche, étaient les premiers à prolonger ce régime en votant pour la mission spéciale auprès du Vatican pour l’Alsace-Lorraine. Quelle trahison ! Quelle honte ! Or, dorénavant l’Alsace aura son ambassadeur spécial au plus grand plaisir des cléricaux.
Et les lois laïques ? Aujourd’hui encore on attend leur introduction après dix mois de règne du Bloc des Gauches ? Déjà les socialistes reculent sur ce point de leur programme et ils cherchent à réaliser le plus beau compromis entre Herriot et les députés cléricaux sur cette « question délicate ».
Les fonctionnaires, les cheminots, eux aussi, attendent avec impatience leurs « salaires augmentés ».
Tandis que les socialistes lâchent pied partout, les cléricaux avancent. Ils organisent ouvertement, et la plus belle manière, le fascisme dans tout le pays en créant des « gardes » à côté de leurs nombreuses associations déjà existantes. Mais les socialistes se taisent une fois de plus.
Voilà pourquoi le malaise continue à exister, et même à augmenter. Voilà pourquoi le prolétariat de l’Alsace et de la Lorraine se tourne de plus en plus vers le Parti communiste qui déploie largement son drapeau à la fois contre le Bloc des Gauches et contre le Bloc clérico-nationaliste.
L. KUNTZ. »

On lit dans L’Humanité organe central du Parti Communiste (S.F.I.C), 28 mars 1925, l’éditorial suivant du député communiste alsacien Charles Hueber [1] :

« La guerre culturelle en Alsace-Lorraine – Pour la langue maternelle et les droits d’autonomie.
Pendant ma maladie qui m’a empêché d’assister aux délibérations de la Chambre, un orateur de la droite, M. Walter, avait présenté les 58.000 électeurs qui le 11 mai ont voté en Alsace-Lorraine pour le programme du Parti communiste comme les adversaires de l’introduction des lois laïques. M. Walter se sert d’un argument ridicule, car personne ne croira que les communistes sont contre la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Il est vrai que pendant la campagne électorale nous n’avons pas accordé la priorité à cette question ; dans toutes nos réunions et en général dans la propagande de notre doctrine, nous avons pris au premier plan la lutte de classe, les revendications sociales, la nécessité de la révolution.
Et nous avons eu raison de le faire, car en France, où les écoles laïques existent depuis longtemps, le capitalisme est-il vaincu ? Les masses travailleuses ont-elles suffisamment de pain ? Les revendications des ouvriers et des paysans sont-elles satisfaites ? Non !
Les illusions propagées par la social-démocratie dans la classe ouvrière que les lois laïques écarteront de la lutte de classe doivent être détruites. Pas d’affranchissement de la classe ouvrière sans la lutte de classe !
Nous ne sommes pas contre l’introduction des lois laïques en Alsace-Lorraine, car nous savons que la religion est une des puissantes armes entre les mains des oppresseurs pour maintenir l’inégalité, l’exploitation et la soumission des travailleurs.
Le parti communiste sait qu’il est avantageux pour la classe des exploiteurs de maintenir l’ignorance du peuple. Nous opposons aux dogmes religieux notre conception philosophique basée sur le communisme scientifique.
Nous ne méconnaissons pas le grand danger de la réaction qui met au service du fascisme son influence sur une partie des travailleurs, mais nous apercevons cependant un danger non moins grand pour la population ouvrière lorsque les socialistes, la main dans la main avec les radicaux, essayent de détourner la classe ouvrière de la lutte de classe pour restreindre leur activité exclusivement au mot d’ordre anticlérical. Nous ne faisons le jeu d’aucune fraction de la bourgeoisie mais nous menons notre lutte de principe contre tous les ennemis de la classe ouvrière.
Nous considérons que la lutte contre le nationalisme est aussi importante que celle contre le cléricalisme.
La guerre culturelle (kulturkampf) introduite en Alsace-Lorraine a pris une place prépondérante dans la discussion actuelle de la Chambre.
J’affirme que l’émotion de l’Alsace-Lorraine ne consistait pas dans le fait que l’enseignement de la religion sera dans un avenir prochain écarté de l’école, l’inquiétude de la population est beaucoup plus grande pour le maintien de l’enseignement dans la langue allemande.
La langue allemande est la langue usuelle dans l’Alsace-Lorraine. Et si beaucoup de catholiques se prononcent contre l’école laïque, c’est parce qu’ils redoutent que l’enseignement en allemand soit encore moins appliqué qu’il ne l’est actuellement.
Le mot d’ordre de la population de l’Alsace-Lorraine n’est pas la lutte pour le maintien de l’école religieuse, mais bien pour le maintien de la langue maternelle dans son application dans la vie officielle du pays.
Nous demandons l’éducation des enfants non pas pour la nationalité mais pour l’humanité.
Nous ne devons et ne voulons pas élever nos enfants dans l’esprit du chauvinisme, c’est-à-dire dans l’esprit de l’orgueil national, de la haine nationale, de la domination et de l’égoïsme national. Nous voulons et nous devons les élever dans l’esprit de justice, de respect, d’amour et de fraternité envers toutes les nations. Nous voulons et nous devons les élever en hommes travaillant pour l’humanité.
L’école actuelle, religieuse ou laïque, ne le fait pas.
La solution définitive d’un système scolaire, libre de toute contrainte du capitalisme, libre du nationalisme et de l’abrutissement religieux, sera l’œuvre du prolétariat victorieux, de sa dictature de classe.
Seul le Parti communiste combat le régime capitaliste qui se sert de l’Eglise et de la religion pour opprimer les classes laborieuses.
Avec les écoles laïques ou les écoles religieuses, le capital règne ! La preuve en est fournie par la France.
Avec la langue allemande ou française, le capitalisme règne !
C’est pourquoi les communistes d’Alsace-Lorraine, unis aux communistes de toute la France, proclament l’unité de front des ouvriers et des paysans pour renverser le capitalisme.
La meilleure assimilation de nos trois départements serait dans leur rattachement à la grande armée révolutionnaire du prolétariat de tous les pays.
Que les socialistes et les autres partis réactionnaires se préoccupent de l’assimilation administrative, quand à nous, nous avons réalisé la grande assimilation révolutionnaire et nous continuerons jusqu’au triomphe de la cause prolétarienne.
Charles HUEBER ».

Autre éditorial de l’Humanité, 26 mars 1925 :
« Après l’intervention d’Hueber – Les Communistes et le problème alsacien-lorrain.
On a entendu mardi, à la tribune de la Chambre, un député qui a parlé en dialecte alsacien.
Ainsi, par l’intervention de notre camarade Hueber, le problème alsacien-lorrain a été posé dans toute sa réalité vivante.
Tandis que les bourgeois cléricaux et anticléricaux se battent pour ou contre l’école interconfessionnelle, le représentant des ouvriers a dit : « donnez-nous une école où l’enseignement des fils et des filles de travailleurs puisse se faire normalement. Donnez-nous une école où maître et élève puissent se comprendre ».
Et c’est là toute la question non seulement pour l’école, mais pour le corps administratif en son entier.
Le gouvernement bourgeois de France a la prétention de franciser l’Alsace à tour de bras et « en vitesse ». Il lui impose des fonctionnaires qui ne connaissent pas sa langue, des instituteurs qui enseignent en une langue que les enfants ne comprennent pas. Il proscrit des fêtes et du théâtre l’emploi de la langue répandue dans la province.
Il agit envers la population alsacienne comme Guillaume II agissait à l’égard de ses sujets polonais avant 1914.
Qui souffre de cette situation ? De ce régime ? Le prolétariat d’abord ! Les riches pourront facilement se perfectionner dans la connaissance du français. Ils ont le loisir pour apprendre et l’argent pour payer les maitres. Mais les pauvres, les ouvriers sont profondément maltraités par ce régime.
Hueber, contre le cléricalisme alsacien, s’est prononcé pour l’école laïque en soulignant le rôle social et politique du clergé qui a fait alliance avec le fascisme anti-ouvrier.
Mais contre le gouvernement Herriot, Hueber a réclamé l’emploi des deux langues, française et allemande, à l’école, dans les tribunaux, dans l’administration. Il a demandé pour les fonctionnaires d’Alsace-Lorraine qui ne parlent que l’allemand, mais qui possèdent la culture générale suffisante, des droits d’avancement égaux à ceux de leurs collègues qui connaissent exclusivement le français.
La Chambre, son président, M. Herriot ne voulurent pas faire de bruit autour d’une intervention aussi significative, aussi fortement révélatrice de la situation vraie en Alsace-Lorraine.
Hueber, travailleur fort instruit, mais ignorant le français, représentait bien à la tribune, comme il l’a dit, des centaines de milliers d’ouvriers et de paysans alsaciens-lorrains auxquels on veut imposer violemment l’usage d’une langue qu’ils ne comprennent pas.
On sait que le gouvernement français, à la fin de la guerre, a obtenu des cléricaux alsaciens le renoncement au plébiscite en leur promettant de maintenir l’enseignement religieux.
Le plus pur « patriotisme » ne répugne pas à de tels marchandages.
Mais le communisme les ignore. Il défend partout et sur tous les terrains l’intérêt des travailleurs.
Il ne lui en coûte pas de dire au moment où il réclame pour l’Alsace-Lorraine la laïcité de l’enseignement, que les lois sociales, par exemple, avaient acquis dans cette province un développement qu’elles n’ont pas dans le reste de la France.
Il n’hésite pas davantage à proclamer que l’Alsace-Lorraine ne doit être traitée ni comme une colonie à laquelle un impérialisme vainqueur impose, sans la consulter, une administration et une organisation politique, ni comme une réunion de départements français en tout semblables aux autres et qui ne doivent bénéficier d’aucun régime spécial.
L’intervention d’Hueber, répétons-le, a donc posé le problème alsacien-lorrain dans toute son ampleur. Malgré la conspiration du silence faite contre elle et qui, comme par hasard, a aussitôt réuni les bourgeois calotins et « mangeurs de curés », elle sera entendue tout au moins du prolétariat révolutionnaire de France et de la population d’Alsace et de Lorraine.
Ce problème domine de haut le conflit qui oppose aujourd’hui le socialiste franc-maçon Weill et le chanoine Muller.
Daniel RENOULT [2]

L’Humanité 24 août 1926
« Dimanche, à Colmar. Fascistes et gendarmes attaquent une réunion commune du Parti communiste et du Heimatbund [3].
Les travailleurs d’Alsace-Lorraine sauront se défendre !
Metz, 23 août. (De notre correspondant particulier). Dimanche dernier, le Parti communiste et le Heimatbund avaient organisé une réunion publique à Colmar contre la politique des sanctions.
Les organes du gouvernement qui, ces derniers temps, ont fait leur possible pour apprendre aux Alsaciens-Lorrains à aimer la France capitaliste, furent cette fois aussi à la hauteur de leur tâche. A cette occasion, les pouvoirs furent retirés à la police municipale de Colmar parce qu’elle se compose en majorité d’Alsaciens. La gendarmerie à cheval et à pied fut chargée du maintien de l’ordre. L’état-major fasciste et royaliste, pour la région de l’Est, offrait, volontairement, d’aider le gouvernement dans la répression contre les ouvriers et employés alsaciens-lorrains. Enchanté de cette aide, le gouvernement accepta. Ordre fut donné aux apaches fascistes et royalistes de Belfort, Epinal et autres villes de se rendre à Colmar. Ils arrivèrent au nombre de 500 environ, portant des matraques, des gourdins cloutés.
Protégés par la gendarmerie, ils se précipitèrent sur les manifestants. Quelques-uns de ces derniers, qui se défendaient, furent arrêtés, amenés au bureau de police et malmenés d’une manière abominable. La réunion ne pouvant avoir lieu dans la salle prévue, les manifestants se rassemblèrent dans deux autres petites salles.
Dans une de ces salles, ils ne purent se protéger contre les agressions des bandits, soutenus par le gouvernement, qu’en dressant des barricades.
L’émotion, dans la population indigène, surtout à Colmar, est énorme. On appelle l’Alsace-Lorraine l’Irlande française.
Le Parti communiste prendra l’attitude nécessaire vis-à-vis de cette situation nouvelle et examiner les mesures aptes à faire cesser, à l’avenir, un tel banditisme.
L’impérialisme français a obtenu, le 22 août à Colmar, le résultat opposé à celui qu’il attendait. La leçon portera. – F. S.

Notes

[1Cherles Hueber (1883) était donc né sujet allemand. Mécanicien ajusteur, il avait milité activement au syndicat des métallurgistes, et au Parti social-démocrate allemand. Il avait pris part à la révolution allemande de 1918 et participé au Soviet de Strasbourg. Après le retour de l’Alsace à la France, il adhéra à la IIIe Internationale et sera élu député communiste en 1924.
Je n’entrerai pas ici dans son évolution ultérieure.

[2Daniel Renoult, longtemps militant socialiste et journaliste à l’Humanité, ardent pacifiste, avait adhéré au PCF dès sa naissance et continua à être directeur de publication du journal »

[3Mouvement autonomiste alsacien

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