La Seyne sur Mer

Accueil > Histoire, de la Préhistoire à aujourd’hui > Court XXe siècle, 1914 - 1945 > France 1914-1945 > Giono jugé par un résistant, 1943

Giono jugé par un résistant, 1943

lundi 28 décembre 2020, par René Merle

"Le cas Giono", du pacifisme au pétainisme ?

Claude Morgan, Les Lettres françaises clandestines n°7, 15 juin 1943

« Le cas de Jean Giono
En 1939 GIONO s’élève contre la mobilisation, au nom du pacifisme intégral et il se fit objecteur de conscience. Fin 1942, le même GIONO donna un roman à la Gerbe au moment où ce journal réclamait la mobilisation générale des Français au bénéfice de l’Allemagne [1]. Par une singulière ironie l’annonce de ce roman parut sur six colonnes exactement sous le mot MOBILISATION écrit par Alphonse de CHATEAUBRIANT. Et cette fois la conscience de M. GIONO ne trouva rien à redire.
Il est peut-être utile de suivre la pente qui a conduit le GIONO d’UN DE BEAUMUGNE et de COLLINE à donner l’appui de son nom et de son talent aux bourreaux de notre peuple. D’autant plus utile et nécessaire que GIONO était l’un des écrivains qui exerçait sur notre jeunesse une incontestable influence, moins par sa pensée elle-même que par le sens extraordinaire qu’il avait de la nature.
Jusqu’à son roman QUE MA JOIE DEMEURE GIONO se contenta de chanter la vie. Puis, le succès étant venu, il s’installa à Contadour, tel Jupiter dans son Olympe et là, entouré d’une cour d’admirateurs bêlants, il s’est mis à penser tout haut. Des figurants appointés venaient lui donner la réplique. De ses visions de collines peuplées de bergers et de troupeaux, de ses tableaux du travail et de la joie paysanne, le « Maître GIONO » a prétendu déduire une philosophie et une doctrine sociale. Et ses courtisans de Contadour de recueillir ses moindres paroles comme autant d’oracles. C’est ainsi que Jean GIONO, s’étant pris pour Dieu, se crut obligé d’adresser des messages à l’univers.
Ayant proclamé qu’il n’y avait de noble au monde que le travail de la terre, il lança l’anathème contre le machinisme et la civilisation technique. Il afficha son mépris des masses ouvrières, tourna en dérision leurs aspirations vers la culture et leur désir d’affranchissement. Contadour devint ainsi la capitale d’un royaume d’utopie où M. GIONO et ses disciples rêvèrent à la destruction des machines et à la création d’une société patriarcale de paysans et d’artisans.
Cette conception régressive de la société conduisit M.GIONO non seulement à faire abstraction du monde ouvrier, mais à renier, avec le progrès matériel, la science elle-même. C’est ainsi que dans Le poids du Ciel, il s’éleva contre l’esprit cartésien : « Le divin que communique à la nature la perception sensuelle de la vie, au lieu de l’employer à chercher le goût des choses, nous l’utilisons à en expliquer les raisons. »
La haine de l’homme raisonneur ? Voilà un principe qui fait partie intégrante de l’idéologie nazie la plus authentique. La conception des paysans constituant non pas une classe mais une race coule de même source. Et M. GIONO compléta cette attitude philosophique par une profession de foi de pacifisme intégral. Il déclara que lorsque se précisa la menace hitlérienne : « Ce sont les sots qui prétendent qu’il vaut mieux mourir debout que vivre à genoux ». Et il se moqua bassement des peuples qui avaient pris les armes pour défendre leur liberté.
Sur la pente de la lâcheté il n’est pas de limites. « Le naturel emploi de la vie c’est de vivre ! » s’écria GIONO à la même époque. Peu lui importait à quel prix. Par cette seule phrase il reniait tout le passé de lutte de notre peuple pour la liberté, il reniait les ancêtres de « ses » paysans de Manosque qui avaient pris les armes pour se débarrasser des entraves féodales, il reniait l’âme profonde de la France.
Et puis ces heures d’esclavage que M. GIONO préférait à la mort sont venues. L’Allemagne nazie déporte nos ouvriers et nos jeunes gens. Elle maintient des millions des nôtres derrière les barbelés de ses camps et dans ses prisons. Elle fusille et torture. Elle réquisitionne le blé et tue la joie de vivre dans nos campagnes – cette joie de vivre que célébrait GIONO – Alors que la France entière se durcit dans sa résistance, M. GIONO, lui, demeure impassible et satisfait. Il n’éprouve plus le besoin de lancer des manifestes comme naguère : il collabore avec l’ennemi. Lui qui clamait son mépris de l’argent, il s’enrichit. Un laudateur maladroit écrivait récemment dans un magazine allemand de Paris : « Quand GIONO est à Paris, ce n’est plus un écrivain, c’est un guichet. On fait queue dans l’antichambre de la banque littéraire GIONO-GORGANOFF (tel est le nom de son « manager »). Après le retour à la terre, voilà le retour à la banque !
Ainsi, M. GIONO a tout renié de lui-même, jusqu’à son propre chant ! Que pourra-t-il écrire désormais ? Nul écrivain n’a poussé aussi loin le reniement, sinon MONTHERLANT, qui ayant chanté l’héroïsme, trahit lorsque fut venue l’heure de l’héroïsme. GIONO, lui aussi, a bien servi les oppresseurs de la France. Il ne lui sera point pardonné. De la lâcheté à la trahison, comme la voie est courte ! »

Notes

[1Cf. : Giono, 1940-1942. Sur le GIONO d’avant la guerre, voir les articles avec ce mot clé

Répondre à cet article

| Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | SPIP