La Seyne sur Mer

Accueil > Identités, régionalismes, nationalisme > Hawaii métaphore des langues perdues… et retrouvées ?

Hawaii métaphore des langues perdues… et retrouvées ?

lundi 28 décembre 2020, par René Merle

Je ne suis pas philatéliste, mais j’ai toujours aimé la philatélie quand elle peut être une clé de compréhension de l’histoire. Ainsi de la philatélie d’Hawaii, cette pointe extrême nord du fameux triangle polynésien, que découvrirent et peuplèrent les hardis navigateurs venus de Tahiti et des Marquises.

J’ai sous les yeux deux de ces lettres-cartes d’Hawaii que les philatélistes connaissent bien : le recto vierge pour l’adresse, le verso vierge pour le texte. Au sommet du recto, un liseré rouge porte en grosses lettres blanches : "KALAKAUA. R. 1881" (c’est le nom du souverain du royaume d’Hawaii, qui régna de 1874 à 1891). Sous le liseré, en très grosses lettres rouges, "HAWAII" surchargé de la mention : "PEPA POO LETA". Littéralement "papier avec en tête timbrée". En dessous, on demande en petites lettres rouges "MA KEIA AOAO WALE NO KA INOA" de faire figurer adresse et nom du destinataire. En haut, à droite, à l’emplacement du timbre, un écusson surmonté d’une couronne porte l’effigie d’une dame majestueuse, (Lili’uokalan, la sœur du roi, qui lui succède en 1891). Légende : "AKAHI KENETA" (un kenata = un cent), soit la valeur du timbre pré-imprimé. (Je n’ai pas pu reproduire les apostrophes spécifiques du document, notant l’occlusive glottale).
Ainsi, jusqu’au début des années 1890, la poste de l’administration royale utilise donc tout naturellement la langue, alors nationale, que les navigateurs polynésiens, entre 500 et 1000, avaient amenée avec eux sur ces terres vides d’hommes [1]. Les missionnaires protestants anglo-saxons, implantés à partir des années 1820, avaient appris cette langue, l’avaient doté d’un alphabet, et l’avaient utilisée pour la traduction de la Bible. Une presse en hawaiien avait suivi, et les documents commerciaux étaient bilingues (hawaiien et anglais).
Mais on lit sur le liseré inférieur : "American Bank Note Co N.Y". Brève mention qui indique la réalité de la puissance économique : celle des colons états-uniens, qui développent sur des terres désormais dégagées du droit traditionnel (féodal ou communautaire) des plantations spéculatives (canne à sucre en particulier). La tension monta entre ces colons et le pouvoir royal lorsque la Reine s’en prit aux nouveaux statuts de propriété. En 1893, avec l’aide d’un contingent militaire des États-Unis, ces colons renversent le pouvoir royal et en 1894 instituent une république que le pouvoir américain s’empresse de reconnaître. L’anglais est proclamé langue officielle et administrative obligatoire, et l’hawaiien, chassé des écoles, est renvoyé à un usage privé. En 1898, les États-Unis annexaient purement et simplement l’archipel [2].
Désormais tout à fait minoritaires démographiquement, submergés par des migrations de main-d’œuvre coloniale et par l’installation de citoyens américains (bases navales militaires - Pearl Harbor ! -, héliotropisme, tourisme galopant), bon gré mal gré les "natives" devront se mettre à l’anglais, et bientôt à l’anglais seul...
Aujourd’hui, en dépit des efforts des associations mainteneuses de la langue polynésienne, l’hawaiien n’est plus vraiment d’usage véhiculaire, à l’exception d’une petite île de l’archipel. Les locuteurs quotidiens ne se comptent plus que par centaines. Mais, grâce aux travaux universitaires, aux publications, aux contacts avec les autres pays polynésiens, et depuis peu grâce à Internent, ces locuteurs, et plus généralement toutes les personnes intéressées par la langue hawaiienne, se sont dégagés du complexe traditionnel d’infériorisation. En 1998, l’état d’Hawaii a reconnu l’hawaiien comme langue d’état, au même titre que l’anglais (ce qui en fait le seul état des États-Unis officiellement bilingue), et autorisé la présence de la langue dans l’enseignement. Hawaii métaphore des langues perdues… et retrouvées ?
Affaire à suivre dans cet océan de vulgarité touristique, d’exotisme frelaté [3] et d’urbanisme sauvage dont les Étatsuniens partagent le secret avec ceux qui, de par le monde, considèrent que planter des tours d’immeubles sur de magnifiques espaces naturels est signe de progrès. Ainsi du front de mer d’Honolulu

Notes

[1Les langues polynésiennes, aujourd’hui grandement en danger, sont un sous-groupe des langues austronésiennes dont la racine est sur le littoral chinois et taïwanais. Les plus connues : l’hawaïen, le maori de Nouvelle-Zélande, le samoan, le tahitien, le tongien… Il existe entre elles une évidente compréhension, aujourd’hui entretenue par de nombreux échanges. Cf. Te Reo Maori - La langue Maori.

[2 Adopté par la royauté, puis par la « république », le Ka Hae Hawaii, drapeau hawaïen, témoigne de cette double emprise. Union Jack et stripes US. Il est toujours aujourd’hui celui de l’état américain créé en 1959.

[3Ainsi du mot “aloha”, polysémique (salut, affection, amitié, amour, souhait positif…) a été mis toutes les sauces publicitaires, et la danse traditionnelle, à la valeur profondément communautaire, Hula, d’abord interdite par les misssionnaires, a été revisitée à la sauce hollywoodienne… et par Elvis

Répondre à cet article

| Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | SPIP