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Michel Foucault, l’intellectuel et les « Masses »…

mardi 29 décembre 2020, par René Merle

La négation des "Guides"

On connaît le soutien initial apporté par Foucault à la révolution islamique iranienne de 1979. Étrange cécité sur la vraie nature d’un mouvement religieux totalitaire qui commença par exterminer la gauche iranienne et les communistes du puissant parti Toudeh.
J’aimerais ici revenir sur une étape antérieure de la pensée de Foucault, qui n’est pas sans éclairer par anticipation son aval donné aux « masses » iraniennes.
Il s’agit de vision de l’intellectuel qu’il développe dans ces brûlantes années de l’après-soixante-huit, par exemple ici dans cet entretien avec Gilles Deleuze : "Les intellectuels et le pouvoir" (L’Arc, n° 49, 2e trimestre 1972).
On rencontre ici, clairement affirmée in fine, l’affirmation péremptoire, et chère aux gauchistes d’alors (et d’aujourd’hui ?), que « les masses » ( ?) détiennent, par on ne sait quel processus, « la conscience comme savoir », et n’ont nul besoin de guides ou d’éclaireurs (fussent-ils philosophes engagés ou militants politiques). L’intellectuel « théoricien » n’intervenant, en bon artisan, que sur son créneau technique de révélation et de désaliénation.
On conçoit mieux comment, passé l’enthousiasme pour la conscientisation spontanée des « masses » ( ?), Foucault a plutôt privilégié l’autre fer qu’il mettait au feu, à savoir la libre réalisation de l’individu dans la réalisation – subversion d’une société capitaliste néo-libérale. Privilégié, mais sans se permettre de trahir, puisque la révérence devant les « masses » était délocalisée d’une France, désormais bien assagie, à l’Iran enflammé par les mollahs…

« Michel Foucault : Il me semble que la politisation d’un intellectuel se faisait traditionnellement à partir de deux choses : sa position d’intellectuel dans la société bourgeoise, dans le système de la production capitaliste, dans l’idéologie qu’elle produit ou impose (être exploité, réduit à la misère, rejeté, « maudit », accusé de subversion, d’immoralité, etc.) ; son propre discours en tant qu’il révélait une certaine vérité, qu’il découvrait des rapports politiques là où l’on n’en percevait pas. Ces deux formes de politisation n’étaient pas étrangères l’une à l’autre, mais ne coïncidaient pas non plus forcément. Il y avait le type du « maudit » et le type du « socialiste ». Ces deux politisations se confondirent facilement en certains moments de réaction violente de la part du pouvoir, après 1848, après la Commune, après 1940 : l’intellectuel était rejeté, persécuté au moment même où les « choses » apparaissaient dans leur « vérité », au moment où il ne fallait pas dire que le roi était nu. L’intellectuel disait le vrai à ceux qui ne le voyaient pas encore et au nom de ceux qui ne pouvaient pas le dire : conscience et éloquence.
Or ce que les intellectuels ont découvert depuis la poussée récente, c’est que les masses n’ont pas besoin d’eux pour savoir ; elles savent parfaitement, clairement, beaucoup mieux qu’eux ; et elles le disent fort bien. Mais il existe un système de pouvoir qui barre, interdit, invalide ce discours et ce savoir. Pouvoir qui n’est pas seulement dans les instances supérieures de la censure, mais qui s’enfonce très profondément, très subtilement dans tout le réseau de la société. Eux-mêmes, intellectuels, font partie de ce système de pouvoir, l’idée qu’ils sont les agents de la « conscience » et du discours fait elle-même partie de ce système. Le rôle de l’intellectuel n’est plus de se placer « un peu en avant ou un peu à côté » pour dire la vérité muette de tous ; c’est plutôt de lutter contre les formes de pouvoir là où il en est à la fois l’objet et l’instrument : dans l’ordre du « savoir », de la « vérité », de la « conscience », du « discours ».
C’est en cela que la théorie n’exprimera pas, ne traduira pas, n’appliquera pas une pratique, elle est une pratique. Mais locale et régionale, comme vous le dites : non totalisatrice. Lutte contre le pouvoir, lutte pour le faire apparaître et l’entamer là où il est le plus invisible et le plus insidieux. Lutte non pour une « prise de conscience » (il y a longtemps que la conscience comme savoir est acquise par les masses, et que la conscience comme sujet est prise, occupée par la bourgeoisie), mais pour la sape et la prise du pouvoir, à côté, avec tous ceux qui luttent pour elle, et non en retrait pour les éclairer. Une « théorie », c’est le système régional de cette lutte. »

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