La Seyne sur Mer

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Bruant - Les Canuts

mercredi 30 décembre 2020, par René Merle

Fin d’un monde et métaphore de la révolte qui persiste

Les trompettes guerrières font oublier le bond en avant des chiffres du chômage, cependant que la justice sanctionne des écarts désespérés de licenciés... Mais peut-être, (l’Histoire nous l’enseigne), cette faculté d’oubli est-elle une des fonctions des trompettes guerrières...
Pour ne pas oublier que notre système de solidarité et de protection sociale (bien agressé aujourd’hui) est le fruit séculaire de luttes populaires, voici d’Aristide Bruant, les Canuts, en hommage à Marc Ogeret, que je fais suivre plus bas d’un commentaire.

Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d’or
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d’or
Nous en tissons pour vous, grands de l’église
Et nous, pauvres canuts, n’avons pas de chemise
C’est nous les canuts
Nous sommes tout nus
Pour gouverner, il faut avoir
Manteaux ou rubans en sautoir
Pour gouverner, il faut avoir
Manteaux ou rubans en sautoir
Nous en tissons pour vous grands de la terre
Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre
C’est nous les canuts
Nous sommes tout nus
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira :
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira :
Nous tisserons le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la tempête qui gronde
C’est nous les canuts
Nous sommes tout nus

Je donne cette réflexion à la suite de celles que je viens de présenter, concernant la postérité revécue de « logiciels » protestataires…
À trois reprises, on le sait (1831, 1834, 1849), les insurrections populaires lyonnaises, où les Canuts étaient en première ligne, ont porté l’espérance de justice sociale et de pouvoir démocratique.

Mais, à la fin du XIXe siècle, ce monde des Canuts, au confins de l’artisanat et de la sous-traitance, était en voie de disparition rapide.
En 1894 en effet, bien des pages ont été tournées depuis les sanglantes journées de la Monarchie de Juillet et de la Seconde République, et le Bulletin officiel de l’Exposition de Lyon, Universelle, Internationale et coloniale – n°51, 20 décembre 1894 (avant-dernier numéro) peut accueillir avec faveur la prose d’un « homme de métier », Pierre Brondel, présentant ainsi les Canuts, dans l’article « Les Canuts et la canuserie » :
« Oui, ils disparaîtront ces bons ateliers où se formaient les premiers tisseurs du monde ! où florissaient les plus belles vertus domestiques, où l’orphelin était accueilli, soigné, traité comme un enfant de la maison et d’où il ne sortait que pour s’établir à son tour avec la compagne qu’il avait choisie, et qui était souvent la fille du patron, du père ! Oui, ils disparaîtront, et sur leurs ruines accumulées on construira l’usine, cette caserne de l’ouvrier ! Et le jour où tous iront travailler au son de la cloche, comme le soldat va manœuvrer au son du clairon, ce jour-là, je me demande ce que deviendront les mœurs, je me demande ce que deviendra la famille, je me demande ce que deviendra la liberté ! »
Or, c’est à l’occasion de cette exposition de 1894 qu’Aristide Bruant (1851), le chantre des miséreux et des mauvais garçons des quartiers populaires de la capitale [1], alors au faite de sa gloire, lance sa fameuse chanson des Canuts (il la publiera en 1899 dans son recueil Sur la route).
On sait qu’elle a pu être inspirée par la pièce les Tisserands 1893 de l’Allemand Gehrart Hauptmann (1862), donnée en 1893 au « Théâtre libre » d’Antoine, tragédie sociale qui penchait plus vers la résignation que vers la contestation sociale…
Mais Bruant, on l’a vu avec le texte donné ci-dessus, en fait autre chose : la condition christique des canuts, chantée sur un air d’église, pointe à la fois la condition de l’égoïsme des puissants et l’espérance d’un changement radical. On conçoit que cette chanson, véritable OVNI dans le répertoire ordinaire du chansonnier, fera sa route, et jusqu’à aujourd’hui, en emblème de la lutte politique et sociale.
[1] Cf. « La souffrance sociale dans les chansons d’Aristide Bruant illustrées par Steinlen »
http://books.openedition.org/pur/6693?lang=fr

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