Du 20 septembre au 3 novembre 2019, au théâtre du Vieux Colombier (Comédie française), Rodolphe Dana, en donnant de Shakespeare un Jules César qui a fait date, a relancé l’intérêt sur une pièce puissante et complexe.
Intérêt jamais démenti. Ceux de ma génération se souviennent peut-être de l’adaptation cinématographique de Mankiewicz en 1953, Julius Cæsar, avec notamment Marlon Brando.
The Life and Death of Julius Caesar, ou The tragedie of Julius Cæsar aurait été jouée pour l’inauguration du Théâtre shakespearien du Globe en 1699. On la date généralement de cette même année peu avant la mort de la reine Élisabeth 1re (1603). Mais elle a été publiée seulement en 1623.
Mon propos n’est pas ici de me lancer dans les rapports complexe de la Souveraine et de son protégé, particulièrement à propos d’une pièce qui met en scène de façon ambiguë la condamnation du pouvoir absolu, à un moment où l’Angleterre, sous la direction de la reine et avec l’aval de la reine, devient une véritable et puissante nation bourgeoise.
En l’occurrence ce qui m’a intéressé ici est la dialectique du Césarisme et de ses adversaires, issus de ses propres rangs.
Voici un extrait de l’acte I, scène III [1].
Revenu victorieux de la 2ème guerre civile de Rome, idole du parti populaire, César est tenté de s’emparer du pouvoir. Les conjurés républicains projettent de le tuer.
« — CASCA.
En effet, on dit que demain les sénateurs comptent établir César comme roi, et qu’il portera la couronne sur terre et sur mer, partout, excepté en Italie.
— CASSIUS.
Je sais où je porterai ce poignard, alors Cassius délivrera Cassius de la servitude. C’est par là, Dieux, que vous rendez si forts les faibles ; c’est par là, Dieux, que vous déjouez les tyrans. Ni tour de pierre, ni murs de bronze battu, ni cachot privé d’air, ni massives chaînes de fer, ne sauraient entraver la force de l’âme. Une existence, fatiguée de ces barrières terrestres, a toujours le pouvoir de s’affranchir. Si je sais cela, le monde entier saura que cette part de tyrannie que je supporte, je puis la secouer à ma guise.
(Tonnerre).
— CASCA.
Je le puis aussi ! Tout esclave porte dans sa propre main le pouvoir de briser sa captivité.
— CASSIUS.
Alors pourquoi César serait-il un tyran ? Pauvre homme ! Je sais bien qu’il ne serait pas loup, s’il ne voyait que les Romains sont des brebis. Il ne serait pas lion, si les Romains n’étaient des biches. Ceux qui veulent à la hâte faire un grand feu, l’allument avec de faibles brins de paille. Quelle ordure, quel rebut, quel fumier est donc Rome, pour n’être plus que l’immonde combustible qui illumine un être aussi vil que César ! Mais, ô douleur ! où m’as-tu conduit ? Je parle peut-être devant un esclave volontaire : alors, je sais que j’aurai à répondre de ceci. Mais je suis armé, et les dangers me sont indifférents. »
En écrivant à propos de la « Servitude volontaire » : « Tout esclave porte dans sa propre main le pouvoir de briser sa captivité »… Shakespeare pointait le paradoxe que la Boétie avait si bien exprimé [2] Le peuple anesthésié a les moyens d’être libre, mais il ne les utilise pas.
Dans l’avènement de la dictature, la responsabilité est plutôt du côté du peuple passif, par contrainte ou par aveuglement, que du côté que du misérable ambitieux, petit homme parmi les hommes, loup qui veut manger les brebis…
Mais ici d’autres loups font « le travail » de libération à la place du peuple abusé. Tyrannicides lucides qui poignarderont César.
Mais revenons à l’Angleterre.
« Bien creusé, vieille taupe » [3]… En 1642 commençait la Grande Rébellion, première Révolution anglaise qui ouvrait à terme la voie à la monarchie constitutionnelle, en passant par la décapitation du Roi en 1649.
Ah, ne dites pas à Monsieur Badinter que j’ai donné cet article. Après l’affaire de la tête au bout d’une pique, il m’accuserait de tentative de régicide…