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Charles Dupont - Biographie - Interventions provençales en 1849-1850

mardi 29 décembre 2020, par René Merle

Cet article complète l’article - René Merle - Langue d’Oc : langue du peuple, arme du peuple ? Provence 1848-1851

Biographie fournie au Dictionnaire Maîtron
DUPONT Charles, né en 1816 à Toulon (Var), fils d’un sous-lieutenant en retraite, soldat de la Révolution et de l’Empire, qui lui communiqua ses convictions républicaines. Propriétaire, clerc de notaire, puis secrétaire de mairie à Hyères (Var), il poétise en français sous la Monarchie de Juillet. Il est sous la Seconde République le président du “Cercle populaire” (démocrate socialiste) de Hyères. Licencié par la mairie conservatrice d’Hyères, il est quelque temps employé à la caisse d’épargne, avant de devenir “permanent” de la Démocratie Socialiste varoise. Il collabore activement à son journal, Le Démocrate du Var, né en 1849, dont il persuade la rédaction, plutôt réticente au départ, d’accueillir ses interventions en provençal en direction des paysans, afin de répondre à la propagande en provençal du préfet Haussmann. Ses chroniques et chansons, signées Cascayoun, qu’il publie en brochure en 1850, ont une vraie audience dans le département. En 1850, son militantisme lui vaut quelques jours d’emprisonnement, ainsi que d’autres militants hyérois. Il est un des dirigeants de l’insurrection hyéroise du 5 décembre 1851. Il fuit la répression et se réfugie à Nice où il trouve un emploi d’économe à l’école de commerce. Condamné à Algérie moins, il est gracié en 1856. Il vit ensuite à Marseille, où il milite dans les rangs républicains et ceux de la Ligue de l’Enseignement. À la fin de l’Empire, il collabore en provençal, à nouveau sous le pseudonyme de Cascayoun, au journal radical Le Rappel de la Provence, diffusé dans le Var et les Basses-Alpes. Membre de la Commission départementale des Bouches-du-Rhône en 1871, il collabore par des chroniques politiques en provençal à La République Radicale, organe du Comité Central Républicain. Conseiller général radical de Marseille d’octobre 1871 à août 1880, il œuvre pour l’école laïque et se démarque des républicains socialisants.
René Merle
Sources :
A.D Var, 4 M 24
Le Démocrate du Var, 1849-1850
Lettros dé Micoulaou Cascayoun paysan d’Hyéros oou redactour doou demoucrato dou Var, Touloun, Emprimariè vuouso Baume, 1850
Le Rappel de la Provence, 1869-1870
La République Radicale, 1871
Charles DUPONT, Les républicains et les monarchistes dans le Var, Baillière, Paris, 1883.
Charles DUPONT, Petites œuvres françaises et provençales (1836-1886), Marseille, 1888. (réed. partielle J.Abello-D.Sampieri, Toulon, 2001)
Paul ROUX, “Charles Dupont et son œuvre provençale”, Actes du VIe congrès de langue et littérature d’oc, Montpellier, 1970
René MERLE, Inventaire du texte provençal de la région toulonnaise, G.R.A.I.C.H.S, 1986 - Nombreux textes de Dupont.
René MERLE, Les Varois, la presse varoise et le provençal, 1859-1910, S.E.H.T.D, 1996 - Nombreux textes de Dupont.
René MERLE, - René Merle - Langue d’Oc : langue du peuple, arme du peuple ? Provence 1848-1851
Dominique SAMPIERI, La faux et le fusil, Toulon, 2001

Charles Dupont et Le Démocrate du Var.
(complément publié suite à la communication "Langue du peuple, arme du peuple ?", Actes des journées d’étude de 1999 et 2001, Association 1851, 2002, pp. 99-103)
Le Démocrate du Var, journal de la démocratie socialiste varoise est lancé à Toulon le 19 janvier 1849. Son premier objectif est de préparer la campagne des législatives de mai 1849. Le journal est tout français. Il ne manque pas d’ironiser sur les négligences de ses concurrents varois du parti de l’Ordre, “poussant l’amour de la liberté jusqu’à ne pas écrire, en français”.
Alors que le préfet Haussmann utilise dans la presse conservatrice la plume provençale de Maquan pour défendre les idées de l’Ordre, les démocrates-socialistes ne semblent guère conscients des vertus communicatives de la langue du peuple. L’entreprise de Dupont n’apparaît qu’en fin d’année.
On lit dans Le Démocrate du Var (23-12-1849), à propos d’un des dialogues de Maquan :
“Propagande morale et populaire du Conciliateur du Var :
... vient ensuite une de ces parades si familières aux Bobèche et Galimafré du Conciliateur. C’est le morceau capital de la propagande morale et populaire. Écoutez : c’est un dialogue qui a lieu entre un instituteur de la Roco et un certain Brancassi. L’article est en moitié firançais, moitié provençal, le touiformant un assez mauvais patois”.
Le lendemain de cette péjoration, non seulement de l’adversaire, mais encore du “patois”, Le Démocrate du Var publie, sans autre explication, le premier texte de Cascayoun, où le clerc hyérois prête sa plume à “un paoure persan” né en 1789, joyeux et avisé, qui proteste contre le refus du travail dit dimanche.
Cascayoun revient en janvier, et ensuite assez irrégulièrement, dans la préparation des élections législatives de mars 1850. Mais il reste un homme seul. Il évoque des lettres arrivant de Bormes, sous le traditionnel pseudonyme plaisant de “patroun Bourrido”. Il dit être salué joyeusement lors de ses déplacements à travers le Var.
Cependant on ne peut pas dire que sa publication provençale ait un effet d’entraînement dans l’écriture. Le père François, populaire chansonnier de Cuers (que Dupont salue souvent), continue à publier dans Le Démocrate du Var ses chansons en français. Une seule intervention provençale vient soutenir celle de Cascayoun : alors que le 10 janvier les démocrates de Cabasse avaient envoyé an journal une lettre de soutien en excellent français, Le Démocrate publie le 30 janvier une lettre provençale manifestement réellement populaire de niveau de langue et de style qui dénonce plaisamment l’envoi massif par les autorités des journaux conservateurs dans les cercles et chambrettes.
Puis c’est sous le pseudonyme d’Ambrosi (bouvier à Beaudinard !) que le poète républicain toulonnais Casimir Dauphin salue Cascayoun. À noter que dans sa réponse provençale, Cascayoun évoque beaucoup plus brutalement que dans la prudence française du journal la réaction à avoir en cas de coup de force réactionnaire : “Ti leissès pas tarounar toun fusiou, frèro : un marquis a déjà proupousa dé demoulir la Counstitucien”(7-4-50). Avec Dauphin, nous retrouvons le cercle des amateurs de poésie provençale (et française !) qui s’était déjà manifesté à Toulon dans les années 1840, et avait témoigné sa confiance dans les possibilités littéraires de la langue d’Oc.
Et de fait, en avril, les ambitions littéraires de Cascayoun, jusqu’alors rentrées, se manifestent. Il traduit Lammenais. En juin, il annonce la publication en livre de ses dix premières lettres. Il est tout à fait intéressant de voir comment le journal présente cette initiative, de façon à la fois amicale, distanciée et réductrice :
"Avis à nos amis. Ce n’est pas sans une vive satisfaction que nos amis apprendront que notre collaborateur Cascayoun, cédant aux sollicitations pressantes d’un bon nombre de nos co-religionnaires politiques, s’est décidé à faire imprimer la collection des dix premières lettres provençales qu’il a publiées dans le Démocrate du Var. Plusieurs de nos amis nous avaient manifesté l’intention de souscrire à cette publication, lorsque l’auteur se déciderait à la faire, et nous croyons leur être agréable en leur annonçant que cette collection vient de paraître.
Nous ne doutons pas que ces lettres empreintes d’un cachet d’originalité peu commune, et dans lesquelles la pensé démocrate se manifeste sous des formes si variées et si spirituelles, n’obtiennent un véritable succès de vogue. Cette collection formant une jolie petite brochure in 12, sur très beau papier satiné, imprimée sur caractères neufs, se vend à Hyères, chez l’auteur. On souscrit aussi dans les bureaux du Démocrate du Var. Prix : 50 c l’exemplaire”.
Quel a été l’impact de Cascayoun ? À n’en pas douter, en ce qui concerne le registre de la chanson, il a été un stimulant pour les “déclamaires” locaux, grands producteurs de chansons provençales, dont les traces abondent hors-publication, et qui méritent une étude approfondie.
Mais les ambitions de Cascayoun étaient aussi celles d’un prosateur provençal, et en ce domaine la reconnaissance vient (maigrement) de la part de ceux qui, comme Dupont, ont participé avant 1848 du premier courant de renaissance provençaliste. Ainsi du Dr. C.Provençal, de Cagnes, ardent militant démocrate et chantre français de la Provence, que Dupont salue ainsi, en évoquant les principales publications provençales des années 1840 :
“Un milien de gramacis oou doctour Cesar Prouvençaou, dé Cagnas, per l’hounour qué ma fach en mi mandan soun ouvragi intitulat : Les Provençaux passés, présents et futurs peints par eux mêmes. Crèsi pas qué si pouasquè miès fa counouissè, qu’aquel escrivan lou caractèro, lou temperament et la maniéro dé viouré, deis inventours doou Bouilho-abaisso, dé l’ailhori et doou Tron dé Diou".
Significatif aussi est cet écho recueilli dans Le Démocrate du Var (31-10-1850) : dans le cadre de la répression du “complot de Lyon”. Méric fils, du Luc, un personnage majeur dans l’état-major démocrate-socialiste varois, a eu la visite du juge d’instruction et du procureur : “J’oubliais cependant de vous dire, qu’en désespoir de cause l’on a saisi chez moi quelques exemplaires des lettres de mon ami Cascayoun imprimées en patois : heureux ami dont le nom seul au bas d’une brochure imprimée provoque une saisie”.
Écho populaire réel, sympathie polie ou sincère dans la bourgeoisie cultivée qui avait déjà goûté au renaissantisme provençal, “l’entrisme” de Dupont n’est plus tout à fait solitude.
Arrêté, et condamné, en septembre, Cascayoun - Dupont (la loi interdit dorénavant de signer par son seul pseudonyme) consacre l’essentiel de ses publications au procès et à l’emprisonnement. Le journal lui accorde une grande place. Signe d’un changement de mentalité ? Il est difficile d’en juger. Le journal meurt fin novembre 1850 et nous ne savons rien des initiatives provençales que Dupont a pu prendre par la suite, jusqu’au coup d’État.
Nous renvoyons à notre étude Les Varois, la presse varois et le provençal, 1859-1910, pour situer la place de Dupont dans l’écriture provençale sous le Second Empire et au-delà.
René Merle

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