La Seyne sur Mer

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Langues et niveaux de langues dans les deux conflits du travail aux Forges et Chantiers de La Seyne-sur-Mer (Var), 1897 et 1898

samedi 26 décembre 2020, par René Merle

René Merle - Langues et niveaux de langues dans les deux conflits du travail aux Forges et Chantiers de La Seyne-sur-Mer (Var), 1897 et 1898.
Le Bulletin de PROMEMO, Provence, Mémoire et Monde ouvrier, n°4, janvier 2006
PROMEMO, Provence, Mémoire et Monde ouvrier.

N.B : Cet article n’a pas pour objet la situation politique à La Seyne en 1897-1898 et ses interférences avec la situation sociale.

L’histoire du mouvement syndical à La Seyne est un chantier encore grandement ouvert. Comme l’est sans doute plus encore celui de la mémoire locale des luttes ouvrières. Pour m’en tenir à cette seconde approche, à ce que j’en ai pu connaître à travers mon implication dans la vie seynoise des années 1950 jusqu’à la fermeture des Chantiers dans les années 1980, le souvenir demeurait de la longue grève de 1919. Mais il était rarissime d’entendre évoquer des conflits antérieurs à la guerre de 1914.
En janvier-février 1956 cependant, le quotidien communiste Le Petit Varois avait publié dans sa page de La Seyne une remarquable série d’articles de Pierre Caminade, journaliste et homme de lettres seynois : “Le centenaire des F.C.M. - Un siècle de luttes ouvrières”.
Cette série, consacrée à la période 1856 - 1914, traitait longuement des quatre grèves que connurent les Chantiers : 1872, 1896-1897, 1898, 1910. En évoquant rapidement 1919, elle se terminait par l’annonce d’une seconde série d’articles, portant sur la période 1919-1956. Cette série ne sera jamais publiée. Lassitude de l’auteur ? Divergences de vues avec certains responsables du journal ? Primauté d’une actualité politique prégnante ? Il serait intéressant de remettre en circulation publique ces articles de Pierre Caminade, tout comme il serait très intéressant d’approfondir la connaissance de la naissance et de l’affirmation du syndicalisme dans ce chantier naval, énorme et unique entreprise capitaliste, à la pointe de la modernité technique, greffé sur un terroir où les activités économiques et les mentalités traditionnelles demeuraient vivaces. En proposant trois éléments de documentation “linguistique” sur les grèves de 1896-1897 et de 1898, les lignes qui suivent apporteront peut-être un éclairage au plan des mentalités.
De sa naissance en 1856 jusqu’à la chute de l’Empire, l’entreprise n’avait pas connu de conflit du travail. En 1872, la direction introduit le système des “prix faits” qui module le salaire en fonction d’un temps prédéfini pour la réalisation d’un travail. Le 9 juin 1872 éclate une grève de protestation, observée par 627 ouvriers sur un effectif total de 1320. Elle aboutit le 17 juin à un compromis qui adoucit la rigueur du nouveau système de rémunération. Les grévistes ont bénéficié de la sympathie intéressée d’une partie des commerçants et du soutien prudent de la municipalité “républicaine avancée”. Mais la presse de droite n’a pas manqué d’agiter l’influence des Communards et autres Internationalistes. Et le Sous-Préfet pointe la possibilité d’une manipulation des travailleurs par des agents d’une puissance étrangère, et hostile, l’Italie en l’occurrence, dont des centaines de nationaux travaillent à La Seyne. C’est ce système de rémunération qui sera appliqué de 1872 à 1896, période de modernisation et d’extension continues, pendant laquelle les Chantiers ne connaissent aucun conflit du travail. Mais à partir de 1893, les différents corps de métiers des Chantiers se dotent de chambres syndicales, bientôt réunies en une Union des Chambres syndicales. En décembre 1896, la direction décide de tester sur une partie du personnel (riveteurs, chanfreineurs, perceurs) un nouveau système de rémunération supprimant la garantie d’un salaire quotidien minimum et établissant de nouveaux tarifs de “prix faits”. Le 15 décembre, plus de 800 perceurs, riveurs et chanfreineurs (dont 150 italiens), soit la quasi-totalité du personnel concerné, sont en grève. Ils protestent à la fois contre la décision patronale et contre la brutalité et l’autoritarisme d’un contremaître. Soutenue par une solidarité très active, la grève se poursuivra jusqu’au 4 janvier 1897. Elle s’achève par la satisfaction des revendications ouvrières.

Document 1 : l’assemblée des grévistes du 2 janvier 1897.

Le Petit Var, radical, a appelé à la solidarité, et même La République, très à droite, a reconnu le bien-fondé des revendications et le calme des grévistes. Il n’en reste pas moins que la présence active des Italiens est considérée avec méfiance dans les milieux nationalistes, d’autant que la presse a informé que des ouvriers italiens ont envoyé des listes de souscription en Italie. On lira donc avec intérêt cet entrefilet publié par le socialisant journal de Marseille, Le Petit Provençal (3-1-1897), que les archives préfectorales nous ont heureusement conservé en coupure (les chercheurs savent combien il est difficile de retrouver les éditions locales). Il s’agit de la dernière assemblée des grévistes avant la reprise victorieuse du travail.
“Dans la matinée, à 9 h., une importante réunion des grévistes avait lieu au sous-sol* sous la présidence du citoyen Maille, président du Comité. 800 ouvriers environ y assistaient. Au début, on a donné lecture des récents articles que nous avions consacrés à la grève. Afin de permettre à tous les assistants de comprendre, ces articles ont été successivement lus en français, puis traduits en italien par le citoyen Fio, vice-président du Comité, et enfin en provençal. Les grévistes ont vigoureusement et unanimement applaudi, puis ils ont voté un ordre du jour de chaleureux remerciements au Petit Provençal qui, à peu près seul dans la presse, avait soutenu leur cause. Camille Ferdy”.
(* Il s’agit d’une grande salle voûtée située sous l’école primaire, installée depuis la Monarchie de Juillet dans les murs d’un ancien bâtiment ecclésiastique.)
Deux remarques : le Comité n’a pas hésité à utiliser publiquement la langue italienne, dans un but de communication efficace évidemment, mais peut être aussi en réponse ostentatoire aux insinuations sur les manipulations du mouvement par l’Italie voisine et hostile. La solidarité de classe transcende les différences nationales.
Très intéressante aussi est la mention d’une traduction en provençal : un tel usage du provençal est à ma connaissance tout à fait exceptionnel. Traduire en provençal un propos français n’est pas magnifier la langue des Félibres, mais se faire bien comprendre des travailleurs maîtrisant mal le français. Ils devaient être nombreux encore dans ces corps de métiers en grève, métiers pénibles et peu qualifiés. Mais le provençal, langue de travail, de convivialité, était et sera encore ordinaire parmi les ouvriers des Chantiers maîtrisant bien le français. Je peux en témoigner par l’exemple de mon grand-père, serrurier aux Chantiers, né en 1889. Le provençal était aussi langue d’intégration pour beaucoup d’ouvriers italiens, et en particulier ceux originaires des vallées alpines piémontaises de langue d’oc. Cette traduction orale en provençal n’en constitue pas moins une véritable transgression et il est significatif que la presse toulonnaise, qui sait pourtant saluer Mistral, n’en fasse pas mention. Le jeune hebdomadaire du Parti Ouvrier, L’Echo du Var, organe de combat socialiste soutient bien sûr la grève, mais néglige l’intervention en provençal. Ne situe-t-elle pas en quelque sorte les travailleurs maîtrisant mal le français au rang de ces Italiens méprisés dans le journal de droite comme dans celui de gauche ? Tout au contraire, cet hebdomadaire s’insurge en janvier 1897 contre le quotidien de droite La République qui raille le mauvais français provençalisé des ouvriers et militants socialistes, conseillers municipaux de Toulon. S’ils n’ont pas eu droit à l’instruction des fils de bourgeois, les ouvriers n’en maîtrisent pas moins la langue nationale, instrument de l’émancipation sociale. Et quand le provençal apparaît dans un rassemblement syndical, par exemple le 1er mai 1898 à Toulon, c’est en divertissement débonnaire et non en communication efficace*. Ainsi, dans sa spontanéité, le triple langage de l’assemblée générale des grévistes témoigne d’une réalité de plurilinguisme, alors que l’aspiration socialiste à l’éducation populaire et à l’intégration proclame déjà une francisation réalisée.
(* Je me permets de renvoyer aux documents et commentaires proposés dans René Merle, Les Varois, la presse varoise et le provençal, 1859-1910, Toulon, 1996.)

La grève de 1898
Fin 1897, un conflit éclate au sujet des deux sociétés de secours mutuels (cf. Document 2). À la différence du conflit de 1896-1897, où la grève était la réaction de défense de corps de métiers directement mis en cause par une décision patronale, la grève de 1898 est initiée par l’Union des chambres syndicales de La Seyne. Encouragée par le succès de la grève de 1897, sensibilisée aux thèmes anarcho-syndicalistes de la grève générale, l’Union décide de lancer la corporation hautement qualifiée et fortement syndicalisée des chaudronniers sur fer dans une grève test (5 mars), à laquelle la direction riposte par la mise à pied de tout le personnel. Malgré une solidarité importante, les ressources des grévistes s’épuisent et le désarroi s’installe à la fin du mois de mars.

Document 2 - appel à la solidarité de l’Union des chambres syndicales.
C’est à ce moment (24 mars) que l’Union publie un manifeste diffusé nationalement. Ce texte, au français clair et non déclamatoire, est destiné à expliquer au plus grand nombre, le plus concrètement possible les raisons du conflit et la nécessité de soutenir les grévistes. Il est accompagné d’un autre texte, plus déclamatoire, directement marqué de l’idéologie prolétarienne. Malgré quelques maladresses, ces deux textes témoignent d’une excellente maîtrise du français écrit.

Document 2 - graphie originale

Union des Chambres syndicales de La Seyne-sur-mer
MANIFESTE
Citoyens, A la date du 5 mars, la corporation des Chaudronniers sur fer des Forges et Chantiers de La Seyne et de Mouissèques* , sur un vote émis par l’Union des Chambres syndicales, s’est déclarée en grève. Permettez-nous, Citoyens Camarades, de vous faire connaître, dans un rapide exposé, le conflit qui a créé cette situation :
Depuis une quarantaine d’années, l’Administration des Forges et Chantiers de La Seyne, administrait, sous sa direction, une Caisse de secours pour venir en aide à son personnel. Cette caisse était alimentée par un versement hebdomadaire et obligatoire des ouvriers. A un moment donné, il y a environ quatre ans, un déficit sensible fut constaté dans cette Caisse de secours ; l’Administration, poussée dans ses derniers retranchements, ne put que balbutier et finalement ne put justifier cette anomalie. Dès lors, une certaine effervescence régna parmi le personnel ouvrier qui voulut voir clair dans cette gérance. De plus, dans toutes les questions à l’ordre du jour, le vote était émis au bulletin secret. Il arrivait que dans certains cas, alors que les délégués ouvriers avaient reçu mission de voter dans tel ou tel sens, le contraire se produisait, et que chacun affirmait avoir émis son vote ainsi que ses camarades le lui avaient imposé. Par les deux faits qui précèdent, les Chambres syndicales se réunirent et décidèrent d’envoyer, à la date du 1er janvier 1897, des délégués avec mission de faire prévaloir le vote par appel nominal. De là conflit ; et les délégués démissionnaient, mais furent tous réélus, et, devant cette persistance, l’Administration céda, mais fit entendre à ces ouvriers qu’ils eussent à se préoccuper eux-mêmes de la gérance de leur Caisse. Ainsi fut fait. Par les soins de délégués pris parmi les Chambres syndicales un règlement fut dressé, soumis à la Direction laquelle après plusieurs renvois et modifications, finit par l’adopter : Elle donna de plus SA PROMESSE qu’aucune caisse similaire ne serait créée par elle. Dès le 2 janvier, l’on apprenait avec stupeur que, contrairement à la parole donnée, à tous les engagements pris, reniant leurs écrits, une Caisse concurrent était créée par l’Administration portant ainsi le plus grand préjudice à notre Caisse ouvrière. Délégations sur délégations, supplications, etc., rien ne fit ; devant cette persistance et après avoir épuisé tous les moyens de conciliation, devant les réponses données par la Direction de La Seyne, le Directeur du Conseil d’Administration à Paris, disant que jamais la Compagnie ne consentirait à l’abolition de cette Caisse concurrent à la nôtre, l’Union des Chambres syndicales, réunie en assemblée générale, décida que pour forcer l’Administration à tenir ses promesses, la corporation des Chaudronniers sur fer se mettrait en grève. Il y a quinze jours de cela, l’arbitrage, de par la loi, n’a pu, malgré l’esprit de conciliation dont nous sommes animés, donner aucun résultat. Les personnages influents, hommes intègres, animés du meilleur esprit, après avoir entendu nos doléances et consulté les documents produits, ont tous été unanimes à proclamer notre droit. De ce fait, l’Administration a mis à pied la presque totalité de son personnel, et c’est pour revendiquer le respect de la parole donnée que près de 4.000 ouvriers sont actuellement sans ouvrage et commencent à souffrir des horreurs de la faim.
Voilà, Citoyens Camarades, l’exposé de la situation qui nous est faite. A VOUS DE JUGER. Adresser les fonds au Comité de la Grève, au Sous-Sol des Ecoles, à La Seyne (Var)
Citoyens Camarades, Par l’exposé des faits qui précèdent, vous aurez compris la situation qui est faite aux 4.000 ouvriers des Forges et Chantiers de La Seyne-sur-Mer. Cette situation est grave, d’autant plus grave que les Syndicats Seynois qui, tous, luttent pour la défense de l’intérêt commun, sont nés à peine d’hier. Malgré leur bonne volonté, malgré les privations pécuniaires que s’imposent chacun de leurs membres, les subsides sont minimes pour soutenir ces 4.000 ouvriers qui revendiquent leurs droits et le respect de la parole donnée. Le Comité, pris parmi l’Union des Chambres syndicales de La Seyne-sur-Mer, fait appel aux Chambres syndicales et Groupes corporatifs de toute la France pour leur venir en aide dans ce moment critique et pour leur permettre de sortir victorieux de la lutte qu’ils ont entreprise contre ceux qui, loin de montrer l’exemple de la justice et de la loyauté, ne cherchent et n’ont qu’un seul et unique but : l’abolition de nos Syndicats et de ce chef atteindre au cœur la marche en avant du mouvement social qu’ont si bien compris et que défendent si justement les travailleurs. CITOYENS CAMARADES, L’Union des Chambres syndicales a la conviction que l’appel qu’il adresse aujourd’hui à ses frères de travail sera entendu et que tous les Groupes, Chambres syndicales ou autres Sections, unis pour la défense des intérêts ouvriers, nous viendront en aide, et que nous pourrons bientôt, grâce à leur concours dévoué, porter une fois de plus haut et ferme le Drapeau fraternel, le Drapeau des revendications sociales. CITOYENS, Vive l’Union des travailleurs ! Vive le Prolétariat ! Vive la République sociale ! LA COMMISSION
(* En 1895, la direction avait fait transférer sur les terrains du quartier des Mouissèques, à l’Est du Chantier, l’atelier marseillais des chaudières.)

Document 3 - La traduction italienne de l’appel
Si en 1897, les ouvriers italiens avaient envoyé des listes de souscription en Italie, c’est un manifeste qu’ils font cette fois parvenir à leurs contacts en pays natal (texte imprimé le 30 mars, six jours après le texte en français)..

Document 3 - graphie respectée.
Unione delle Camere sindacale della Seyna-sul-Mare
MANIFESTO
Compagni e fratelli, Dal 5 marzo corrente, la corporazion dei calderai sul ferro, delle Forge e Cantiere della Seyna è delle Mouisseche, da un voto emesso dalle Camere sindacale si dichiaro in sciopero. Permetteteci, compagni, di farvi conoscere, in un rapido esposto, il motivo che ci creo una tale situazione : Da circa 40 anni, l’amministrazione del Cantiere amministrava sotto la sua direzione, una cassa di mutuo socorso, per venire in aiuto al suo personale, questa cassa era alimentata da un versamento ebdomadario e obligatorio per tutti gli operai ; ad un momento (sarà 4 anni circa) un deficit sensibile fù constatato in sudetta cassa ; l’amministrazione spinta, nei suoi ultimi trinceramento non potte giustificare questa anomalia, d’allora una certa effervescenza regna fra il personale operaio che volle vederci chiaro in questa gerenza. Di più in tutte le questioni all’ordine del giorno, il voto si faceva a scruttino segretto, arrivava in certi casi, quandunque che i delegati operai avessero ricevuto missione di vottare in tale o tale senso, che il contrario si produceva e ognuno dei delagati affirmava aver emesso il voto come gli lo avevono imposto i loro compagni. Dau due fatti precedenti le Camere cooperative sindacale si riunirono e decisero di mandare, dal 1o gennaio 1897, dei delegati con missione di far prevalere il voto, per chiamata nominativa ; dà li un conflito e i delegati demissionarono, ma furono tutti rieletti di nuovo, e dinanzi a talle persistenza, l’amministrazione cedeva, ma disse agli operai che avessero ad ocuparsi loro soli della gerenza della sudetta cassa, e cosi fu fatto. Per le cure dei delegati scelti fra camere sindacale un regolamento fu stabilito e presentato alla direzione laquale doppo diversi modificazione, fini per adottarlo : e diède di più la sua promessa che nessun altra cassa simile sarebbe creata dall’amministrazione. Dunque dal 2 gennaio scorso, si vidde con gran stupore che, contrariamente alla parola dattaci, rinegando i loro scritti, una cassa concurrente venne creata dall’amministrazione portando cosi il piu gran danno alla nostra cassa. Delegazione su delegazione, suppliche, eccetera, niente si fece ; dinanzi a tale persistenza e doppo aver consumato tutti i mezzi de conciliazione, dinanzi alle riposte fatte dalla direzione della Seyna ; il direttore del consiglio d’amministrazione a Parigi dicendo che mai la Compagnia consentirebbe ad abolire la sua cassa ; L’Unione delle Camere sindacale, riunite in assemblea generale decise che, per forzare la Compagnia a tenere conto delle promesse che ci aveva fatto, la corporazione dei calderai, si metterebe in sciopero ; avrà una quindicina di giorni che l’arbitragio della legge non potè, malgrado i sentimenti di conciliazione cui siamo tutti animati, darci alcun risultato. Personnagi influenti, uomini integri animati dei migliori sentimenti, doppo aver ascoltato le nostre doleanze e consultato i documenti prodotti, sono stati unanimi a proclamare i nostri diriti, da questo fatto l’Amministrazione a messo a piedi la quasi totalità del personale, ed è per rivendicare il respetto della parola dattaci che îù di 4000 operai, Francesi e Italiani, sono attulamente senza lavoro e incominciano a sofrire della fame.
Ecco, compagni, l’esposto della situazione che ci è fatta. A VOI DI GIUDICARE. Indirizzare i fondi au Comité de la grève, sous-sol des Écoles, La Seyne s/m (Var).
Compagni e fratelli, Dall’esposto dei fatti che precedano avrette compreso la situazione che è fatta ai 4,000 operai Francesi e Italiani della Seyna. Questa situazione è grave, alquanto più grave che i sindacati della Seyna sono nuovi creati. Malgrado la buona volontà, malgrado le privazione che si impone ognuno dei suoi soci, i mezzi sono minimi per sostenere quei 4,000 operai che rivendicano il diritto ed il respetto della parola datta. Il Comitato preso fra le Camere sindicale della Seyna, fà appelo a tutte le Camere sindacale ed Associazione cooperative di Francia e d’Italia per venirli in aiuto in questo momento cosi critico e per permeterli di uscire vittoriosi dalla lotta cha anno impreso, contro colloro, che invece di dar l’esempio di justizia e di lealtà, non cercano e non anno che un sol pensiere, l’abolizione dei nostri Sindacati e cosi colpire al cuore la marcia in avanti del movimento sociale, che annon cosi ben compreso e che difendono cosi giustamento i lavoratori. Compagni e fratelli, L’Unione delle Camere sindacale a la convizione, che l’appelo che fà quest’oggi ai sui fratelli di lavoro sarà inteso, e che tutte le Associazione e Camere sindacale unite per la diffesa degli interessi operai, ci verrannon in aiuto, e che potremmo presto, grazia al loro appogio, portare una volta di più, alta e ferma, la bandiera fraterna e la bandiera delle rivendicazione sociale. Ai Compagni lavoratori ! La Comissione.
Ce texte est la traduction littérale du manifeste français. De ce fait, le traducteur n’a pas eu recours au style plus spécifiquement italien qui aurait été celui d’un texte directement rédigé dans la langue. Et dans l’urgence, il n’a pas reculé devant les “francismes”. Il reste que, publiquement, par l’apparition de l’italien écrit, les syndicalistes seynois n’ont pas hésité à témoigner de la présence et de la combativité des travailleurs italiens. Pour autant on peut remarquer un détail significatif. Le texte en français s’adresse aux syndicalistes de toute la France. S’il salue l’union de tous les travailleurs, il ne fait en aucune façon mention de la présence de travailleurs italiens. Alors que le texte en italien s’adresse aux syndicalistes de France et d’Italie, et précise qu’il s’agit de la lutte des 4000 ouvriers français et italiens de La Seyne. On notera également que le texte italien omet la mention finale de “Vive la République sociale”.
Fin mars, devant l’intransigeance de la direction, le conflit semble dans une impasse.

Document 4 - La chanson des grévistes.
C’est à ce moment (document 4) qu’apparaît un curieux texte de chanson, destiné à la publication et à la vente de solidarité, que le commissaire de police transmet à la direction et aux autorités.

Document 4 - graphie originale - AD Var, 4 M 56.2
Ville de La Seyne-sur-mer, Commissariat de police Objet : Grève des ouvriers des Forges et Chantiers de La Seyne La chanson des grévistes. Duplicata transmis : Direction et Sous-Préfecture
La Seyne-sur-mer, le 31 Mars 1898 RAPPORT
Je crois devoir vous donner ci-après à toutes fins utiles, copie d’une chanson que les grévistes ont l’intention de faire imprimer pour être vendue à leur profit.
“Echo de la grève” “air Titania”
1er Couplet
A la Seyne on s’a mis en grève,
C’est pas rigolo tout c’truc là ;
Le riche, y nous désir’ la crève,
Va falloir y mettr’le hôla !
On s’a fait une caiss’ de retraite
Pour l’vieux qui peut plus turbiner
Hé bien ! l’bourgeois, lui, çà l’embête
Y veut êtr’seul à bedonner.
Refrain
Mouchards et sauteurs, s’en vont devant la ronde,
Tandis que l’ouvrier revendique ses droits ;
Tremblez, opprimeurs, race infecte du monde,
Quand l’ouvrier a faim, y n’connait plus d’lois.
Classe des travailleurs Salut au syndicat !
Les temps viendront meilleurs Salut prolétariat !
2e Couplet
On est pas libr’ de la galette
Qu’on a gagné par son turbin
Faut qu’à la caiss’noire on la jette
Pour plaire à tout c’tas de crétins.
Ces bouff’tout, ces capitalisses
Veul’nt nous mus’ler comm’ des toutous
Oh ! non ! alors ! faut qu’çà finisse
Faut d’mander son droit jusqu’au bout
Au refrain...
3e Couplet
Va falloir boucler sa ceinture
Pour boire faudra s’contenter d’eau
Tampis, mais y faut plus qu’ça dure
Faut s’rebiffer d’vant ces salauds
Et puis on est pas seul en France
Y n’manque pas de frer’s, des copains
Qui voudront, ça c’est sur d’avance
Avec nous partager leur pain
Au refrain...
Signé : Une victime manquée.

Cette apparition d’un texte de soutien s’explique aisément par l’importance des galas de solidarité, à La Seyne comme à Toulon, galas où les chansons sont reines. Mais, présenté comme émanant “des grévistes”, ce texte exalté tranche par son vocabulaire, ses tics de langage, avec ce qu’étaient ordinairement les chansons françaises improvisées dans le Midi d’alors. Utilisation constante de l’élision correspondant à une prononciation “parisienne” (“c’truc”), présence d’autres formes de prononciation populaires septentrionales (“capitalisse”, qui n’est pas là seulement pour rimer avec “finisse”), emploi d’un français populaire argotique “parisien” (“turbin”), présence de tournures “patoisantes” de zones d’oïl (“on s’a mis en grève”), etc. Tout témoigne, plus que d’une imitation locale des chansons contestataires libertaires si répandues alors dans la capitale, de la présence, chez les grévistes ou les sympathisants, de migrants d’outre Loire. C’est d’ailleurs en cette fin mars que la tension éclate entre certains grévistes et libertaires jusqu’auboutistes. Je n’ai pas trouvé trace de l’impression de cette chanson qui à sa façon proclamait aussi la victoire de la francisation, mais une francisation qui enfermait " le prolétariat " local dans un niveau de langage où il pouvait difficilement se reconnaître. Le conflit va durer jusqu’à la fin avril, et se terminera dans le désarroi, la répression et l’amertume.
René Merle

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