En 1901, l’Affaire qui a violemment divisé le pays s’est achevée sur une décision tristement opportuniste. Alors que l’innocence de Dreyfus est maintenant solidement prouvée, mais qu’un second procès l’a une fois de plus injustement condamné, le Président de la République Émile Loubet gracie Dreyfus en septembre 1899. Pour autant, la profonde fracture qui avait partagé l’opinion demeure.
En 1901, Anatole France, dans Monsieur Bergeret à Paris dénonce violemment, mais ironiquement – ce qui rend la dénonciation encore plus forte - ce nationalisme xénophobe, antisémite, ultra réactionnaire, qui paradoxalement, au nom du respect de l’Armée de la Nation, se réclame de la République pour mieux l’assassiner. Il témoigne, sans illusions, de la perméabilité de l’opinion publique, et particulièrement celle du monde de la Boutique, à cette idéologie que propagent les privilégiés de la naissance et de la fortune (y compris celle de la « banque juive » ralliée honteusement aux anti dreyfusards ! [1] et « n’a jamais accepté la République.
On ne peut lire ces pages prémonitoires sans penser à la revanche meurtrière qu’assureront à partir de 1940 ces « Blancs » parés de tricolore pétainiste. Quand le cri de « Mort aux Juifs » sera mis en pratique par le régime pétainiste de la Révolution nationale.
Et on ne peut que s’interroger sur l’héritage actuel de cette vieille droite ultra conservatrice, ultra cléricale, ultra militariste, qui n’hésite pas à se réclamer des valeurs républicaines pour mieux abattre la République.
L’ombre, et le képi, de l’Homme fort à la Boulanger plane aujourd’hui sur l’élection présidentielle.
Cependant, tout consterné que soit Anatole France devant la perméabilité de l’opinion publique aux thèses nationalistes, mais tout lucide qu’il soit devant l’incapacité de cette opinion à dépasser l’éternelle attitude protestataire, purement verbale, il n’en affirme pas moins sa confiance dans la partie saine et sûre du peuple, qui, croit-il, finira bien par l’emporter.
Je donne ici quelques lignes qui illustrent bien cette amertume et malgré tout cette confiance. M. Bergeret et son ami Mazure dinent dans un élégant restaurant parisien, non loin de la baronne de Bonmont et de son jeune admirateur (et conspirateur) royaliste et nationaliste.
« —Nous avons dîné bien agréablement, dit M. Mazure en se levant de table. Ce restaurant est fréquenté par les gens les plus huppés.
— Toutes ces huppes, répondit M. Bergeret, n’étaient peut-être pas du plus haut prix. Cependant il y en avait d’assez pimpantes. J’ai moins de plaisir, je l’avoue, à voir des gens élégants depuis qu’une machine a mis en mouvement le fanatisme débile et la cruauté étourdie de ces pauvres petites cervelles. L’Affaire a révélé le mal moral dont notre belle société est atteinte, comme le vaccin de Koch accuse dans un organisme les lésions de la tuberculose. Heureusement qu’il y a des profondeurs de flots humains sous cette écume argentée. Mais quand donc mon pays sera-t-il délivré de l’ignorance et de la haine ? »
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