Pour mieux comprendre la logique de ce site, un peu de narcissisme ne messied pas.
Regardez cette photo de la grève des mineurs à Montceau-les mines en octobre 1948, tout y est : l’union défensive des mineurs contre l’intervention policière dirigée par le ministre de l’intérieur socialiste, les travailleurs immigrés venus de l’empire colonial [1], le leader romantique, la triste détermination de cette foule rassemblée, essentiellement masculine aux avant-postes, mais pas que…
Ressortir ce type de document est peut-être l’illustration parfaite de la révolte par procuration, car si ceux-là sur la photo étaient bien réels, (et si les survivants n’ont cessé de réclamer justice pour leurs licenciements, leur éviction des logements miniers, leurs condamnations pénales pour insurrection), quid de ceux (et j’en suis à l’évidence) qui, sans avoir le moins du monde participé, et pour cause, continuent à saluer la mémoire gréviste dans un monde où ces grévistes ne peuvent plus exister, faute de mines ? Sommes-nous vivants dans ce rappel, ou perpétuons-nous stérilement un souvenir dans un monde où les luttes sociales et politiques ont pris de tout autres formes ?
En fait, poser cette question me renvoie à toute la problématique de mon addiction aux blogs, puis aux sites, que j’ai commencé à manifester en 2004, avec mon premier blog tout riquiqui.
Addiction fondamentale à trois histoires anciennes emmêlées, celle des mouvements républicains, celle du mouvement ouvrier, celle des courants socialistes puis communistes, bref, une longue histoire qui court depuis la Grande Révolution française, et que les Belles Âmes d’aujourd’hui proclament forclose.
Comme la mouche qui tape aux vitres des fenêtres d’une pièce fermée, c’est dans l’entre soi de cette triple addiction que depuis 2004 j’ai essayé de m’exprimer et de communiquer par le blog puis le site.
Bien sûr, au rythme des fatigues, des découragements, il y a eu des interruptions, plus ou moins longues, des changements de formule, des découragements devant l’invasion de la publicité, et des reprises obstinées. Le site actuel en témoigne.
Mais dans ces reprises, le stock initial (en partie conservé [2]) mais toujours augmenté, n’a pu proposer aux lecteurs fidèles que la même problématique, et souvent, au risque de lasser, les mêmes vieux articles repris et traités à neuf… Bref, l’approfondissement dans l’enfermement… Avec un parti pris qui m’incitait, et m’incite toujours, à jeter dans la mise en abyme un regard sur l’actualité, au risque de la réaction de lecteurs effarouchés, partisans de la mesure, de l’équilibre, quand ce n’était pas du « Juste Milieu » à l’orléaniste.
Oh, bien sûr, les lecteurs ont pu aussi, incidemment, rencontrer l’écho d’intérêts échappant à cette obsession historique : lectures, musique, cinéma, voyages, rencontres. Mais ces échos n’ont jamais occupé une place essentielle car ils touchent à l’intime que la pudeur incite à ne pas trop dévoiler. Je n’ai passé la limite, à peine, que dans quelques souvenirs vraiment personnels, et surtout dans la recension de ce que j’ai pu écrire (nouvelles, romans, poésies, etc.). Mais à travers tout cela le peu qui émerge de l’intime doit suffire à faire comprendre que la triple addiction historique que j’évoquais ne prend vraiment sens que de cet intime. Car mon intérêt pour ces histoires révolues n’a procédé en rien du plan de carrière universitaire, de l’intérêt érudit collectionneur, ou de la manie du patrimoine.
Naturellement, les années passant, et encore plus à l’âge où j’en suis, la question s’est posée de l’intérêt et de l’avenir de cet amoncellement de connaissances à la Bouvard et Pécuchet, d’autant qu’au fil des années le développement inouï de la numérisation en ligne, en mettant toutes les connaissances du monde (et tous les errements) à la portée de chacun, renvoie des sites de ce type au bricolage de l’amateur. D’autant, et je le vois bien par les statistiques, que le lecteur s’en tient souvent à la publication du jour, sans avoir la curiosité d’aller visiter les archives dormantes (la rubrique HISTOIRE est de loin la plus fournie, particulièrement sur le XIXe siècle, mais sans doute pas hélas la plus fréquentée).
Quoi qu’il en soit, lecteurs collectionneurs, dépêchez-vous d’enregistrer [3] ce qui ne pourra durer que peu de temps encore. Après disparition du propriétaire, les livres s’en vont souvent sur les rayons d’Emmaüs. Mais quid des articles d’un site qui disparaîtra avec son propriétaire ?
Sur ces joyeuses paroles, je m’en tiendrai là pour aujourd’hui…
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