Je ne peux pas dire que la poésie de François Coppée soit ma tasse de thé. Mais enfin, elle a eu en son temps un immense succès populaire, ce qui n’est pas rien, et, à certains égards, même si cela peut vous faire sourire, elle me touche.
Ainsi quand elle évoque ce temps suspendu de la banlieue il y a si peu encore territoire rural au-delà des fortifications, et désormais déchue, promise au prolongement de la Cité, refuge provisoire étrangement romantique duquel l’on peut contempler Paris.
Je vous dispenserai des commentaires de textes pour bachelier qui abondent sur le Net, et m’en tiendrai aux textes.
Voici pour commencer ce court poème familier du jeune François Coppée [1], publié dans Le Parnasse contemporain. Recueil de vers nouveaux, Paris, Alphonse Lemerre, 1869 [2] et la poésie familière de Coppée, à cet égard parente déjà du jeune Verlaine, me parle autant du plaisir mélancolique de la flânerie sur ces terres abandonnées, aux marges de la Cité conquérante, que de ce qu’est devenue cette banlieue de 1869, aujourd’hui si totalement et anarchiquement annexée par la ville tentaculaire.
Et je pense aussi que le sage Coppée était deux ans plus tard témoin de la Commune, sur laquelle il écrira cette courte pièce en vers, Le pater, qui fut interdite de publication par le gouvernement en 1889. J’y reviendrai peut-être [3].
Voici donc les quelques lignes du Parnasse contemporain :
J’adore la banlieue avec ses champs en friche
Et ses vieux murs lépreux, où quelque ancienne affiche
Me parle des quartiers dès longtemps démolis.
O vanité ! Le nom du marchand que j’y lis
Doit orner un tombeau dans le Père-Lachaise ;
Je m’attarde. Il n’est rien ici qui ne me plaise,
Même les pissenlits frissonnant dans un coin.
Et puis, pour regarder les maisons déjà loin,
Dont le couchant vermeil fait frissonner les vitres,
Je prends un chemin noir semé d’écailles d’huîtres.
Mais revenons au tropisme du promeneur parisien envers cette banlieue encore largement rurale.
Coppée l’avait déjà utilisé dans un recueil publié un an avant Banlieue, : Intimités, Paris, Alphonse Lemerre, éditeur, 1868 :
Je suis un pâle enfant du vieux Paris et j’ai
Le regret des rêveurs qui n’ont pas voyagé.
Au pays bleu mon âme en vain se réfugie,
Elle n’a jamais pu perdre la nostalgie
Des verts chemins qui vont là-bas, à l’horizon.
Comme un pauvre captif vieilli dans sa prison
Se cramponne aux barreaux étroits de sa fenêtre
Pour voir mourir le jour et pour le voir renaître,
Ou comme un exilé, promeneur assidu,
Regarde du coteau le pays défendu
Se dérouler au loin sous l’immensité bleue,
Ainsi je fuis la ville et cherche la banlieue.
Avec mon rêve heureux j’aime partir, marcher
Dans la poussière, voir le soleil se coucher
Parmi la brume d’or, derrière les vieux ormes,
Contempler les couleurs splendides et les formes
Des nuages baignés dans l’occident vermeil,
Et, quand l’ombre succède à la mort du soleil,
M’éloigner encor plus par quelque agreste rue
Dont l’ornière rappelle un sillon de charrue,
Gagner les champs pierreux, sans songer au départ,
Et m’asseoir, les cheveux au vent, sur le rempart.
Au loin, dans la lueur blême du crépuscule,
L’amphithéâtre noir des collines recule,
Et, tout au fond du val profond et solennel
Paris pousse à mes pieds son soupir éternel.
Le sombre azur du ciel s’épaissit. Je commence
À distinguer des bruits dans ce murmure immense,
Et je puis, écoutant, rêveur et plein d’émoi,
Le vent du soir froissant les herbes près de moi,
Et parmi le chaos des ombres débordantes,
Le sifflet douloureux des machines stridentes,
Ou l’aboiement d’un chien, ou le cri d’un enfant,
Ou le sanglot d’un orgue au lointain s’étouffant,
Ou le tintement clair d’une tardive enclume,
Voir la nuit qui s’étoile et Paris qui s’allume.
et encore
A Paris, en été, les soirs sont étouffants.
Et moi, noir promeneur qu’évitent les enfants,
Qui fuis la joie et fais, en flânant, bien des lieues,
Je m’en vais, ces jours-là, vers les tristes banlieues.
Je prends quelque ruelle où pousse le gazon
Et dont un mur tournant est le seul horizon.
Je me plais dans ces lieux déserts où le pied sonne,
Où je suis presque sûr de ne croiser personne.
Au-dessus des enclos les tilleuls sentent bon ;
Et sur le plâtre frais sont écrits au charbon
Les noms entrelacés de Victoire et d’Eugène,
Populaire et naïf monument, que ne gêne
Pas du tout le croquis odieux qu’à côté
A tracé gauchement, d’un fusain effronté,
En passant après eux, la débauche impubère.
Et, quand s’allume au loin le premier réverbère,
Je gagne la grand’ rue, où je puis encor voir
Des boutiquiers prenant le frais sur le trottoir,
Tandis que, pour montrer un peu ses formes grasses,
Avec son prétendu leur fille joue aux grâces.