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Une République mort née. - III - Des lendemains de Juin 1848 aux lendemains de l’élection présidentielle de décembre 1848. Documents

mardi 29 décembre 2020, par René Merle

Suite de : Une République mort-née - II - L’explosion de Juin 48. Documents

Je n’ai pas d’autre but ici avec cet avant-goût que de vous inciter à vous plonger dans les présentations et dans les études que désormais nous propose Internet.

Avec les quelques documents qui suivent, je vais focaliser sur l’attitude de "la gauche de la gauche", pour employer un terme contemporain qui peut s’appliquer aux tenants d’alors de "la République démocratique et sociale", par rapport au tenants sincères de la "République démocratique" mais pas sociale, dans un climat délétère où les conservateurs de tout poil ont repris le dessus avec la domination du "parti de l’Ordre".
Au lendemain de l’écrasement de l’insurrection ouvrière parisienne de juin 1848, la question sociale est en effet devenue à la fois le problème majeur et le point aveugle du républicanisme.
L’ouvrage de Pierre Leroux, à peine sorti des prises en mars, et déjà proclamé obsolète par les "Bien pensants", avait pourtant posé la question fondamentale de la nature du pouvoir. Il n’en était que plus d’actualité après Juin.

Pierre Leroux et le gouvernement des riches


Au lendemain de la Révolution de Février 1848, le typographe et philosophe socialiste Pierre Leroux [né en 1797], alors installé à Boussac (Creuse), publiait De la Ploutocratie ou du gouvernement des riches, Boussac, imprimerie de Pierre Leroux, 1848 [1].
On lit sur la page de garde :
« Make money, my son, honestly if you can, but make money. – « Gagne de l’argent, mon fils, honnêtement si tu peux, mais gagne de l’argent. » (Proverbe des Ploutocrates américains.) »
Et on lit encore dans l’introduction :
« J’ai essayé dans cet ouvrage de faire connaître la constitution économique de la France ; j’ai dit quelle est la condition du salaire et celle du revenu net.
Cet écrit a paru, il y a cinq ans, dans la Revue indépendante. Nous étions sous la Monarchie. J’achève de le réimprimer au moment où l’on proclame la République.
Puisse la République n’être pas une Ploutocratie !
Boussac, le 10 mars 1848."

Inutile de dire que le tout nouveau député démocrate socialiste de la Creuse (un des rares défenseurs des Insurgés de Juin 48) avait vite déçu par la République de l’Ordre bourgeois. Ce qui ne l’empêcha pas de défendre le principe républicain au moment du coup d’État de 1851, ce qui lui valut l’exil...
Qu’écrirait-il aujourd’hui, quand notre monarque n’arrive pas à se débarrasser de la très justifiée appellation de « Président des riches » ?

Proudhon, réformiste... radical, juillet 1848

"La propriété emportera la République, ou la République emportera la propriété"

Dans les semaines qui suivirent l’écrasement de l’insurrection ouvrière de juin 1848, alors que se taisaient et tentaient de se faire oublier les leaders de la future démocratie socialiste, dont la plupart, comme Ledru-Rollin, avaient concrètement apporté leur appui à la répression, Proudhon (qui n’avait en rien participé à l’insurrection) fut un des rares députés qui osèrent publiquement prendre position en faveur du prolétariat et de la république démocratique et sociale, et marteler ses exigences : "Droit au travail. Gratuité au crédit. Banque nationale".
J’emprunte au site de l’Assemblée nationale le compte-rendu de son intervention du 31 juillet, qui resta célèbre par la violence et la bassesse des réactions des députés, et pas seulement des conservateurs. Proudhon (élu le 4 juin) ne défendait pourtant que deux mesures qui n’avaient rien de révolutionnaire... Marx, dont on connaît la violente polémique qui l’avait opposé à Proudhon en 1847, avait avant juin 48 souligné ironiquement la modestie et les limites de ce programme de réforme ; mais il va saluer aussitôt à chaud, dans son journal allemand Neue Rheinische Zeitung, le courage de Proudhon face à la meute réactionnaire qui, in fine, veut l’envoyer à Charenton, c’est-à-dire chez les fous...

« — Le citoyen Proudhon :
Citoyens représentants, vous êtes impatients, non pas de m’entendre, mais d’en finir. Le socialisme, depuis vingt ans, agite le peuple [2]. Le socialisme a fait la Révolution de Février : vos querelles parlementaires n’auraient pas ébranlé les masses [3]. Le socialisme a figuré dans tous les actes de la Révolution : au 17 mars, au 16 avril, au 15 mai. Le socialisme siégeait au Luxembourg, pendant que la politique se traitait à l’Hôtel de Ville. Les ateliers nationaux ont été la caricature du socialisme ; mais, comme ils n’ont pas été de son fait, ils ne l’ont pas déshonoré. C’est le socialisme qui a servi de bannière à la dernière insurrection ; ceux qui l’ont préparée et ceux qui l’exploitent avaient besoin, pour entraîner l’ouvrier, de cette grande cause. C’est avec le socialisme que vous voulez en finir, en le forçant de s’expliquer à cette tribune. Moi aussi, je veux en finir. Et puisque vous m’avez garanti la liberté de la parole, il ne tiendra pas à moi que nous en finissions avec le socialisme ou avec autre chose. (Rumeurs prolongées.)
J’avais écouté, avec l’attention qu’elles méritaient, les observations du comité des finances sur la proposition que j’ai eu l’honneur de vous soumettre ; j’ai lu, depuis, avec toute la diligence dont je suis capable, le rapport que vous avez entendu mercredi, et je déclare qu’après cette lecture je me crois plus fondé que jamais à insister sur l’adoption de mon projet. [...]
On a voulu écraser en moi, d’un seul coup, le socialisme, c’est-à-dire la protestation du prolétariat, et faire, par cette exécution, un pas de plus dans la voie réactionnaire. (Allons donc ! - Écoutez ! Écoutez ! - Laissez tout dire !)
La force du socialisme, sachez-le bien, ne tient pas au succès d’un individu. Mais, puisqu’on a fait d’une proposition financière une question de parti, je ne reculerai pas devant cette discussion ainsi élargie. Il sera prouvé aujourd’hui que ce sont les notabilités financières qui, depuis vingt ans, par leur ineptie, sont la cause de notre ruine. Grâce au comité des finances, le débat n’est point entre le citoyen Thiers et moi ; il est entre le travail et le privilège. [...]
Citoyens représentants,
La proposition qui vous est déférée n’est rien de moins, prenez-y garde, que la Révolution de Février ; et ce que vous allez faire pour l’une, vous le ferez pour l’autre. Vous ne savez rien de ma proposition, pas plus que de la Révolution (Réclamations.), ni le principe, ni le but, ni les moyens. Le comité des finances, qui, par sa spécialité devait vous les faire connaître, ne vous en a rien dit. Tout ce qu’il a soupçonné de mon projet, c’est qu’il était quelque peu révolutionnaire. Est-ce que le comité des finances accueille les idées révolutionnaires ? Est-ce que, dans cette Révolution de Février, il voit autre chose qu’une surprise, un accident déplorable ? Pour moi, je suis de ceux qui prennent au sérieux cette révolution, et qui ont juré d’en poursuivre l’accomplissement. Vous m’excuserez donc, citoyens, si, pour expliquer ma proposition, je reprends les choses d’un peu haut. Je serai, d’ailleurs, dans ces prolégomènes extrêmement bref. En 93, si la mémoire ne me trompe, au moment des plus grands dangers de la République, un impôt du tiers fut frappé sur le revenu. Je ne vous dirai pas comment fut établi cet impôt, comment il fut accueilli, ce qu’il rendit. Ce que je veux vous faire remarquer, et qui seul importe en ce moment, c’est qu’en 93 la propriété paya sa dette à la révolution. À cette époque, où il s’agissait d’être ou de n’être pas, la propriété, chose rare, fit un sacrifice au salut public : ce souvenir lui est resté comme un des plus atroces de ces jours immortels. Depuis lors, depuis cinquante-six ans, la propriété, je veux dire le revenu net, n’a contribué en rien à la chose publique. (Dénégations et rires.) Vous rirez après.
L’impôt établi sur le principe de la proportionnalité, sa seule base possible, a pesé constamment, de tout son poids, sur le travail. Le travail seul, je le répète à dessein, afin que l’on me contredise, le travail seul paye l’impôt comme il produit seul la richesse. La Révolution de 1848 est arrivée. Ses dangers, ses angoisses, pour être d’une nature toute différente, ne sont pas moindres que ceux de 93. Il s’agit donc de savoir si la propriété, si le revenu net, en tant qu’il se spécialise et se sépare du produit brut, veut faire pour cette révolution QUELQUE CHOSE ! En 93, la révolution combattait contre le despotisme et contre l’étranger. En 1848, la révolution a pour ennemis le paupérisme, la division du peuple en deux catégories, ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas. L’objet de la révolution de Février s’est formulé tour à tour de différentes manières : extinction du paupérisme, organisation du travail, accord du travail et du capital, émancipation du prolétariat ; tout récemment, droit au travail ou garantie du travail. Cette formule du droit au travail ou de la garantie du travail, est celle que vous avez adoptée dans votre projet de Constitution, articles 2, 7 et 132, et que vous maintiendrez, je n’en doute pas. (Bruit.)
Acceptant donc la détermination ainsi faite de la question révolutionnaire, le droit au travail, j’arrive tout de suite à ma proposition, et je me demande : en quoi consiste le droit au travail, et comment est-il possible de le réaliser ? [...]
Le travail pourrait être garanti, si la production avait un débouché sans limites : voilà mon premier raisonnement. Je ne crois pas qu’à cet égard je rencontre de contradicteurs. Si le travail, pris dans sa collectivité, était continuellement plus demandé qu’offert, il est évident que la garantie du travail existerait ; elle n’aurait pas besoin des promesses de l’État ; elle ne compromettrait point la liberté ni l’ordre. À cela, point de difficulté. Qu’est-ce donc qui nous empêche d’avoir en nous-mêmes un pareil débouché ? La puissance de consommation, dans la société comme dans l’individu, est infinie ; et si la plus grosse fortune ne suffit jamais à un homme qui sait vivre, quelle pourrait donc être la consommation d’un pays où l’amour du bien-être, le goût du luxe, le raffinement des mœurs, sont poussés à un aussi haut degré qu’ils le sont parmi nous, si la faculté de consommer était donnée à ce pays dans la mesure de ses besoins ? N’est-il pas évident que si, au lieu du produit chétif de 10 milliards, qui ne donne pas à chacun de nous 75 centimes par jour, il nous était permis de dépenser 100 milliards, 7 fr. 05 c. par jour et par tête, nous les dépenserions. (Mouvement.) Je ne dis pas que nous puissions en arriver là maintenant ; mais je dis que nous sommes capables de les dépenser. (On rit.)
Ce n’est donc pas, au fond, la volonté de consommer, par conséquent le débouché, qui manque ; c’est que la consommation est mal servie. Il y a quelque chose qui l’empêche, qui met sur elle l’interdit. Les magasins regorgent et la population est nue ; le commerce est stagnant et le peuple ne vit que de privations ! Tous, tant que nous sommes, nous voulons d’abord le bien-être et ensuite le luxe : nous produisons, autant qu’il est en nous, ce qu’il faut pour combler nos désirs ; les richesses sont là qui nous attendent, et nous restons pauvres ! Quel est donc ce mystère ? Ce qui empêche la consommation, ce qui, par une conséquence nécessaire, met le veto sur le travail, c’est que la circulation des produits est entravée. Et la circulation est entravée :
1° Par l’emploi exclusif de l’or et de l’argent comme instruments d’échange :
2° Par le loyer, ou péage, qu’il faut payer pour s’en servir ;
3° Par l’assimilation qui a été faite de tous les capitaux et instruments de production, notamment du sol, à l’instrument de circulation, au numéraire, en sens qu’on a établi partout sur les instruments de travail, comme sur l’argent des péages, et qu’on a rendu, pour les détenteurs oisifs, des corps essentiellement inertes productifs d’intérêts ;
4° Enfin, par la fascination de l’or et la fureur du monopole, dont les effets sont que chacun, au lieu de produire pour jouir, et par conséquent de consommer dans la mesure de son travail, produit pour accumuler soit de l’or, soit des capitaux, et, au moyen de cette accumulation, s’exempter ensuite du travail, vivre sans produire, exploiter les travailleurs. [...]
Le peuple, plus avancé sur ce point que les économistes, commence à le comprendre ; la classe ouvrière a analysé la puissance secrète qui arrête la circulation, ferme le débouché, amène fatalement la stagnation et la grève. Aux yeux du prolétariat, les caisses d’épargne et de retraite sont le sauve qui peut de la société moderne. Les financiers ignorent ces choses-là, ou, s’ils les savent, ils les dissimulent ; il y va de leur privilège. Le problème consiste donc, pour moi, non pas à établir une communauté impossible, à décréter une égalité illibérale et prématurée ; il consiste à supprimer les péages de toute nature qui pèsent sur la production, la circulation et la consommation, suppression que j’exprime par la formule plus technique, plus financière, de gratuité du crédit. (Interruptions diverses.)
La gratuité du crédit, telle est, en langage économique, la traduction de ces deux mots, insérés dans le projet de Constitution, la garantie du travail. Or l’intérêt de l’argent étant la pierre angulaire du privilège et le régulateur de toutes les usures, j’entends par là de tous les revenus de capitaux, c’est donc par l’abaissement progressif de l’intérêt de l’argent qu’il faut procéder à la gratuité du crédit, à l’abolition des taxes qui entravent la circulation et produisent artificiellement la misère. Et c’est à quoi nous parviendrons bientôt en créant une banque nationale dont le capital pourrait être porté, je raisonne ici suivant les idées de la routine financière, à 1 ou 2 milliards, et qui ferait l’escompte et la commandite, dans les conditions voulues, mais sans intérêt, puisqu’il implique contradiction qu’une société bénéficie sur elle-même. Ayons donc une banque nationale, organisons le crédit public, et, à moins que nous ne voulions entretenir, faire perdurer à tout jamais le privilège et la misère, il est clair qu’avec cette banque nous aurons, les frais d’administration et de bureau réservés, l’escompte pour rien, le crédit pour rien, et finalement l’usage des maisons et de la terre pour rien. (Hilarité générale prolongée.)
Et quand nous serons arrivés là (Nouveaux rires.), le principe d’action du commerçant et de l’industriel étant changé, l’amour du bien-être, des jouissances effectives se substituant, comme mobile du travail, à l’ambition et à l’avarice, le fétichisme de l’or faisant place au réalisme de l’existence, l’épargne cédant la place à la mutualité, la formation des capitaux s’opérant par l’échange même, la consommation deviendra, comme la faculté de jouir, sans bornes. (Longue interruption. - rires et exclamations diverses.) Un débouché sans fond sera ouvert au producteur, et la garantie du travail, de fait comme de droit, existera. Tel est, en raccourci, en ce qui concerne la garantie du travail, mon plan de réalisation, et je doute qu’on en puisse trouver d’autre. (Ah ! ah !)
Je reconnais donc, et je n’éprouve pas la moindre peine à faire cette déclaration, je reconnais, j’affirme que la garantie du travail est incompatible avec le maintien des usures et péages établis sur la circulation et les instruments de travail, avec les droits seigneuriaux de la propriété. (Exclamations.)
Ceux qui prétendent le contraire peuvent se dire phalanstériens [4], girondins ou montagnards ; ils peuvent être de fort honnêtes gens et d’excellents citoyens : mais, à coup sûr, ils ne sont pas socialistes ; je dis plus, ils ne sont pas républicains. (Nouvelles exclamations.)
Car de même que l’égalité politique est incompatible avec la monarchie ou l’aristocratie, de même l’équilibre dans la circulation et dans l’échange, l’égalité entre la production et la consommation, en autres termes la garantie du travail, est incompatible avec la royauté de l’argent et l’aristocratie des capitaux. Et comme ces deux ordres d’idées sont essentiellement solidaires, il faut conclure encore que la propriété, le revenu net, qui n’existe que par la servitude, est impossible dans une République ; et que, de deux choses l’une, ou la propriété emportera la République, ou la République emportera la propriété. (On rit. - Vive agitation.)
Je regrette, citoyens, que ce que je dis vous fasse tant rire, parce que ce que je dis ici vous tuera. (« Oh ! Oh ! » - Nouveaux rires.) [...]
La Révolution de Février, je le répète, n’a pas d’autre signification. (Chuchotements.)Abolir progressivement, et dans le plus court délai possible, tous ces droits du seigneur qui pressurent le travail, arrêtent la circulation et ferment le débouché ; par suite, et comme conséquence nécessaire, exciter une consommation insatiable, ouvrir un débouché sans fond, fonder sur une base indestructible la garantie du travail ; voilà, sans m’occuper des formes nouvelles d’une société ainsi établie, comment je conçois la possibilité de résoudre immédiatement, pratiquement, la question sociale. Voilà ce que j’appelle, improprement peut-être, abolir la propriété. Car, remarquons-le bien, ici point de dépossession, point d’expropriation, point de banqueroutes, pas de loi agraire, pas de communauté, pas d’intervention de l’État, pas d’atteinte à l’hérédité ni à la famille (Explosion de rires.) : annihilation du revenu net, par la concurrence de la banque nationale, c’est-à-dire la liberté, rien que la liberté. (Interruption.) [...]
Citoyens représentants, vous venez d’entendre ma profession de foi. Elle était nécessaire pour vous faire comprendre le sens de ma proposition et le rapport qui vous a été lu la rendait encore plus indispensable. On m’a accusé de dissimuler mes intentions, de n’oser dire ici ce que j’imprime depuis dix ans dans des brochures et des journaux. Vous m’êtes témoins aujourd’hui si je dissimule, si j’ai peur de dire à la face de la France ce que je crois, ce que je veux. Oui, je veux l’abolition de la propriété dans le sens que je viens de dire ; et c’est pour cela que, dans un article dénoncé à cette tribune, j’ai écrit cette phrase : La rente est un privilège gratuit, qu’il appartient à la société de révoquer. Mais, comme je l’ai fait observer, la révocation de ce privilège peut être subite et violente, telle, en un mot, que, dans l’exaltation de la colère, l’appelle un homme d’esprit, comme aussi elle peut être successive et pacifique. Je vous demande aujourd’hui, comme représentant du peuple, obligé, à ce titre, de ménager tous les intérêts, d’ordonner que cette révocation soit faite avec toute la lenteur et les ménagements que peuvent souhaiter les positions acquises, avec toutes les garanties de sécurité que peuvent exiger les propriétaires (Rires ironiques.)
Et c’est à fin de pourvoir aux voies et moyens de cette révocation, et nullement pour passer à une exécution immédiate que je propose de créer temporairement un impôt spécial, l’impôt sur le revenu au moyen duquel le pays sortirait de la crise, travailleurs et maîtres reprendraient la position qu’ils occupaient avant la Révolution ; la propriété dépréciée recouvrerait sa valeur ; le crédit public serait inauguré sur de nouvelles bases.
Voici donc [...] quel est le sens de ma proposition :
1° Dénonciation à la propriété, à la classe bourgeoise, du sens et du but de la Révolution de Février ;
2° Mise en demeure, adressée à la propriété, de procéder à la liquidation sociale, et, entre-temps, de contribuer, pour sa part, à l’oeuvre révolutionnaire ; les propriétaires rendus responsables des conséquences de leur refus, et sous toutes réserves. (Vive interruption.)
— Plusieurs membres : Comment ! Sous toutes réserves ! Expliquez-vous !
— - Le citoyen Dupin (de la Nièvre) : C’est très clair ! La bourse ou la vie !
— Voix nombreuses : Monsieur le président, faites expliquer l’orateur !
— Monsieur le président : L’orateur entend la demande ; je l’invite à s’expliquer.
— Le citoyen Proudhon : La réserve vient à la suite de la propriété. Elle signifie...
— Plusieurs membres : Nous avons bien compris !
— Le citoyen Proudhon : Elle signifie qu’en cas de refus nous procéderions nous-mêmes à la liquidation sans vous. (Violents murmures.)
— Voix nombreuses : Qui, vous ? Qui êtes-vous ?... (Agitation.)
— Le citoyen Ernest de Girardin : Est-ce de la guillotine que vous voulez parler ? (Bruit. - Diverses interpellations sont adressées de plusieurs côtés à l’orateur.)
— Le citoyen président : J’invite tout le monde au silence. L’orateur a la parole pour expliquer sa pensée.
— Le citoyen Proudhon : Lorsque j’ai employé les deux pronoms vous et nous, il est évident que, dans ce moment-là, je m’identifiais, moi, avec le prolétariat, et que je vous identifiais, vous, avec la classe bourgeoise. (Nouvelles exclamations.)
— Le citoyen de Saint-Priest : C’est la guerre sociale !
— Un membre : C’est le 23 juin à la tribune !
— Plusieurs voix : Laissez parler ! Écoutez ! Écoutez !
— Le citoyen Proudhon, reprenant : Ce que j’ai tenu à démontrer, par l’examen des moyens que je présente, c’est que ma proposition est aussi conservatrice des intérêts de la propriété, que décisive quant à l’objet même de la révolution. Ce qui fâche le plus dans mon projet, c’est que le résultat en est infaillible, c’est que rien de pareil ne s’est jamais vu en finances ; c’est surtout qu’il n’est point traduit ou imité de l’anglais10. On n’ose pas contester de manière absolue qu’un impôt sur le revenu soit injuste : on aurait contre soi les maîtres de la science, le vœu secret du fisc, l’exemple de l’Angleterre ; on aurait contre soi la conscience publique. [...]
C’est la première fois depuis que le vote de l’impôt est devenu la préroga­tive parlementaire, qu’on a vu accuser l’impôt de spoliation ! L’impôt sur le revenu une spoliation ! Que dire alors de l’impôt sur le travail ? Que c’est un assassinat !... [...]
Il suffit de montrer la chose, pour prouver à tout homme de bonne foi que cette propriété, dont on fait si ridiculement le palladium de la famille et de la civilisation, ne tient en réalité qu’à un fil, qui ne tardera pas à rompre, pour peu qu’on veuille encore le tendre. Nommer la banque nationale, c’est tuer d’un coup la propriété, sans raisonnement, sans phrase.
— Une voix : C’est cela, la mort sans phrase !
— Une autre voix : Au Moniteur le discours ! Son auteur à Charenton ! [...] [5]

Vers la Constitution et le Pouvoir présidentiel


Quand, comme nous l’avons vu, après quatre jours d’insurrection parisienne, la monarchie de Juillet est renversée et la République proclamée, le 25 février 1848. Il restait à l’organiser.
À la mi-mai 1848, se réunit la commission chargée d’élaborer la constitution de la Seconde République, les illusions lyriques de fraternité sociale étaient déjà bien oubliées.
Le 28 avril, votant pour la première fois au suffrage universel (masculin !), les électeurs avaient envoyé à l’Assemblée Constituante une majorité de notables, républicains « modérés », souvent orléanistes de la veille.
Cette assemblée avait désigné une commission à son image, où se côtoyaient républicains « modérés », dont Tocqueville, républicains radicaux d’avant 1848, désormais bien assagis, plus quelques représentants de la droite légitimiste, de la gauche républicaine avancée et de l’extrême gauche.
Malgré les nostalgies du bicamérisme équilibrant le pouvoir législatif, et dans le souvenir de la grande Convention (1792-1795), l’accord se fit sans trop de difficultés sur un pouvoir législatif confié à une assemblée législative unique.
Mais quid du pouvoir exécutif ? Allait-on, comme sous la Première République (1792-1799 - Convention puis Directoire), le confier à un collectif gouvernemental désigné par l’Assemblée ? La formule avait ses partisans. Mais la secousse sociale qui s’annonçait, et qui éclata en juin 1848, renfora les tenants d’un homme fort, d’un chef du pouvoir exécutif, élu par le peuple et non par l’assemblée comme sous la Convention. Et le général Cavaignac, républicain de la veille, « héros » de la guerre coloniale en Algérie, vainqueur impitoyable de l’insurrection ouvrière de juin, et pour l’heure chef à titre provisoire du pouvoir exécutif, semblait tout désigné.
Pour mieux faire passer la proposition, on va baptiser ce chef « Président de la République », titre qui n’avait jamais existé en France et qu’on emprunte à la république des États-Unis, sans tenir compte du fait qu’aux États-Unis, état fédéral à la différence de la France très centralisée, le pouvoir du président était équilibré de contre-pouvoirs considérables
Ainsi, chaussant les bottes de la défunte monarchie, c’est cette formule d’un monarque tout puissant maître de l’exécutif que choisit la commission, « car nous avions conservé l’esprit de la monarchie en en perdant le goût », écrit Tocqueville dans ses Souvenirs. Mais, derrière l’ombre de la monarchie, c’est déjà aux yeux des plus lucides celle de l’Empire qui se profile, car Louis Napoléon vient de remporter ses premiers et éclatants succès électoraux.

L’Algérie, toujours...


l’Algérie, toujours…
Les insurgés de juin 1848 prisonniers avaient été envoyés dans les bagnes algériens. Il s’agissait d’une entreprise d’éloignement et de punition, et non de peuplement.
Mais alors que les opérations de conquête continuent sans discontinuer, et que les militaires vainqueurs du Juin parisien, Cavaignac et Lamoricière, tous deux « soldats d’Algérie », poussent au développement de la colonisation, le 19 septembre 1848. L’Assemblée nationale vote un crédit de 50 millions de francs pour la création de 42 villages agricoles de peuplement français : entreprise tout à fait distincte de la condamnation des insurgés de juin [6].

Proudhon, le droit au travail, la République démocratique et sociale, octobre 1848

Lors de la discussion précédant le vote de la Constitution de la Seconde République (4 novembre 1848) [7], Proudhon s’explique sur l’organisation de la propriété, selon lui "dernière des garanties contre le communisme", communisme qu’il réprouve

« Il est deux points sur lesquels j’ai besoin d’édifier mes lecteurs, et qui motivent cette publication.
1 - Je n’ai pas pris la parole sur le droit au travail, lors de la discussion du préambule de la Constitution, d’abord parce que le droit au travail, tel qu’il m’est donné de le comprendre, étant repoussé par tout le monde, par la gauche révolutionnaire [8] comme par la droite conservatrice, je n’avais rien de mieux à faire que de garder le silence ; - en second lieu, parce que je voulais profiter de l’occasion pour en finir avec cette politique montagnarde [9], qui se dit républicaine et qui ne veut pas s’avouer socialiste [10], alors même que c’est par le socialisme, et uniquement par le socialisme, qu’elle définit la République.
J’étais accusé par la Montagne, je le suis encore, d’avoir perdu le droit au travail en posant devant l’Assemblée cette inquiétante alternative : Donnez-moi le droit au travail, et je vous abandonne la propriété. Je devais donc laisser le champ libre aux habiles, et ne point compromettre le succès de leurs plaidoiries par quelque formule sonnante et intempestive. Le public a jugé leurs arguments. Sans doute, il saute à l’esprit que le droit au travail, faisant seul la légitimité de la propriété, on ne peut garantir celle-ci, sans garantir à plus forte raison celui-là : sur ce terrain, qui est celui des principes, les orateurs du côté gauche ont eu facilement raison de leurs adversaires. Mais il fallait définir le droit au travail, en déterminer l’application, passer de la théorie à la pratique : et l’on avouera que sur ce point les tacticiens de la Montagne, bien qu’ils protestassent de leur respect pour la propriété, n’ont rien dit de fort rassurant pour elle. En présence de la diversité et du péril des utopies, un vote négatif devenait inévitable. Pour faire une loi, il faut au moins deux choses : un principe, une définition. Les avocats du droit au travail n’avaient à donner que le premier. Quand la majorité bourgeoise n’aurait pas été sur ses gardes, elle n’eût pas fait autre chose que ce qu’elle a fait : pouvait-elle, sans une haute imprudence, dessaisir la propriété, et s’aventurer dans l’inconnu ?
Non, il n’y a de droit au travail que par la transformation de la propriété, comme il n’y a de république digne de ce nom que la République démocratique et sociale. Le socialisme est nécessaire pour définir la République fondée en février. Si vous en ôtez le socialisme, votre République restera ce qu’ont été toutes les républiques, bourgeoise, féodale, individualiste, tendant au despotisme et à la reconstitution des castes, en un mot, INSOCIALE. L’honorable Ledru-Rollin l’a dit au banquet anniversaire du 22 septembre [11] : "la République doit être fondée sur des institutions sociales." - Pourquoi donc n’avoir pas porté franchement le toast A la République démocratique et sociale ! alors qu’on était forcé d’avouer que la République sans le socialisme n’est pas la République ? Pourquoi ces réticences, qui mécontentent le peuple, sans nous faire mieux agréer des bourgeois ?
2. J’avais proposé un amendement à l’article 13 du projet de Constitution, lequel contient, selon moi, toute la question du travail. [12]
J’ai retiré cet amendement : je vais expliquer pourquoi. Comme j’avais à parler surtout de la nécessité de donner des garanties à la propriété, après en avoir donné de si puissantes au travail, et que, dans les dispositions où je voyais l’Assemblée, j’avais lieu de craindre qu’au lieu d’adopter mon amendement, elle ne rejetât tout l’article, j’ai cru qu’il valait mieux, dans l’intérêt de la révolution, engager irrévocablement le pays, et laisser enferrer la propriété.
L’article 13 est donc sorti, presque sans discussion, de l’avalanche des amendements qui se retiraient et se dérobaient, aux éclats de rire de la majorité, et aux regrets de la gauche semi-socialiste, ou pour mieux dire semi-républicaine. Et pourtant l’adoption de l’article 13, tel que le proposait la commission de la Constitution, était tout ce que l’on pouvait souhaiter de mieux pour l’émancipation du travail et le châtiment de la propriété. Ce qui est voté est voté, et je défie qu’on en revienne. Dût la Constitution de 1848 ne durer pas plus que celle de 1793, ce qu’elle aura fait restera, au moins comme préliminaire : car si la loi n’a point d’effet rétroactif, le législateur non plus ne rétrograde pas.
Maintenant, il s’agit, en rétablissant les vrais principes, de montrer à tous la situation qui nous est faite par le vote de l’article 13. C’est dans ce but que je publie le discours que j’aurais lu à l’Assemblée nationale, si, au moment de la discussion, je n’avais jugé plus utile de me taire [13].
La question du travail et de la propriété est plus brûlante que jamais : et, s’il était possible de croire à une application sérieuse de la Charte [14] qui se vote en ce moment, j’ose le dire, à moins d’une institution pareille à celle que je propose, et qui rétablisse l’équilibre entre les deux principes, ce sera fait de la propriété.
Mais, à cette heure de vertige et de dissolution spontanée où le pays, par peur d’un inévitable avenir, est prêt à se rejeter dans un passé irrévocable ; où l’on voit des ministres exprimer à la tribune leur désespoir de la République, comment croire à l’efficacité d’une Constitution ? La meilleure Constitution est de n’en avoir aucune... Et dès lors à quoi bon les amendements ? Que la vieille société meure donc, puisque ses chefs le veulent, puisque ceux qui nous gouvernent ne se croient appelés que pour en prononcer l’oraison funèbre ! Et que le peuple se sauve lui-même ! J’écris pour l’acquit de ma conscience de publiciste [15], afin de marquer heure par heure le progrès de notre métamorphose : avis aux intéressés ! Le monde, que la raison de l’homme devrait diriger, ne va plus qu’à la garde de Dieu : méfiez-vous ! [16] »

Vers la Montagne

Il faut se figurer le climat qui suivit l’écrasement de l’insurrection de Juin : poursuite des arrestations d’insurgés, chasse aux présumés initiateurs de l’insurrection… La presse, si bouillonnante avant juin, est grandement muselée, au nom de l’Ordre. Ainsi par exemple cet arrêté signé du Président du Conseil Cavaignac le 21 août :

« Considérant que ces journaux, par les doctrines qu’ils professent contre l’Etat, la Famille ou la propriété, par les excitations violentes qu’ils fomentent contre la Société, les pouvoirs publics émanés de la Souveraineté du Peuple, contre l’Armée, la Garde Nationale, et même contre les Personnes privées, sont de nature, s’ils étaient tolérés davantage, o faire renaître, au sein de la Cité, l’agitation, le désordre et la guerre ;
Considérant que ces publications, répandues à profusion et souvent gratuitement dans les rues, sur les places, dans les ateliers ou dans l’armée, sont des instrumens de guerre civile et non des instrumens
 [17] de liberté »…


Dans ces conditions, les démocrates petits bourgeois de la Montagne [18] essaient de tirer leur épingle du jeu : ils avaient combattu l’insurrection, mais ils ne voulaient pas se couper de leur public populaire… D’où, face à l’autoritarisme de Cavaignac et à la popularité immense de Louis Napoléon Bonaparte, candidat à la Présidence, leur tentative de se regrouper en un mouvement cohérent et de soutenir aux élections présidentielles la candidature de Ledru-Rollin…

Démagogie du candidat Louis Napoléon Bonaparte, Extinction du paupérisme.

Dans sa campagne « ramasse tout » à l’élection présidentielle de décembre 1848, le candidat « au-dessus des partis » n’a pas manqué de s’adresser aux ouvriers, cruellement déçus par la jeune République après les répressions sanglantes de Rouen, Marseille, et la terrible insurrection de Paris. D’où la diffusion massive de la brochure « saint-simonienne » qu’il avait rédigée lors de sa détention, en 1844, et qu’il signait alors "Le Prince Napoléon-Louis Bonaparte" [1], et qui connaît en 1848 plusieurs éditions.

Mais cette fois, vous le constatez, l’homme providentiel qui s’dresse au peuple a oublié "le prince". Ainsi, en septembre 1848, Extinction du paupérisme, par Louis-Napoléon Bonaparte, Tremblaire, 4e édition, et encore, à la mi-novembre, quasi veille de l’élection, Extinction du paupérisme ou projet d’organisation agricole pour l’amélioration du sort des travailleurs par Louis-Napoléon Bonaparte, Représentant du Peuple, Édition populaire, 10 centimes, Paris, Rue Neuve-Saint-Eustache, 33. Cette dernière (financée en sous-main par son comité électoral) se présente, avec la caution d’Eugène Leveaux, « républicain de vieille date, Membre du Comité général démocratique pour l’élection du Président », comme une réponse aux calomnies que l’on fait courir sur le candidat.

« Avant-propos
Je dois dire un mot pour expliquer le titre de cette brochure.
On trouvera peut-être, comme un littérateur plein de mérite me l’a déjà fait remarquer que les mots « Extinction du Paupérisme » ne se rapportent pas directement à un écrit qui a pour unique but le bien-être de la classe ouvrière.
Il est vrai qu’il y a une grande différence entre la misère qui provient de la stagnation forcée du travail, et le paupérisme, qui est souvent le résultat du vice. Cependant, on peut soutenir que l’un est la conséquence immédiate de l’autre ; car, répandre dans les classes ouvrières, qui sont les plus nombreuses, l’aisance, l’instruction, la morale, c’est extirper le paupérisme, sinon en entier, du moins en grande partie.
Ainsi, proposer un moyen capable d’initier les masses à tous les bienfaits de la civilisation, c’est tarir les sources de l’ignorance, du vice, de la misère. Je crois donc pouvoir, sans trop de hardiesse, conserver à mon travail le titre d’Extinction du Paupérisme.
Je livre mes réflexions au public dans l’espoir que, développées et mises en pratique, elles pourront être utiles au soulagement de l’humanité. Il est naturel dans le malheur de songer à ceux qui souffrent.
Louis-Napoléon Bonaparte.
Fort de Ham, mai 1844. [1]

AGRICULTURE.
Il est avéré que l’extrême division des propriétés tend à la ruine de l’agriculture, et cependant le rétablissement de la loi d’aînesse, qui maintenait les grandes propriétés et favorisait la grande culture, est une impossibilité. Il faut même nous féliciter qu’il en soit ainsi.

INDUSTRIE. L’industrie, cette source de richesse, n’a aujourd’hui ni règle, ni organisation, ni but. C’est une machine qui fonctionne sans régulateur : peu lui importe la force motrice qu’elle emploie. Broyant également dans ses rouages les hommes comme la matière, elle dépeuple les campagnes, agglomère la population dans des espaces sans air, affaiblit l’esprit comme le corps, et jette ensuite sur le pavé, quand elle n’en sait plus que faire, les hommes qui ont sacrifié pour l’enrichir leur force, leur jeunesse, leur existence. Véritable Saturne du travail, l’industrie dévore ses enfants et ne vit que de leur mort.
Faut-il cependant, pour parer à ses défauts, la placer sous un joug de fer, lui ôter cette liberté qui seule fait sa vie, la tuer, en un mot, parce qu’elle tue, sans lui tenir compte de ses immenses bienfaits ? Nous croyons qu’il suffit de guérir ses blessés, de prévenir ses blessures.
Mais il est urgent de le faire : car la société n’est pas un être fictif ; c’est un corps en chair et en os, qui ne saurait prospérer qu’autant que toutes les parties qui le composent sont dans un état de santé parfaite.
Il faut un remède efficace aux maux de l’industrie : le bien général du pays, la voix de l’humanité, l’intérêt même des gouvernements, tout l’exige impérieusement.
[…]
Les caisses d’épargne sont utiles sans doute pour la classe aisée des ouvriers ; elles lui fournissent le moyen de faire un usage avantageux de ses économies et de son superflu ; mais, pour la classe la plus nombreuse, qui n’a aucun superflu et par conséquent aucun moyen de faire des économies, ce système est complètement insuffisant. Vouloir, en effet, soulager la misère des hommes qui n’ont pas de quoi vivre, en leur proposant de mettre tous les ans de côté un quelque chose qu’ils n’ont pas, est une dérision ou une absurdité. »
Le constat de l’ancien carbonaro rejoint celui de nombre de socialistes et utopistes de toutes tendances. Mais qu’en est-il des solutions proposées ?
Le titre et le sous-titre de la page de garde de l’édition de la mi-novembre indiquent la principale :
« Extinction du paupérisme ou projet d’organisation agricole pour l’amélioration du sort des travailleurs » - « Notre organisation ne tend à rien moins qu’à rendre, au bout de quelques années, la classe la plus pauvre aujourd’hui, l’association la plus riche de toute la France. »
« Qu’y a-t-il donc à faire ? Le voici. Notre loi égalitaire de la division des propriétés ruine l’agriculture ; il faut remédier à cet inconvénient par une association qui, employant tous les bras inoccupés, recrée la grande propriété et la grande culture sans aucun désavantage pour nos principes politiques.
L’industrie appelle tous les jours les hommes dans les villes et les énerve. Il faut rappeler dans les campagnes ceux qui sont de trop dans les villes, et retremper en plein air leur esprit et leur corps. [proposition qui emportait les suffrages des militants ouvriers avancés. Cf. la position de Benoît et Greppo.] La classe ouvrière ne possède rien, il faut la rendre propriétaire. Elle n’a de richesse que ses bras, il faut donner à ces bras un emploi utile pour tous. Elle est comme un peuple d’Ilotes au milieu d’un peuple de Sybarites. Il faut lui donner une place dans la société, et attacher ses intérêts à ceux du sol. Enfin elle est sans organisation et sans liens, sans droits et sans avenir, il faut lui donner des droits et un avenir, et la relever à ses propres yeux par l’association, l’éducation, la discipline. »
Louis-Napoléon propose donc que les 25 millions de prolétaires, « ceux qui vivent chaque jour de leur travail », puissent élire 2 millions et demi de représentants prudhommes qui les représenteront dans l’association qui affermera, puis rachètera, le quart du domaine agricole français.
« Dans chaque département, et d’abord là où les terres incultes sont en plus grand nombre », se créeront des colonies agricoles « offrant du pain, de l’instruction, de la religion, du travail à tous ceux qui en manquent, et Dieu sait que le nombre en est grand en France. Ces institutions charitables, au milieu d’un monde égoïste livré à la féodalité de l’argent, doivent produire le même effet bienfaisant que ces monastères qui vinrent, au moyen-âge, planter au milieu des forêts, des gens de guerre et des serfs, des germes de lumière, de paix, de civilisation. »
Outre la main-d’œuvre, volontaire, de ces colonies, chaque département aura un « surplus », un volant de travailleurs non engagés dans l’exploitation elle-même, mais chargés de défricher, de bâtir des asiles pour les infirmes et les vieillards, etc.
« Lorsque l’industrie privée aura besoin de bras, elle viendra les demander à ces dépôts centraux qui, par le fait, maintiendront toujours les salaires à un taux rémunérateur ; car il est clair que l’ouvrier, certain de trouver dans les colonies agricoles une existence assurée, n’acceptera de travail dans l’industrie privée, qu’autant que celle-ci lui offrira des bénéfices au-delà de ce strict nécessaire que lui fournira toujours l’association générale ».
Enfin, chaque colonie effectuera régulièrement un prélèvement sur ses bénéfices afin que chaque travailleur jouisse d’un pécule, garantie de son indépendance, de ses projets, de ses vieux jours, pécule qui sera géré par une véritable caisse d’épargne.
« Quand il n’y aura pas assez de terres à bas prix en France, l’association établira des succursales en Algérie, en Amérique même ; elle peut un jour envahir le monde ! car partout où il y aura un hectare à défricher et un pauvre à nourrir, elle sera là avec ses capitaux, son armée de travailleurs et son incessante activité ».
Ces perspectives grandioses, mais bien éloignées de la marche galopante du capitalisme industriel, sont complétées par un chapitre où l’auteur étudie minutieusement ce que seraient les recettes et dépenses d’une colonie modèle.
Cette brochure de 33 pages, et son entreprise « collectiviste » devant laquelle bien des conservateurs ont poussé des cris d’orfraie, ne pouvait que trouver un accueil favorable chez certains prolétaires, encore rattachés à la campagne par leurs origines directes. À tout le moins, même s’ils ne partageaient pas ses perspectives, elle témoignait, dès 1844, de l’intérêt du candidat pour la condition des « prolétaires » (au sens de l’époque), et de sa volonté, dans l’effet Eugène Sue, de séparer clairement la pauvreté fille du vice et la pauvreté fille de l’injustice sociale.

[1] Louis-Napoléon Bonaparte, 1808-1873, neveu de Napoléon. Condamné à l’emprisonnement à perpétuité après une tentative manquée de prise du pouvoir en 1840, il est emprisonné au fort de Ham dont il s’évade en 1846.
Le texte est donc écrit et publié au moment de son emprisonnement : Extinction du paupérisme par le prince Napoléon-Louis Bonaparte, Paris, Pagnerre, 1844

Démagogie du candidat Louis-Napoléon Bonaparte. L’Homme providentiel

On y reconnaîtra facilement la matrice idéologique de tous les césarismes qui suivront, de Boulanger au Général, et le fonds de commerce de celui qui nous guette aujourd’hui, sous l’égide d’une Femme grande bénéficiaire du suffrage universel (masculin - féminin). Discrédit des politiques gouvernants, union interclassiste pour redresser une situation catastrophique dans l’intérêt de tous, confiance dans le bon sens populaire, fierté tricolore et militaire, et bien sûr, cerise sur le gâteau, délégation de pouvoir à l’homme providentiel, dispensé de tout programme concret.

« ÉLECTEURS
La misère nous gagne chaque jour davantage.
Pourquoi ?
Parce que ceux qui nous gouvernent n’inspirent pas de confiance. En effet :
Qu’ont-ils fait pour la mériter ?
Le malheureux meurt de faim ;
L’ouvrier est sans ouvrage ;
Le cultivateur ne trouve plus l’écoulement de ses récoltes ;
Le commerçant ne vend rien ;
Le propriétaire ne reçoit plus ses revenus ;
Le capitaliste n’ose plus mettre ses fonds dehors, faute de sécurité.
La France, qui était si riche, dans quel état est-elle ?
La banqueroute du gouvernement est à craindre et nous menace !
Pour que la CONFIANCE, source de la prospérité d’une nation, se rétablisse, il nous faut à la tête du pouvoir un homme qui ait les sympathies du pays.
Napoléon sauva la France de l’anarchie à la première révolution !...
Le neveu du grand homme, avec son nom magique, nous donnera la sécurité, et nous sauvera de la misère. C’est ainsi que l’a compris une partie considérable de la nation, qui nous le dit par son mouvement prononcé vers la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République.
Cette partie de la nation est celle qu’on appelle le peuple, ce peuple laborieux et honnête dont il est dit : LA VOIX DU PEUPLE EST LA VOIX DE DIEU.
Aussi la majorité absolue des suffrages est-elle déjà acquise au citoyen Louis-Napoléon Bonaparte. Les nouvelles qui nous arrivent de toutes parts nous en donnent de plus en plus l’assurance.
Mais pour que la SÉCURITÉ, résultat de sa nomination, se fasse sentir sans retard (on en a grand besoin), il faut que l’élection du citoyen Louis-Napoléon Bonaparte soit faite à une MAJORITÉ IMPOSANTE.
C’est pour arriver à ce but, bien désirable dans ce moment si critique, que nous faisons appel :
Aux commerçants qui désirent voir reprendre les affaires ;
Aux cultivateurs qui ont besoin de vendre leurs récoltes à un prix raisonnable ;
Aux ouvriers qui ne peuvent vivre sans travail ;
Aux pères de famille qui veulent assurer le présent et l’avenir à leurs femmes et à leurs enfants ;
A l’armée, qui ne sera jamais sourde au nom de Napoléon ;
Aux électeurs de toutes les opinions, qui veulent le salut de la patrie ;
Pour que, d’un commun accord, et d’un vote unanime, nous nommions PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE le citoyen
LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE
(Une société de vrais amis du peuple.)

Le citoyen Louis-Napoléon Bonaparte étonnera par ses idées neuves, républicaines, démocratiques et sages. Lisez ses ouvrages, 36, rue Neuve-des-Petits-Champs, à la LIBRAIRIE NAPOLÉONIENNE. « 

Nil doute que les mêmes recettes démagogiques vont ressortir furieusement au retour à notre vie normale, si retour il y a…

Louis-Napoléon candidat au-dessus des conflits de classe


La vieille antienne, et plus que jamais présente aujourd’hui, de l’homme providentiel effaçant les conflits de classe au profit d’une rassurante unité nationale.

Raspail candidat socialiste révolutionnaire à la présidence de la République

Comment se pose clairement, pour la première fois, l’impossibilité pour des socialistes révolutionnaires de faire confiance aux petits bourgeois réformistes

Je donne ici, à titre de document, quelques extraits de l’Appel du comité central des républicains démocrates et socialistes des 14 arrondissements du département de la Seine en faveur de la candidature à la présidence de la République du chimiste et médecin François-Vincent Raspail,
obstiné lutteur pour la république démocratique et sociale dès avant la monarchie de Juillet.
Raspail était emprisonné depuis la journée révolutionnaire manquée de mai 1848, et pendant son incarcération, il avait été élu député de la Seine le 17 septembre 1848. Il n’était pas à proprement parler socialiste, mais sa candidature est présentée comme telle par un groupe de militants d’extrême gauche qui avaient échappé à la répression d’après Juin 1848. Ils se réunissaient rue et salle Montesquieu, sous la présidence de Genillier, enseignant de mathématiques, et avaient le soutien du journal de Proudhon, le Peuple.

L’élection était fixée au 11 décembre. Le Comité central avait publié le 23 novembre un manifeste qui fixait comme but au mouvement la destruction totale de la misère, de l’ignorance, de l’usure.
« Nous n’arriverons à ce but que par la réalisation complète du DROIT AU TRAVAIL, de L’ÉDUCATION ÉGALE POUR TOUS et de la GRATUITÉ DU CRÉDIT [19]. Seulement alors la révolution sera accomplie, seulement alors nous aurons la RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ET SOCIALE.
Au nom du Comité central, D’Alton-Shée, président ; Dupas ; Genillier, vice-présidents ; Pardigon, secrétaire.
 »
Ce sont ces quatre militants qui signeront l’appel dont je donne des extraits ci-dessous.
L’itinéraire d’Edmond d’Alton-Shée de Lignières ne laisse pas de surprendre : membre de la chambre des pairs et soutien du régime orléaniste, il se convertit à partir de 1847 aux idées démocratiques et sociales
Eugène Dupas, ouvrier horloger puis pharmacien, ami de Proudhon, avait activement participé à l’officielle Commission du Luxembourg, chargée de proposer une nouvelle organisation du travail afin d’améliorer le sort des travailleurs, avant que la dissolution des Ateliers nationaux et l’insurrection de Juin ne la rendent inutile.
Guillaume Genillier, enseignant les mathématiques, était un des principaux animateurs du Club [20]
Nous avons rencontre plusieurs fois sur ce site François Pardigon (voir ce mot clé). Ce jeune étudiant en droit avait activement participé aux débuts de l’insurrection de Juin. Arrêté, puis gravement blessé, il avait pu être libéré en août sur la recommandation de plusieurs représentants du peuple.

La candidature Raspail fut reçue comme une trahison par les démocrates petits-bourgeois de la Montagne, qui proposaient la candidature de Ledru-Rollin, et souhaitaient regrouper toute la gauche derrière son nom.
Les amis de Raspail refusent cette accusation de diversion néfaste. Ils le disent et le répètent : vu l’état actuel de l’opinion, un candidat socialiste n’a pas plus de chance d’être élu que le candidat de la Montagne. Mais la campagne électorale permettra de faire connaître publiquement et légalement les idées des uns et des autres, et de faire le tri entre les « démocrates » et les « socialistes ».
Ainsi se pose clairement pour la première fois la question du rapport de l’extrême gauche révolutionnaire à la gauche réformiste, question qui a traversé les générations et n’est pas éteinte aujourd’hui.

Voici quelques passages de la fin de l’appel pour la candidature Raspail :

« Laissons à ceux dont le jugement s’obscurcit dans des appétits immodérés de pouvoir, les espérances sans force et les affirmations sans valeur. Missionnaires de vérité, nous la devons à tous, et d’abord à nous-mêmes.
Ce n’est pas lorsqu’une partie de l’armée, trompée par un souvenir, les campagnes exaspérées contre la République par l’impôt des 45 centimes et dupes des fables les plus grossières, ce n’est pas quand les monarchiens de toutes branches, orléanistes ou légitimistes, soupirant après la guerre civile, vont peut-être infliger à la France l’humiliant affront d’une majorité absolue en faveur du porte nom de l’empereur, qu’il nous est permis de rêver la victoire.
Ce n’est pas lorsque la féodalité industrielle et l’aristocratie du capital sont coalisées pour le maintien des privilèges des écus, lorsque les satisfaits nouveaux de notre patriotique assemblée raccolent, dans les départements, toutes les gardes bourgeoises, ce n’est pas lorsqu’ils apprêtent pour leur retour l’acclamation de Cavaignac, ce frère de l’insurgé de 1832 [21], qui traîne au bagne les insurgés de juin 1848, qu’il est permis de se croire si près du but : à nous l’avenir prochain ; mais notre heure n’est pas sonnée ; sachons voter, organiser, travailler et attendre ; plantons notre drapeau et faisons bonne garde ! Minorité aujourd’hui, le Socialisme sera majorité demain.
Que les Montagnards et leurs journaux cessent donc de répandre des accusations injustes et de verser des larmes sur les conséquences funestes d’une double candidature, et surtout qu’ils n’oublient pas que c’est nous qui aurions le droit de juger et de maudire. Les socialistes pourront oublier ou pardonner tout ce qui n’est pas trahison : mais en allant à la bataille électorale contre la présidence, ils ne peuvent confier l’honneur et la charge de leur étendard à l’un des hommes qui repoussaient, il y a quelques jours à peine, la REPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ET SOCIALE au banquet du Chalet [22], et dont le pâle manifeste n’ose affirmer encore à la face des nations aucun des grands principes dont la fermentation met en feu, depuis neuf mois, les peuples de l’Europe entière.
[…]
En votant un président, les vrais socialistes veulent détruire la présidence [23]. Pour cette œuvre, il faut un révolutionnaire sans illusions, sans défaillance. – Le citoyen Ledru-Rollin n’est pas ce révolutionnaire.
[…]
Qu’on cesse d’appeler scissio [24] ce qui est une courageuse et intelligente initiative. S’il y a scission, elle n’est pas l’œuvre du Comité central, mais l’inévitable conséquence d’une différence de principes.
[…]
Depuis le 17 mars, la séparation n’a cessé de se faire entre les Démocrates et les Socialistes révolutionnaires. Les démocrates, sous la pression électorale, ont enfin accepté forcément la formule du Peuple : la REPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ET SOCIALE : Mais ces socialistes de la dernière heure se refusent encore à proclamer la guerre immédiate contre la ligue des rois, la substitution du travail au capital, et la séparation absolue, dans la constitution et au budget, de l’Église et de l’État.
Est-ce la faute du Peuple et de ceux qui le comprennent si la rapidité de la marche donne le vertige à quelques hommes ; si ; effrayés des obstacles et des dangers, énervés à la première étape, ces hommes refusent d’aller plus loin ?
Révolutionnaires de courte haleine, qui croyez le but atteint parce que vous tombez épuisés de courage et d’idées, prenez garde ! La France poursuivant ses destinées va vous abandonner sur la route. Nous vous tendons la main, relevez vous ! Mais malheur aux retardataires, le Peuple n’attend pas !
 »

Décembre 48, stratégie socialiste révolutionnaire

La défiance devant la démocratie socialiste de la Montagne
L’étiquette de « socialiste » ne mangeait pas de pain, tellement chacun pouvait la comprendre à sa façon dans l’opposition, y compris du côté de Louis Napoléon Bonaparte.
Il était donc urgent pour les véritables socialistes, malgré la répression et l’éparpillement de leurs maigres forces, de se situer par rapport à la Montagne.
Je reviens ici sur une initiative qui, à sa façon, annonçait (ou confirmait) l’avènement d’une mouvement socialiste ouvrier indépendant du mouvement démocratique petit-bourgeois : le Banquet des travailleurs socialistes du 3 décembre 1848. De Maurice Dommanget à Jacques Rancière et Jean-Claude Caron, et j’en passe, l’importance de l’événement n’a pas échappé aux historiens du mouvement ouvrier. Je propose aux lecteurs de ce site, en document, la lecture de quelques extraits commentés de son compte-rendu, publié au tout début 1849 [25].

À la mi-novembre 1848, un prospectus annonçait la tenue le dimanche 3 décembre 1848 à midi, à Paris, d’un Banquet des travailleurs socialistes, placé sous la présidence d’honneur d’Auguste Blanqui, emprisonné à Vincennes depuis la journée révolutionnaire avortée de mai. Les organisateurs insistaient sur le fait que ce banquet était réellement une initiative autonome de Travailleurs pour les Travailleurs [26]. L’ouvrier typographe Auguste Salières en était l’initiateur et le futur président [27]. La participation était de 75 c ., et l’invitation avait annoncé « que les femmes y seraient admises », ce qui honorait ces ouvriers socialistes, en un temps où la misogynie dominait, y compris dans les rangs des républicains, fort satisfaits d’un suffrage universel récemment conquis, mais suffrage « universel » seulement masculin. C’est ainsi que le couturière Désirée Gay (1810), ardente militante féministe et socialiste depuis les débuts de la Monarchie de Juillet, prendra la parole au moment des toasts comme « déléguée de l’association des lingères ».
Proudhon participa au banquet, ainsi que des représentants de divers courants socialistes. Le Comité central des républicains démocrates et socialistes pour la candidature Raspail [28] est présent : on retrouve son secrétaire l’étudiant en droit Pardigon (voir le mot clé), porteur d’un toast vibrant, et son vice-président, l’ouvrier horloger Dupas, délégué à la Commission du Luxembourg [29], qui lira du Raspail.
« Le citoyens Pierre Dupont a fait entendre son beau chant des Travailleurs [30]. »

Suivons donc l’introduction du compte-rendu :
« Onze cent invités et trois ou quatre cent curieux, en tout 1,500 personnes environ, parmi lesquelles 4 ou 500 femmes, y assistaient. On lisait sur la tribune, le nom du président du Banquet, le citoyen A. Blanqui, détenu au donjon de Vincennes, en face le nom du candidat des républicains socialistes, F.-V. Raspail. De loin en loin, sur des pancartes, on lisait aussi les noms des proscrits de la réaction les plus aimés du peuple : Louis-Blanc [31], Barbès [32], Albert [33]. »

Ainsi, au moment où, après le terrible trauma de Juin, les « démocrates-socialistes » petits bourgeois de la Réforme [34] et de Ledru-Rollin, (communément alors désignés sous le nom de la Montagne en souvenir de la Grande Révolution), s’organisent en vue de l’élection présidentielle des 10-11 décembre 1848, la question est posée aux militants ouvriers, socialistes ou communistes : se rallier à ceux qui, en rupture avec le mouvement républicain traditionnel, (indifférent aux questions sociales), se proclament dorénavant "socialistes", ou, quelle que soit la faiblesse actuelle du courant socialiste prolétarien, le poser en force autonome [35].

« Toutes les mauvaises passions qui se mettent ordinairement à la remorque d’une idée, chantent en ce moment sur les tons les plus faux et les plus discordants l’Hosanna du socialisme ; une fièvre ardente s’empare de la foules des ambitieux déçus... C’est que nous en sommes au moment suprême de l’élection du Roi (lisez Président) de la République [36] ; c’est que le nombre des adhérents au socialisme va toujours croissant, et qu’on peut brasser des candidatures et battre monnaie sur l’idée populaire, lorsqu’on est publiciste [37] ; c’est que le socialisme semble à ces parasites des idées, un terrain bon à exploiter en ce moment ; c’est qu’il paraît enfin à ces chevaliers de l’intrigue politique que, de même qu’aux premiers jours de la République, il y aura bien des heures de curée et d’exaltation pour eux au jour du triomphe du principe social [38].
Voilà pourquoi, étendards au vent (car les étendards ne manquent pas dans l’arsenal de ces messieurs) ils suivent le Peuple et son idée sur laquelle ils criaient haro ! naguère, quand elle se présentait sous un nom conspué de tous ; voilà pourquoi ils marchent, tambour battant, côte à côte avec lui, ce bon Peuple ; voilà enfin pourquoi ils paraissent marcher à la conquête de l’idée sociale, lorsqu’en réalité, ils ne tendent qu’à conquérir une position sociale.
"Nous sommes, nous crient-ils, les premiers de vos amis !" Aussi, veulent-ils à toute force nous ranger sous la bannière de leur grand lama Ledru-Rollin [39], un célèbre socialiste, dont ils veulent nous faire connaître dans leur entier les sublimes théories du rappel, et dont nous commençons à apprécier les ressources infinies de l’esprit pour centraliser et répartir, depuis que nous supputons le nombre des soldats qu’il a su tirer des provinces, pour terrasser, le 23 juin [40], l’hydre de l’anarchie !
Ne connaissant pas même le premier mot des questions sociales, qu’ils ont confidentiellement promis d’étudier (c’est quelque chose), ces gens viennent cependant de fonder un journal intitulé : La Révolution démocratique et sociale ! Quel espoir cela nous donne. Nous voyons déjà, dans peu de temps, Thiers, Dupin et consorts se déclarer socialistes. Ceci n’est qu’une question de degrés et de candidats.
C’était avant hier, la Révolution démocratique et sociale et son candidat Ledru-Rollin. Hier, c’était l’Atelier (journal des ouvriers honnêtes) [41], et son candidat Cavaignac [42]. N’en doutons pas, pour peu que l’avenir nous sourie, demain, la Presse [43] et le Constitutionnel, [44] et après-demain les Débats, [45] sans changer de programme [46], s’intituleront socialistes.
En face de ces amateurs de la forme, il faut incessamment poser l’idée, le véritable principe démocratique. Il faut planter notre drapeau hardiment.
C’est ce que quelques ouvriers ont déjà essayé de faire. C’est ce qu’ont fait enfin, à leur façon, les citoyens Legré, Salières, Gibot, Page, Morel, Castagné, Bouvier, etc., organisés en une commission de Banquet, sous le nom de Travailleurs socialistes [47].
Ainsi constitués, ils ont appelé d’une voix unanime le citoyens Auguste-Blanqui, détenu au donjon de Vincennes, comme président de droit à leur réunion fraternelle ; à cet effet, ils ont délégué un des leurs auprès du prisonniers pour lui faire part des sentiments des membres de la commission à son égard, et pour lui prouver que, malgré les calomnies dont on avait essayé de ternir sa vie, toute de luttes et de souffrances pourtant, quelques prolétaires avaient su apprécier tous ses actes passés, et avaient senti tout ce qu’il y avait en lui de nobles aspirations. »

Ces socialistes posaient donc clairement la nécessité de la distinction entre démocrates réformistes de la Montagne, et socialistes révolutionnaires.
Mais quid de leur socialisme ?
Tous le disent et le répètent, le socialisme, c’est la démocratie appliquée, qui fera naître l’égalité sociale. C’est par le contrôle de l’État que pourra s’accomplir ce changement définitif. Lutte essentiellement politique donc. J’y reviendrai bientôt.

Toast de Blanqui, décembre 48

Je donne ici le toast que Blanqui emprisonné a adressé au banquet des Travailleurs socialistes de décembre 1848 dont il a été amplement question sur ce blog [48]. Le toast est lu par le Président du banquet.
Ce texte qui à bien des égards peut apparaître obscur à de jeunes lecteurs d’aujourd’hui, peu au fait de l’histoire de la Grande Révolution, doit impérativement être replacé dans son contexte. Les démocrates socialistes petits bourgeois de Ledru-Rollin ont adopté l’appellation de « la Montagne », en hommage aux révolutionnaires de 1793. Le mot est encore brûlant en 1848. Même si la France a connu de prodigieux changements économiques, sociaux et politiques depuis 1793, le souvenir direct est encore présent, et particulièrement à Paris où se sont déroulées les journées révolutionnaires décisives. Songeons que pour un militant de 1848, la Grande Révolution se situe charnellement dans un temps vivant, comme pour nous par exemple 1968.

« Le citoyen Salières [49], a ouvert la séance par ces quelques mots :
Citoyens,
La commission du banquet des Travailleurs socialistes a choisi pour président le citoyen Auguste Blanqui, détenu au donjon de Vincennes [50] (Applaudissements).
Cette commission, composée d’ouvriers, appelant à ce banquet fraternel des ouvriers, a cru pouvoir, en leur nom, donner ce témoignage de gratitude à ce combattant infatigable de la démocratie, à cette victime incessante de la plus noble des causes, dont le pur dévouement a été payé par la persécution et la calomnie [51] !...
Citoyens, vous savez combien le socialisme est débattu ce moment ; ceux-là mêmes qui, si le socialisme pouvait se personnaliser dans un seul homme, tenteraient de rayer cet homme du livre de la vie, ceux-là mêmes se proclament socialistes. Ils s’en disent les adhérents et ils en repoussent les vrais principes [52]. Ceci présente un très grand danger pour nous. L’histoire des idées qui ont relié l’humanité à toutes les époques est là pour nous dire que ce sont ces mêmes amateurs de la forme qui souvent ont étouffé l’idée, ou du moins lui ont donné les proportions les plus mesquines. Aussi nous, prolétaires ; nous pour qui le mot socialisme est synonyme de celui d’affranchissement, nous venons essayer ici de poser l’idée véritable, le principe du socialisme... Nous le ferons à notre façon, avec notre cœur. Nous avons l’espoir qu’on nous tiendra compte de nos efforts. (Oui ! oui !)
Après ces paroles, le citoyen Salières donne lecture du toast du prisonnier :
« A la Montagne de 93 ! Aux Socialistes purs, ses véritables héritiers !
Citoyens, la Montagne a eu des inspirations sublimes, filles de l’Evangile et de la Philosophie ; mais elle n’a jamais connu ces théories positives, qui ne surgissent que lentement d’une sévère analyse du corps social, comme l’art de guérir naît des révélations de l’anatomie [53].
Toutefois, si la science lui a fait défaut, l’élan du cœur a suffi pour lui dicter l’immortelle formule de l’avenir : Liberté, Egalité, Fraternité ! et cet admirable symbole, la déclaration des droits, qui largement interprété contient en germe tous les développements de la Société future. Malheureusement, c’est la destinée des œuvres de génie qui ont remué le monde, de périr asphyxiées dans les nuages d’encens où les noient leurs superstitieux adorateurs ; l’esprit vivifiant du maître meurt étouffé par l’étroite observance du texte [54]. La loi de Moïse a succombé aux embrassements désespérés des Pharisiens ; le Coran va s’éteindre pétrifié dans l’immobilisme de ses sectateurs imbéciles ; et l’Evangile lui-même serait presque scellé dans la tombe par les mains idolâtres de ses disciples, devenus ses fossoyeurs, si sa pensée immortelle, s’échappant de la dépouille glacée autour de laquelle ils demeurent accroupis, n’avait reparu plus éclatante sous l’incarnation nouvelle qui doit la perpétuer dans l’humanité.
La déclaration des droits, formule née d’hier, subit déjà le sort des vieux dogmes, qui, dans leur période de décrépitude, se changent presque toujours en instruments de réaction contre l’œuvre rédemptrice des révélateurs. Le culte judaïque de la lettre a tué l’esprit révolutionnaire du symbole.
La vie militante de la Montagne a été courte, et s’est terminée comme celle du Christ sur le Golgotha. Mais ses actes sont un éclatant commentaire de ses paroles et donnent le sens véritable des enseignements qu’elle a répandus sur le monde.
A l’instar de Jésus, le consolateur des pauvres, l’ennemi des puissants, elle a aimé ceux qui souffrent et haï ceux qui font souffrir. Le trait saillant de son existence, c’est son alliance intime avec les prolétaires parisiens, non point qu’elle n’eût d’entrailles que pour les douleurs d’une seule ville, mais parmi tant de populations également courbées par la souffrance, elle trouva sous sa main pour la lutte ce groupe énergique, passionné par la conscience de ses misères, et elle en fit l’armée libératrice du genre humain.
Depuis le 10 août, chute de la monarchie, jusqu’au 4 prairial, dernière convulsion des faubourgs, le Peuple et la Montagne marchent comme un seul homme au travers de la Révolution, inséparables dans la victoire et dans la défaite. Voilà certes un magnifique rôle à reprendre ! et d’autant plus facile, que la lutte de 93 vient de recommencer en 1848, sur le même champ de bataille, entre les mêmes combattants, et, chose étrange ! presque avec les mêmes péripéties de chaque jour.
Que voyons nous ? Comme en 93, le privilège aux prises avec l’Egalité, et pour champions du combat, une majorité législative rétrograde se heurtant contre les masses de la démocratie parisienne.
Allons-nous retrouver aussi la Montagne, et sa fidèle confraternité d’armes avec le peuple.
Voici reparaître en effet ce grand nom ! Tous les soldats de la jeune phalange le portent avec orgueil, et jurent de fouler en braves les traces glorieuses de leurs devanciers.
Silence ! la barrière s’ouvre et l’action s’engage :
Qu’entends-je ! sous prétexte de Fraternité, M. Ledru-RoIlin, le chef du nouveau Mont-Sacré, demande impérieusement, contre le vœu populaire, la rentrée des troupes dans la capitale ? Est-ce là par hasard la tradition de la Montagne ? J’ouvre l’histoire, et je lis que la Gironde, palpitante de colère et d’effroi sous la pression des faubourgs ayant demandé la formation d’un camp de vingt mille hommes aux portes de la ville, pour couvrir la représentation nationale, la Montagne se soulève tout entière contre ce projet liberticide, agite la multitude, menace la majorité, et emporte enfin de haute lutte cette question de vie ou de mort. Paris demeure libre.
Nous avons été moins heureux, nous ! Et pourtant, éloigner les soldats de cette sanglante arène de la guerre civile où ils n’avaient à récolter que la haine ou la mort, c’était bien, je crois, les traiter en frères ! Les Montagnards ont préféré la fraternisation dans les rues. Qu’elle leur soit légère !
Qu’est-ce ceci, maintenant ? Le peuple se rend en colonnes du Champ-de-Mars à l’Hôtel-de-Ville, et M. Ledru-Rollin, le chef de la Montagne, le fait passer au laminoir entre deux rangées de baïonnettes ; puis il lance sur les anarchistes la contre-révolution écumante ! Je n’avais jamais vu cette manœuvre dans les campagnes de Marat ni de Danton. Est-ce que le héros du rappel aurait mal lu ce jour-là sa théorie montagnarde ?
Mais voici bien une autre aventure. Qui monte à cheval là-bas en tête de la garde nationale ? C’est M. Ledru-Rollin, le chef de la Montagne, qui conduit à l’Hôtel-de-Ville la réaction victorieuse, et au Donjon de Vincennes les patriotes prisonniers !
A merveille ? Et n’est-ce pas aussi M. Ledru-Rollin qui présente, la Montagne qui vote cette loi draconienne contre les attroupements ? Sans doute !
Ah ! grand Dieu ! Ces Montagnards ne seraient-ils que des Girondins ? Cependant, je lis bien sur leurs chapeaux le nom de Robespierre.
Patience ! Pour la fidélité du parallèle, aucune scène d’autrefois ne va manquer au drame d’aujourd’hui ; comme jadis, entre une majorité réactionnaire et les travailleurs parisiens, le flot montant des hostilités devait conduire fatalement à un 31 mai... Il éclate ! Non pas le 15 mai..., journée grotesque !... mais le 23 juin [55].
Ce jour-là, elle était debout la grande armée de la Montagne ; et qu’a-t-on vu ? Nos singes montagnards, jetant par dessus les moulins carmagnole et bonnet rouge, susciter des quatre points cardinaux tous les trésors de la colère fédéraliste, et précipiter sur Paris, comme une avalanche, les masses contre-révolutionnaires de la Province !
L’affront du 31 mai était vengé, la Babylone rebelle châtiée ! Et par qui ? Par la Montagne !
Malheur aux vaincus ! Ceux de juin ont vidé le calice jusqu’à la lie. C’est à qui leur trouvera des crimes. Victorieux, on leur eût demandé la place d’honneur sous leur drapeau ! Ils sont morts ! Toutes les bouches leur crachent l’anathème. La réaction en fait des échappés du bagne, la Montagne des stipendiés du monarchisme [56].
A quoi bon ce dernier outrage ! Dans quel but celle fable de l’or russe et ce voyage ridicule à la découverte d’embaucheurs dynastiques ? comme si la royauté pouvait aujourd’hui remuer un seul pavé ! Pourquoi cette misérable tactique qui fait rire de pitié amis et ennemis ? Sans doute pour rejeter toute solidarité avec les vaincus. Eh mais ! Chacun sait bien qu’il n’y a rien de commun entre eux et vous ; votre artillerie a suffisamment prouvé votre innocence. Peut-être aussi, à d’autres yeux, faut-il la justifier un peu, votre artillerie ; et voilà comment vous allez cherchant des meneurs imaginaires, aux dépens de l’honneur des morts !
Quoi ! Ce peuple parisien, le précurseur de l’avenir, le pionnier de l’avenir, le pionnier l’humanité, ce peuple prophète et martyr, ne serait plus qu’un troupeau de brutes que Pitt et Cobourg, une poignée de sel dans la main, conduisent à l’abattoir ! Et tout cela, parce qu’il a plu à M. Ledru-Rollin de faire une harangue à coups de canon ! Mitraillez, messieurs, ne calomniez pas ! Le 26 juin [57] est une de ces journées néfastes que la Révolution revendique en pleurant, comme une mère réclame le cadavre de son fils !
Vous tous, grands inconnus, que dévore par milliers la fosse commune ; pauvres Lazares tombés sous les balles dans la grande chasse aux guenilles, vous n’étiez que des mannequins ou des mercenaires du royalisme ! Vous aussi, monuments de la justice et de la clémence de nos maîtres, infortunées victimes des moutons ! Colfavru [58], Thuillier [59], écrivains frappés par derrière, nobles martyrs de la presse, pour qui la presse n’a pas eu une parole de protection ni d’adieu ! Et vous, mes vieux compagnons du Mont-Saint-Michel [60], Jarasse, Herbulet, Pétremann, vaillants soldats de Mai et de Février, trois fois coupables du crime de lèse-giberne, sachez tous là-bas dans votre fosse aux lions, que la razzia kabyle [61] vous a balayés comme ennemis de la République !
Et les sauveurs de la République, les Brutus, les Scevola, ce sont les généraux et les aides-de-camp de Louis-Philippe, les marquis du Faubourg-Saint-Germain, les saintes milices des congrégations ; puis aussi les glorieux décorés de Juin, tous furibonds royalistes de la veille, les princes et les ducs, intrépides conducteurs des gardes-nationales rurales ; ce sont enfin... les chouans, qui se levaient en masse, à la voix des prêtres, pour courir à Paris... Quoi !... prendre leur revanche de 93, venger leurs vieilles injures sur la ville impie ?... Eh non !... défendre la République contre ces brigands de Parisiens royalistes !
O vieilles formules ! Feux follets, qui faites tomber les montagnes dans les marais ! Voilà de vos coups ! Vous avez changé nos sénateurs en vicaires et en marabouts marmottant un chapelet qu’ils ne comprennent plus. Ce n’est pourtant pas votre faute ! Vous êtes toujours claires, mais les Montagnards ont les sens bien affaiblis.
Le monde a marché depuis 50 ans, et ils sont demeurés immobiles. La science a forgé pour le peuple des armes plus sûres, frayé devant ses pas une route plus large et plus directe ; mais ils s’obstinent à battre les sentiers d’autrefois sous une vieille panoplie rouillée, et ils crient au sacrilège sur toute nouveauté inconnue de nos pères. Ces Epiménide [62] se sont endormis pendant une séance de la Convention, et en se réveillant, ils ont pris place par mégarde sur les bancs de la droite. Puis, les voici qui jouent devant le public l’année 1793, avec paroles, costumes, et décors, tout enfin, excepté le sens de la pièce, comme ces Elleviou et ces Malibran de Quimper-Corentin qui s’imaginent trouver dans un vestiaire bien garni le gosier de leurs chefs d’emploi.
Le premier acte a ouvert par le décret des gilets à la Robespierre ; la représentation continue, et on ne nous fera grâce ni d’un couplet ni d’une réplique. La moindre coupure renverrait son criminel auteur devant le tribunal révolutionnaire.
Nos Epiménide ne reconnaissent d’autres vivants que les morts de 93, et, bon gré mal gré, ils affublent tout le monde d’un rôle dans leur comédie. En ce moment, c’est le second club des Cordeliers qui est en scène. Un député (infiniment plus neuf autrefois dans la salle Taitbout qu’aujourd’hui dans la rue Taitbout), ayant flairé le premier et dénoncé une conspiration hébertiste, les Montagnards ont aussitôt pris la piste.
Ils jurent que, pour tromper les chiens, les coupables ont changé de nom, qu’Hébert se fait appeler Proudhon et Chaumette Raspail. Ils cherchent partout Ronsin, Momoro, Vincent, Anacharsis Clootz, l’évêque Gobel, déguisés. Gare au curé de Saint-Eustache qui est socialiste. S’il tombe entre leurs mains, je l’engage, pour se tirer d’affaire, à protester qu’il n’est point l’abbé Gobel [63], mais l’abbé Grégoire, moyennant quoi on l’étouffera d’excuses et de caresses.
Les Jacobins ont prié M. Buchez [64]d’éclairer leurs perquisitions avec sa lanterne de l’Histoire parlementaire. Jugez de leur surprise ! Il leur a, dit-on, répondu, tout colère :
« Il n’y a pas besoin de chercher, c’est vous qui êtes des hébertistes, car vous n’admirez pas la Saint-Barthélemy. »
Il parait qu’au brusque réveil du 24 Février, tous les dormeurs ont fait un échange confus de leurs têtes, si bien qu’au milieu de ce tohu-bohu de physionomies dépareillées, M. Buchez, désorienté, prend pour des Hébertistes des Girondins qui se croient eux-mêmes des Montagnards.
On a couru alors aux renseignements chez Pierre Leroux, l’auteur de la Renaissance dans l’humanité. Mais le bon patriarche a dit aux questionneurs, de sa voix douce, qu’ils battaient la campagne, que sans nul doute les individus renaissaient indéfiniment de génération en génération, mais perfectionnés et meilleurs, que par conséquent il n’y avait plus, il ne pouvait plus y avoir ni Girondins, ni Montagnards, ni Hébertistes.
La réponse n’a pas convaincu, et les recherches se poursuivirent activement. On a déjà la preuve que le Peuple, journal d’Hébert-Proudhon n’est autre que l’ancien Père Duchêne déguisant son style.
Ces bouffonneries seraient fort drôles, si elles ne trouvaient moyen de devenir tragiques Par malheur, dans ce drame-parade, chaque scène de fou rire engendre aussitôt une scène de larmes et de sang. Les acteurs sont un peu interdits eux-mêmes du dénouement imprévu de leur première représentation. Ils se figuraient de bonne foi la donner au profit, et point du tout aux dépens, des travailleurs ; ils se consoleraient peut-être de la mésaventure par la réflexion qu’après tout ils jouaient une pièce à deux queues, dans le genre Ducis, l’une gaie, l’autre triste, et que tout le mal est venu d’une erreur de variante.
Mais cette foule d’incidents inattendus de situations improvisées en dehors et an rebours du libretto, les démoralise sérieusement et leur prête à rêver sur l’inconstance du public. Le romantisme politique a décidément perverti les esprits. Hors d’état de résister au torrent et de maintenir dans son intégrité la tradition classique, les académiciens de la Montagne se résignent, bien qu’avec douleur, à faire quelque sacrifice à la folie du jour, et à rhabiller un peu dans le goût nouveau leur vieux répertoire.
Au frac usé de Robespierre, on a cousu des lambeaux taillés au hasard sur Proudhon, Leroux, Cabet ou Fourier [65], et de tout ce bariolage on a bâti un costume éclectique des plus pittoresques en style vulgaire, un habit d’Arlequin, pendu maintenant comme enseigne à la porte du théâtre, et promené en pompe dans les rues, pour l’édification de la foule.
Sur la poitrine du mannequin brillent, étalées en trompe l’œil toutes les étiquettes socialistes, au grand dépit des légitimes propriétaires, les novateurs, qui voient leurs formules tourner en réclames pour l’hôtel des Invalides.
Ces frauduleux emprunts nous contraignent d’allonger notre devise en épithètes sans fin. N’est-il pas désastreux de s’appeler d’un nom plus interminable que celui d’un grand d’Espagne, et de mettre une demi-heure à proférer son cri de ralliement !
Nous sommes victimes du plus abominable guet-apens. C’est nous, socialistes, prétendus spoliateurs, que chacun dépouille à l’envi sans vergogne. On nous a pris jusqu’à notre nom, on nous soufflera notre ombre. Au surplus les Montagnards, ces cadets de la réaction, n’ont fait, en nous pillant, que suivre l’exemple de leurs aînés. S’ils nous escamotent aujourd’hui notre titre de socialiste, hier, les autres nous avaient arraché notre titre de Républicain.
Oui, ce beau nom de républicain, proscrit et bafoué jadis par la contre-révolution, elle nous l’a imprudemment volé, pour parer son front de ce laurier de notre victoire ! Elle nous a volé, avec la même audace, notre sublime devise Liberté, Égalité, Fraternité, si longtemps outragée par elle et couverte de boue, comme un symbole de sang et de mort !
Heureusement elle a repoussé notre drapeau.., c’est une faute... Il nous reste...
Citoyens la Montagne est morte !
Au socialisme, son unique héritier ! »

Ce discours, religieusement écouté, a excité, à diverses reprises, d’unanimes applaudissements dans l’auditoire. »

Le chansonnier Pierre Dupont, au banquet des travailleurs socialistes

À une époque où la chanson est un vecteur majeur de la vie politique.
Dans la présentation du Banquet des Travailleurs socialistes de décembre 1848 [66], Je signalais la présence du très connu chansonnier Pierre Dupont (1821). Il y interpréta son Chant des Ouvriers (intitulé Chant des Travailleurs dans le compte-rendu du Banquet), qu’il avait composé en 1846 [67].

Nous dont la lampe, le matin,
Au clairon du coq se rallume ;
Nous tous qu’un salaire incertain
Ramène avant l’aube à l’enclume ;
Nous qui des bras, des pieds, des mains,
De tout le corps luttons sans cesse,
Sans abriter nos lendemains
Contre le froid de la vieillesse,

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons
À l’indépendance du monde !

Nos bras, sans relâche tendus,
Aux flots jaloux, au sol avare,
Ravissent leurs trésors perdus,
Ce qui nourrit et ce qui pare :
Perles, diamants et métaux,
Fruit du coteau, grain de la plaine.
Pauvres moutons, quels bons manteaux
Il se tisse avec notre laine !

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons
À l’indépendance du monde !

Quel fruit tirons-nous des labeurs
Qui courbent nos maigres échines ?
Où vont les flots de nos sueurs ?
Nous ne sommes que des machines.
Nos Babels montent jusqu’au ciel,
La terre nous doit ses merveilles :
Dès qu’elles ont fini le miel,
Le maître chasse les abeilles.

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons
À l’indépendance du monde !

Au fils chétif d’un étranger
Nos femmes tendent leurs mamelles,
Et lui, plus tard, croit déroger
En daignant s’asseoir auprès d’elles ;
De nos jours, le droit du seigneur
Pèse sur nous plus despotique :
Nos filles vendent leur honneur
Aux derniers courtauds de boutiques.

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons
À l’indépendance du monde !

Mal vêtus, logés dans des trous,
Sous les combles, dans les décombres
Nous vivons avec les hiboux,
Et les larrons, amis des ombres ;
Cependant notre sang vermeil
Coule impétueux dans nos veines ;
Nous nous plairions au grand soleil
Et sous les rameaux verts des chênes.

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons
À l’indépendance du monde !

À chaque fois que par torrents
Notre sang coule sur ce monde,
C’est toujours pour quelques tyrans
Que cette rosée est féconde ;
Ménageons-le dorénavant,
L’amour est plus fort que la guerre ;
En attendant qu’un meilleur vent
Souffle du ciel ou de la terre,

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons
À l’indépendance du monde !

Rien de révolutionnaire, on le voit, mais la dignité revendiquée en un temps où le mépris des nantis renvoie l’ouvrier aux oubliettes de la société. Baudelaire en signalera l’importance et la qualité, j’y reviendrai.

Dupont chante donc cela en décembre aux convives du Banquet des Travailleurs socialistes.
Mais la terrible secousse de Juin 1848 avait suscité à chaud une autre chanson, qui lui avait attiré bien des attaques, tant du côté des partisans de l’Ordre que du côté des amis des Insurgés.
Pierre Dupont avait salué avec enthousiasme la République de Février 1848. Les journées de Juin le laissent, comme tant de démocrates, partagé entre la compréhension devant la révolte ouvrière, fille de la misère et de la faim, et l’approbation de son écrasement au nom de la légalité républicaine. Dans son Chant funèbre de juillet 1848, il se garde de toute prise de parti, de toute condamnation, et, alors que, dans l’Ordre rétabli, les prisons sont pleines et que les "transportations" s’organisent, alors que tant de Belles Âmes exigent la pire répression, Dupont appelle à la réconciliation et à la clémence. Il ne sera pas entendu.

La France est blanche comme un lis,
Le front ceint de grises verveines ;
Dans le massacre de ses fils,
Le sang a coulé de ses veines ;
Ses genoux se sont affaissés
Dans une longue défaillance.
O Niobé des temps passés,
Viens voir la douleur de la France !

Refrain
Offrons à Dieu le sang des morts
De cette terrible hécatombe,
Et que la haine et les discords
Soient scellés dans leur tombe !

Quatre jours pleins et quatre nuits,
L’ange des rouges funérailles,
Ouvrant ses ailes sur Paris
A soufflé le vent des batailles.
Les fusils, le canon brutal
Vomissant à flots sur la ville
Une fournaise de métal
Qu’attisait la guerre civile.

Combien de morts et de mourants,
Insurgés, soldats, capitaines !
Que d’hommes forts dans tous les rangs !
Peut-il rester encor des haines ?
Le pasteur tendant l’olivier,
D’une balle est atteint lui même :
"Oh ! que mon sang soit le dernier ! "
Dit-il à son heure suprême.

(Le pasteur est évidemment l’archevêque de Paris, Mgr Affre, venu en pacificateur devant une barricade, et abattu par une balle "perdue" - la garde nationale avait ouvert le feu derrière lui alors qu’il commençait à parler. Les insurgés se sont toujours défendus de ce meurtre).

La faim aux quartiers populeux
Est une horrible conseillère ;
Le lion, que brûle ses feux,
Rugit et quitte sa tanière.
Un peu d’or dans l’ombre semé,
Un flambeau de pourpre qui brille,
Font sortir tout un peuple armé
Quand le pain manque à la famille.

(Dupont reprend ici la thèse largement développée alors d’une implication légitimiste : les royalistes auraient acheté des "meneurs" qui poussèrent à l’insurrection).

Ce n’est pas sans avoir saigné
Que notre capitale est sauve ;
Grâce aux canons, l’ordre a régné,
On a traqué la bête fauve.
La mort a souillé l’eau des puits,
Des ruisseaux et de la rivière.
On n’a fait que peupler depuis
Les cachots et le cimetière.

Il ne reste, après ce grand deuil,
D’autre profit de la bataille,
Que des frères dans le cercueil
Et des prisonniers sur la paille.
O République au front d’airain !
Ta justice doit être lasse :
Au nom du peuple souverain,
Pour la première fois, fais grâce !

Il composera un peu plus tard le Chant des Transportés (les déportés), sur lequel je reviendrai.

Une promesse du Président Louis Napoléon Bonaparte, le jour de son élection

Dans la série "des mots se laissent dire" et des promesses présidentielles reniées, celle de Louis-Napoléon Bonaparte, prononcée le jour même de son élection (10 décembre 1848), vaut son pesant de moutarde :
"La République doit être généreuse et avoir foi dans son avenir ; aussi, moi qui ai connu l’exil et la captivité, j’appelle de tous mes vœux le jour où la patrie pourra, sans danger, faire cesser toutes les proscriptions et effacer les dernières traces de nos discordes civiles." –
Trois ans avant le sanglant coup d’État de décembre 1851 qui s’accompagna, on le sait, d’une vague de fusillades, emprisonnements, déportations et proscriptions...
Un grand ancien pour nos modernes prometteurs de bonjours.

résultat des élections

La Constitution est pourtant votée par l’Assemblée en novembre, et le Président est élu par le peuple (masculin) en décembre.

La campagne a été donc brève. Elle a suffi au candidat Louis Napoléon pour rassembler, avec la bénédiction des conservateurs, les suffrages de la majorité des ruraux et des ouvriers des villes, déçus par la République. Cavaignac est écrasé.
Le 11 décembre 1848, Louis-Napoléon l’emporta facilement (74,31 %) sur le candidat du régime, Cavaignac « bourreau de Juin » (19,61 %).
Ledru-Rollin, candidat des démocrates radicaux, s’effondrait à 5,07 %, et Raspail, arrivé quatrième devant d’autres petits candidats, dont Lamartine, socialiste révolutionnaire, n’obtenait que 0,49 %.
Une caricature italienne du temps :
Lamartine chasse Louis-Philippe, Cavaignac chasse Lamartin, Louis-Napoléon chasse Cavaignac.

https://journals.openedition.org/chrhc/5150?lang=en

voici le commentaire de Karl Marx, Les luttes de classe en France, (1848-1850),
" Le 10 décembre 1848 fut le jour de l’insurrection des paysans. C’est de ce jour seulement que data le Février des paysans français. Le symbole qui exprimait leur entrée dans le mouvement révolutionnaire, maladroit et rusé, gredin et naïf, lourdaud et sublime, superstition calculée, burlesque pathétique, anachronisme génial et stupide, espièglerie de l’histoire mondiale, hiéroglyphe indéchiffrable pour la raison des gens civilisés - ce symbole marquait sans qu’on puisse s’y méprendre la physionomie de la classe qui représente la barbarie au sein de la civilisation. La République s’était annoncée auprès d’elle par l’huissier ; elle s’annonça auprès de la République par l’empereur. Napoléon était le seul homme représentant jusqu’au bout les intérêts et l’imagination de la nouvelle classe paysanne que 1789 avait créée... Napoléon, ce n’était pas un homme pour les paysans, mais un programme. C’est avec des drapeaux et aux sons de la musique qu’ils allèrent aux urnes, aux cris de : Plus d’impôts, à bas les riches, à bas la République, vive l’Empereur ! * Derrière l’empereur se cachait la jacquerie. La République qu’ils abattaient de leurs votes, c’était la République des riches.
Le 10 décembre fut le coup d’Etat des paysans qui renversait le gouvernement existant. Et à partir de ce jour où ils eurent enlevé et donné un gouvernement à la France, leurs yeux furent obstinément fixés sur Paris. Un moment héros actifs du drame révolutionnaire, ils ne pouvaient plus être relégués au rôle passif et servile du chœur.
Les autres classes contribuèrent à parfaire la victoire électorale des paysans. L’élection de Napoléon, c’était pour le prolétariat la destitution de Cavaignac, le renversement de la Constituante, le renvoi des républicains bourgeois, l’annulation de la victoire de Juin. Pour la petite bourgeoisie, Napoléon était la suprématie du débiteur sur le créancier. Pour la majorité de la grande bourgeoisie, l’élection de Napoléon, c’était la rupture ouverte avec la fraction dont il lui avait fallu se servir un instant contre la révolution, mais qui lui était devenue insupportable dès qu’elle chercha à faire de sa position d’un moment une position constitutionnelle. Napoléon à la place de Cavaignac, c’était pour elle la monarchie à place de la République, le début de la restauration royaliste, les d’Orléans auxquels on faisait des allusions timides, le lys caché sous la violette. L’armée enfin vota pour Napoléon contre la garde mobile, contre l’idylle de la paix, pour la guerre.
C’est ainsi qu’il arriva, comme le disait la Neue Rheinische Zeitung, que l’homme le plus simple de France acquit l’importance la plus complexe. Précisément parce qu’il n’était rien, il pouvait tout signifier, sauf lui-même. Cependant, aussi différent que pouvait être le sens du nom de Napoléon dans la bouche des différentes classes, chacune d’elles écrivit avec ce nom sur son bulletin : A bas le parti du National, à bas Cavaignac, à bas la Constituante, à bas la République bourgeoise. Le ministre Dufaure le déclara publiquement à l’Assemblée Constituante : le 10 décembre est un second 24 février
".

Dorénavant vont devoir coexister, dans une stricte séparation des pouvoirs, le président tout puissant chef de l’exécutif, et l’assemblée législative élue au printemps 1849. Deux légitimités fondées par le vote populaire. Mais celle du président a l’avantage d’être fondée sur le vote du peuple tout entier, et non celui de collèges départementaux. En cas de conflit, qui tranchera ? L’Assemblée ne peut démettre le président, le président n’a pas le droit de la dissoudre… Mais il dispose de la force armée.
On connaît la suite.

Loin de désespérer ces militants, démocrates ou socialistes révolutionnaires, ces résultats les incitèrent à un intense travail de propagande qui donnera ses fruits électoraux dès 1849. Mis ceci est une autre histoire que nous traiterons dans une autre série de documents.

Notes

[1Vincent Peillon, avant de devenir ministre socialiste, publia un très intéressant ouvrage : Pierre Leroux et le socialisme républicain. Une tradition philosophique, Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2003, dans lequel il opposait la pensée de Leroux à celle de Marx.
En redécouvrant le continent quelque peu oublié du républicanisme socialiste et libertaire du XIXe siècle, l’ouvrage s’inscrivait dans l’espérance de rénover la gauche réformiste. On connaît la suite, qui n’aurait certes pas réjoui Pierre Leroux. Le gouvernement socialiste dont Vincent Peillon fut ministre n’a guère mis en œuvre les bons principes dont Vincent Peillon se réclame dans son ouvrage, et n’a guère montré que ses solutions étaient meilleures que celles du marxisme "vulgaire". Bien au contraire.

[2Cf. : rubrique 10

[3C’est la révolution populaire qui a tranché les hésitations de l’opposition dynastique

[4Socialistes utopiques

[5Moniteur Universel,
 n° 214 du 1er août 1848, pages 1826-1831

[7Triste constitution, qui pour la première fois dota la France d’un Président, qui plus est élu au suffrage universel et doté des pleins pouvoirs exécutifs : cette constitution sera la matrice de la constitution de la cinquième République et de la monarchie bien peu républicaine sous laquelle nous vivons

[8Il s’agit des blanquistes, mais pas des partisans de Raspail, bientôt candidat à la Présidence, j’y reviendrai

[9Il s’agit des démocrates petits-bourgeois de La Réforme, dirigés par Ledru-Rollin

[10Ce n’est qu’un an plus tard que cette « Montagne » se nommera « démocrate socialiste

[1122 septembre 1792, proclamation de la République

[12Article 13 du projet de Constitution : "La Constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l’industrie. La société favorise et encourage le développement du travail par l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle, l’égalité de rapport entre le patron et l’ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les associations volontaires, et l’établissement par l’État, les départements et les communes, de travaux publics, propres à employer les bras inoccupés. - Elle fournit l’assistance aux enfants abandonnés, aux infirmes et aux vieillards sans ressources, et que leurs familles ne peuvent secourir." Proudhon proposait d’ajouter, après le premier point : "Elle assure et maintient la division des propriétés par l’organisation de l’échange."

[13Le droit au travail et le droit de propriété, par P.-J.Proudhon, Représentant du Peuple, Paris, Vasbenter, 5 octobre 1848

[14Constitution

[15Journaliste

[16Trois ans plus tard, le Président de la République violera la Constitution et prendra tous les pouvoirs, avant de devenir quelques mois après Empereur sous le nom de Napoléon III

[17Graphie de l’époque

[18Référence à la Montagne de la Grande Révolution

[19On reconnaît l’influence de Proudhon. Cf. ses articles précédents sur ce site. Voir ce mot clé.

[20En compagnie d’un autre enseignant de mathématiques, Gustave Lefrançais, militant actif dans le secteur de l’enseignement. Cf. Instituteurs socialistes, 1849 et Prolétaires et instruction publique. Aux origines de la laïcité : de la Révolution à la Seconde République... et une réflexion d’aujourd’hui.

[21Godefroi Cavaignac, frère du général, avait été une des têtes du mouvement républicain sous la monarchie de Juillet

[22Banquet parisien du Chalet, pour l’anniversaire de la République le 22 septembre. Proudhon fait la même remarque dans article 797.

[23Voilà, en matière de Constitution, la grande différence entre les démocrates petits bourgeois et les socialistes révolutionnaires. De même que nos socialistes de 1958-1962, les premiers avaient activement participé à l’élaboration de cette Constitution qui dotait la France d’un président au pouvoir écrasant. On connaît la suite. Les socialistes révolutionnaires refusaient ce principe de l’élection d’un véritable monarque présidentiel, qui n’hésiterait pas à se maintenir par la force

[24Scission dans le camp de la Gauche

[25Banquet des travailleurs socialistes, Paris, Page, Imprimerie Baudruche, 1849

[26Le banquet était accueilli par l’Association des cuisiniers, barrière du Maine

[27Salières avait été le rédacteur gérant de l’éphémère (un numéro !) Le Peuple souverain, journal des travailleurs, organe du club des Travailleurs libres

[28Cf. : article 799.

[29Née de la Révolution de février, la commission des délégués du Luxembourg était une organisation ouvrière et patronale ayant pour but de former un ministère du Travail. Ce qui n’adviendra jamais, grâce aux manœuvres des républicains bourgeois et du parti de l’Ordre

[30En fait Le chant des Ouvriers, composé en 1846

[31Journaliste, promoteur de l’aphorisme communiste selon lequel « l’égalité n’existera d’une manière véritable que lorsque chacun […] produira selon ses facultés et consommera selon ses besoins » (Organisation du travail, 1839. Président de la commission du Luxembourg où il n’arrive pas à obtenir un véritable ministère du travail. Promoteur des ateliers nationaux. Il siégea à l’Assemblée nationale pendant les journées de juin sans y participer, mais il fut accusé de les avoir soutenues et il dut s’exiler

[32Armand Barbès, ardent militant républicain sous la monarchie de juillet et socialiste modéré après février : le 16 avril, il s’était à la tête de gardes nationaux opposé à la manifestation ouvrière dirigées par Louis Blanc et Blanqui ; mais il se rallia in extremis à la tentative insurrectionnelle du 15 mai, et fut condamné à la déportation

[33Alexandre-Albert Martin, dit l’ouvrier Albert, ouvrier mécanicien modeleur, militant des sociétés secrètes d’avant la Révolution. Ami de Louis Blanc et de Marx. Premier membre d’un gouvernement français issu de la classe ouvrière, il était vice-président de la commission des délégués du Luxembourg (voir plus haut). Après avoir dirigé la manifestation insurrectionnelle du 15 mai, il fut arrêté, puis déporté

[34Voir ce mot clé

[35La candidature de Raspail, emprisonné depuis le printemps, voulait répondre à ce second choix

[36On voit que Macron n’a pas été le premier à être traité de monarque. C’est la Constitution qui fait roi le président, et notre constitution est directement inspirée de celle de 1848. Ces socialistes sont alors parmi les rares critiques de cette Constitution ouvrant la porte au pouvoir personnel, constitution qui, répétons-le, est la matrice de la nôtre. Les républicains "modérés" au pouvoir l’avaient mitonnée sur mesure pour offrir ce pouvoir à leur "héros (et sauveur) de Juin", le général Cavaignac. Ce fut Louis-Bonaparte qui en profita

[37Journaliste, propagandiste

[38Rappelons-nous Mitterrand en 1981

[39Le dirigeant démocrate-socialiste

[40Début de l’insurrection ouvrière, que, dans leur immense majorité, les démocrates petits-bourgeois ont condamnée, voire combattue

[41Journal de Buchez

[42Le candidat officiel

[43E. de Girardin

[44Thiers

[45Bertin

[46Les trois principaux journaux du temps, qui n’ont jamais brillé, on s’en doute, par leurs sympathies socialistes. Les deux premiers font alors campagne pour la candidature de Louis Napoléon

[47Legré, ouvrier tailleur ; Salières, ouvrier typographe ; Gibot, ouvrier charpentier ; Page, ouvrier bijoutier ; Morel, ouvrier cordonnier ; Bouvier est artiste peintre, qui soutient que, au contraire des calomnies bourgeoises, le socialisme est l’avenir de la science et de l’art. Tous porteront des toasts vibrants, comme également l’ouvrier en parapluies Ostyn, missionnaire socialiste dans les départements, et l’ouvrier typographe Debock. Cette liste est bien représentative de ces prolétaires de l’Atelier, autodidactes militants

[48Sur le banquet, cf. :article 813, article 815.

[49L’ouvrier typographe Salières, actif propagandiste socialiste, avait été le rédacteur gérant de l’éphémère (un numéro !) Le Peuple souverain, journal des travailleurs, organe du club des Travailleurs libres

[50Blanqui est emprisonné depuis la tentative insurrectionnelle manquée du 15 mai. Il a été condamné à dix-ans de prison

[51Déjà emprisonné comme dirigeant de société secrète en 1836-1837, Blanqui avait été condamné à mort après l’insurrection de 1839, peine commuée à la réclusion, de 1840 à 1844

[52Il s’agit évidemment des démocrates socialistes de « la Montagne »

[53Blanqui se réfère au socialisme dit justement scientifique, qui procède de l’analyse concrète de la situation de la société

[54On pourrait facilement appliquer cette remarque à bien des sectarismes stériles d’aujourd’hui

[55Début de l’insurrection ouvrière parisienne

[56Pour justifier leur engagement dans la répression de l’insurrection ouvrière, les démocrates socialistes de Ledru-Rollin affirmaient que l’insurrection était initiée et manipulée par les royalistes, avec l’aide financière des puissances hostiles à la République française

[57L’insurrection est définitivement écrasée ce jour

[58Jean-Claude Colfavru, avocat, militant républicain, emprisonné pour son soutien à l’insurrection de Juin

[59Rédacteur et gérant du très répandu bi-hebdomadaire Le Père Duchêne, Gazette de la Révolution

[60La terrible prison où Blanqui avait été enfermé sous la Monarchie de Juillet

[61Allusion à la guerre de conquête de l’Algérie, où se sont signalés tous les chefs militaires, et en particulier Cavaignac, le général vainqueur de l’insurrection de Juin

[62Poète grec inspiré et devin

[63Évêque constitutionnel qui coiffa le bonnet rouge

[64Philippe Buchez, promoteur du socialisme chrétien et du journal l’Atelier.

[65Trois penseurs socialistes, et un communiste : Cabet

[66Cf. : article 813.

[67Écrite, publiée, et fort diffusée en 1846-1847, cette chanson de Pierre Dupont connut évidemment une seconde jeunesse sous la Seconde République, avec des résonances différentes avant et après Juin 1848 :
Le chant des Ouvriers par Pierre Dupont. Prix : 2 sous. Paroles et musique. A Paris, chez l’Auteur, rue de l’Est, 17. Impr. Bautruche. Tantestein et Cordet, 90 rue de la Harpe. 1848

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