Carle Vernet, Pavie
La Campagne d’Italie, dit la chronique, révéla le génie militaire du jeune général de 26 ans. Il apparaît moins dans la chronique que cette Campagne révéla aussi un criminel de guerre. Dans son ouvrage Bonaparte et les Républiques italiennes, Paris, Alcan, 1895, Paul Gaffarel, pourtant favorable au général, ne put que le révéler, au grand dam des admirateurs du général et futur Empereur.
Au moment où la cavalerie française dispersait les derniers émeutiers milanais [1], des nouvelles redoutables parvenaient à Bonaparte (24 mai) : embrasement de la campagne milanaise, et prise de Pavie, à quelques lieues au Sud de Milan, par les paysans insurgés que prêtres et nobles appelaient au massacre des Français.
Les prêtres et les "aristocrates" qui avaient couru la campagne n’avaient pas eu grand mal à lever les troupes de cette Vendée lombarde. Dans sa fameuse proclamation à une armée d’Italie déguenillée (31 mars), Bonaparte, on le sait, avait promis la gloire, mais il avait aussi promis le butin. Les instructions officielles du Directoire étaient formelles : l’armée devait vivre sur le pays. "Guerre aux tyrans, paix aux chaumières", "respect des personnes et des biens", ces beaux discours ne furent qu’un écran de fumée pour cacher, au-delà des officielles et énormes réquisitions, les exactions et le pillage généralisé auxquels se livraient les soldats de l’armée de la République, encouragés par des chefs comme Masséna.
Le 25, Bonaparte prit le chemin de Pavie insurgé ; l’armée française rencontra à Binasco un fort détachement de paysans insurgés qui venaient d’attaquer un détachement français. Bonaparte écrase sans mal des insurgés à peine armés, et fait incendier le village. Il écrit à son chef d’État major Berthier : « nous avons rencontré un millier de paysans à Binasco, nous les avons battus. Après en avoir tué cent, nous avons brûlé le village, exemple terrible et qui sera efficace ; nous marcherons dans une heure sur Pavie, où l’on dit que les nôtres résistent toujours. » (La garnison française était en effet enfermée dans la citadelle).
Le lendemain, les troupes françaises enfonçaient les portes de Pavie où s’étaient retranchés un millier d’insurgés. Les insurgés sont écrasés. Un prisonnier sur dix est fusillé. Napoléon autorise ensuite un pillage répressif de trois heures. On imagine : vols, exactions, viols, incendies… Dans sa mansuétude, Bonaparte osera couvrir cette atrocité en spécifiant qu’il aurait pu raser la ville et exterminer toute sa population.
De retour à Milan, Bonaparte fit fusiller tous les habitants capturés les armes à la main, et prit de nombreux otages, dont la vie était suspendue à toute reprise de l’agitation.
Il se rend ensuite à Brescia, d’où il renouvelle sa proclamation "aux peuples du Milanais" : « Tous les villages où sonnera le tocsin seront sur le champ brûlés. – Tout homme trouvé avec un fusil et des munitions sera fusillé tout de suite. – Toute maison où sera trouvé un fusil sera brûlée ; à moins que le propriétaire ne déclare à qui il appartient. – Tous les nobles et riches qui seront convaincus d’avoir excité le peuple seront arrêtés comme otages, transportés en France et la moitié de leur revenu confisqué. »
Bonparte justifiera évidemment son attitude par la nécessité de ne pas laisser se développer sur l’arrière de ses troupes une rébellion à laquelle des contingents isolés de l’armée autrichienne, comme celui qui était resté muré dans la citadelle de Milan, auraient pu prêter main-forte. Il espérait que la terrible répression découragerait toute agitation anti-française.
Il était loin du compte, car les années 1796-1799 sont emplies d’insurrections populaires dans d’autres régions d’Italie, toutes seront réprimées aussi cruellement.
C’est ainsi que, dès 1796, allait s’affirmer la terrible réputation de l’armée française. On comprend mieux la mentalité et les actes d’hommes formés à cette école ; Bugeaud par exemple, qui servit de la même façon en Espagne contre l’insurrection populaire, et qui, bien après la chute de Napoléon, agira de même contre le peuple de Paris (cf. le massacre de civils, rue Transnonain) et contre les populations civiles lors de la guerre d’Algérie.
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