Il y a dans ma bibliothèque un ouvrage qui ne s’y serait jamais trouvé si je n’avais pas signé mon ouvrage sur l’insurrection varoise de 1851 à la fête du livre de Toulon. Je signais à côté de l’historien Yves Roman, qui présentait son Marc Aurèle. L’empereur paradoxal, Biographie Payot, 2013. (Marc Aurèle, né en 121, régna de 161 à sa mort en 180).
Quiconque a fait l’expérience de ce genre de situation sait qu’une sorte de syndrome de Stockholm peut s’installer entre des gens que rien ne rapproche, sinon la contiguïté des sièges. Et que le respect humain peut amener à des questions, voire des achats inattendus.
Mon voisin a manifesté l’intérêt poli minimum pour mon bouquin, mais a certainement dû être quelque peu énervé par le défilé de connaissances, les échanges de souvenirs et de points de vue (dont certains en provençal) qui parasitaient un peu l’étroit espace réservé à chacun.
De mon côté, j’ai quand même acheté son livre, non pour me faire pardonner cet envahissement, mais parce que le sujet m’intéressait vraiment.
Je ne regrette pas. Pertinente et stimulante mise au point en effet sur le paradoxe de cet empereur philosophe stoïcien, ami de la paix, qui passa sa vie en guerres cruelles et en répressions religieuses (Blandine !). Je vous laisse découvrir les clés du paradoxe en lisant l’ouvrage. Mais j’avoue ne pas les avoir toutes saisies immédiatement.
Ma première réaction a été celle de l’indignation devant la cruauté de l’empereur, et, partant, de l’inanité des idéologies quand elles aussi évidemment démenties par la réalité.
On peut voir à Rome, piazza Colonna, face au gouvernemental palais Chigi, la colonne érigée pour célébrer les victoires de Marc Aurèle sur les Marcomans (Germains) et Sarmates (Scythes) établis au Nord du Danube. Un de ces hauts reliefs illustre et magnifie sans complexe la façon dont les soldats de Marc-Aurèle le philosophe traitaient leurs prisonniers : la décapitation de masse. Des dizaines de milliers de victimes...
Terrible prix à payer pour assurer la Pax romana, ou saloperie humaine assumée, qui en annonce d’autres ? J’en étais resté à cette interrogation en 2019.
Or il m’apparaît aujourd’hui que c’est au contraire au nom de son idéologie que l’Empereur a ainsi agi. Son stoïcisme lui intimait de se conduire conformément à la place que le destin lui avait assignée, et dont il ne devait pas déroger. Sa cruauté relève donc de ce que nous appellerions aujourd’hui la raison d’État. Il fallait sauver l’Empire, et il n’y avait pas d’autres moyens que ceux utilisés, qui n’avaient vraiment rien d’humaniste ! Donc Marc Aurèle aurait agi en bon stoïcien...
Est-ce que ceci explique cela ?
C’est sans doute ce que nous diront tant d’historiens thuriféraires, prompts par exemple à passer aux pertes et profits l’abominable traitement de la Westphalie par le Roi Soleil et les innommables exactions de la guerre napoléonienne d’Espagne. Il fallait bien, nous dit-on, desserrer à tout prix l’étau germanique, ou encore assumer le triomphe des idéaux révolutionnaire sur l’obscurantisme, et peu importait le prix humain.
Et Guy Mollet le guesdiste assumant le prix humain terrible de ses décisions de l’an 1956 au nom de la défense de la population française des départements d’Algérie et de la lutte contre l’aliénation religieuse obscurantiste…
Seul comptait le but. Pour ne pas dire, "la fin justifie les moyens", même si d’aucuns colonels et généraux le disaient...
Bref, si nous en sommes là avec les chefs d’État vraiment philosophes, qu’en sera-t-il des médiocres et des malades qui peuvent nous gouverner ? Les tenants de tous bords de la realpolitik trouveront toujours matière a couvrir, sincèrement ou pas, leurs terribles choix politiques de défense ou d’agression par une fidélité à leur égoïsme national et à leurs principes laïcs ou religieux.
In God we Trust, dit encore et toujours la bonne conscience étasunienne… Et Bush et Blair criminels de guerre peuvent reposer à jamais en paix
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