La toute récente image d’un trou noir
On ne saluera jamais assez Élisée Reclus, géographe, communard, libertaire, écologiste avant l’heure…
L’introduction de son ouvrage L’Homme et la Terre [1] est ainsi titrée : « L’Homme est la Nature prenant conscience d’elle-même ».
La formule a fait flores, et innombrables sont ceux qui l’ont reprise pour fonder un optimisme que le réel immédiat est bien en peine de leur fournir.
Ceux qui, avec Descartes, ont pensé que, grâce à nos connaissances et techniques sans cesse approfondies et multipliées, nous pouvions nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature [2], posaient l’homme devant la nature, comme deux entités distinctes.
Les anciens grecs étaient moins dichotomiques qui classaient l’homme comme une espèce parmi d’autres du zôon (le vivant en général), mais qui, à la lumière du mythe [3], expliquaient que l’homme se différenciait des autres animaux par cette intelligence particulière, ce logos que lui avait attribué Prométhée : quand les dieux façonnèrent les espèces mortelles, et chargèrent les titans Épiméthée et Prométhée de les pourvoir des qualités leur permettant de subsister. Épiméthée fit seul le travail et le fit bien, mais il oublia la race humaine. Prométhée, voyant l’homme si nu et dépourvu au regard des animaux dotés des moyens de « s’en sortir », lui donna la connaissance des arts de la survie par le feu qu’il vola dans l’atelier d’Héphaïstos. Prométhée en fut cruellement puni par les dieux, mais désormais l’homme inventa les moyens de se vêtir et de se nourrir…
Je vous renvoie au célèbre texte d’Eschyle : Prométhée, naissance de la civilisation. La vision d’Eschyle du passage de la préhistoire à l’histoire
Nous en sommes déjà là à l’homme « possesseur » de la nature. Mais il est loin d’en être le connaisseur. Et tout l’effort de la philosophie grecque, dans son cheminement vers la rationalité, fut de rendre la nature compréhensible à l’homme.
Cette compréhension a atteint aujourd’hui un tel niveau que l’homme commence à être au clair sur la formation de notre système solaire et de notre planète, sur son évolution géologique et climatique, sur ses équilibres (qu’il est d’ailleurs en train de bouleverser).
Pour autant, peut-on, sauf téléologie difficile à admettre pour un matérialiste conséquent, que l’être pensant que nous sommes, du seul fait de la somme de connaissances accumulées, est en fait la nature prenant conscience d’elle-même ?
Nous sommes loin alors de Platon et de ses disciples pour lesquels l’humanité est un des modes d’incarnation de l’âme. En réussissant à contempler l’intelligible, l’âme se rapproche de la perfection, mais elle n’a aucune prise sur cette vérité dont elle approche.
Retour donc à la case départ. L’homme connaît de mieux en mieux de qui existe et dont il participe. Mais ce qui existe n’a aucun besoin de la connaissance de l’homme pour exister. Ça existe.
Libre aux mystiques qui s’ignorent d’imaginer que leur connaissance de la nature les instaure en nature prenant conscience d’elle-même.
Si cela était, la nature serait vraiment suicidaire, au regard de ce que l’humanité, désormais en totalité capitaliste, est en train de faire de l’infirme partie de l’univers dans lequel elle se déploie et tire ses ressources.
Trou noir...
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