J’ai, comme vous sans doute, dans mon entourage, des personnes qui reviennent d’un séjour en Grèce, ou qui envisagent d’y aller : « C’est si beau, et c’est si bon marché ! »…
Parlons donc un peu de cette Grèce paradisiaque.
On dit que l’âge rend sage et perspicace. Je dois avouer que je n’en suis pas un bon exemple, car à propos de la Grèce j’ai dû conserver une bonne part de ma naïveté de jeunesse. Naïveté dont je vais faire abondamment état en notes, non par narcissisme, mais pour me confronter à mes illusions d’antan.
À preuve, l’enthousiasme (prudent) avec lequel, comme tant d’autres alors, j’avais salué en janvier 2015 la victoire électorale de la coalition de la gauche radicale Syriza, dirigée par Alexis Tsipras [1]. Mais salué avec la plus grande prudence, je le répète en preuve de mon obstination dans l’inquiétude [2].
Cette victoire entérinait la déroute d’une gouvernance sociale démocrate à laquelle la droite avait bien volontiers passé le bébé de la catastrophe financière, gouvernance socialiste inefficace qui s’était prolongée par un gouvernement d’Union nationale, socialistes et droite confondus. Et Mme Merkel avait clairement signifié à ce gouvernement que les Européens et le FMI ne verseraient pas de nouvelles tranches d’aide tant que la Grèce n’aurait pas accepté la tutelle écrasante de la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international).
Évidemment la sommation allait peser encore plus sur le nouveau gouvernement Syriza.
« Vae Victis », (Malheur aux vaincus), s’écria le Gaulois Brennos en jetant son glaive dans la balance qui pesait la rançon de la reddition romaine…
Le nouveau gouvernement était à la discrétion du vainqueur, dans les pseudo négociations qui suivront l’élection, sauf s’il choisissait de rompre avec l’Euro et avec les structures de l’UE.
Le gouvernement allemand le savait bien, qui se conduisit comme Brennos vis à vis de la Grèce, en refusant plus que jamais toute restructuration de la dette.
Ils avaient vraiment la mémoire courte, ces chrétiens démocrates et sociaux démocrates embarqués dans la même galère gouvernementale, en oubliant qu’en 1953 la RFA n’a dû son salut qu’à l’allègement radical de son énorme dette. Mais vérité au Nord ne saurait être vérité au Sud, dans ces pays bronze-culs de l’Europe. Seuls Die Linke et les Verts sauvèrent alors l’honneur du pays de Gœthe
Je me souviens de l’émotion alors ressentie devant l’intervention de Manoliz Glezos au parlement européen, répondant à la sommation méprisante d’un président social démocrate allemand [3].
Dans un premier temps la Grèce ne plia pas. En juillet 2015, à l’initiative du gouvernement, les électeurs approuvèrent massivement le rejet de la tutelle. J’avais salué cet όχι (Non !) avec enthousiasme, mais encore une fois avec prudence [4].
Bref, j’y croyais encore. Mais avec de moins en moins d’illusions
[5].
Pour autant, je n’aurais jamais imaginé que Tsipras en définitive passerait aussi rapidement sous ces fourches caudines : « There is no alternative » comme disait Margaret Thatcher (TINA). Pas d’alternative à la domination du pouvoir autoritaire financier assumée par l’Union européenne.
Avant les nouvelles élections législatives de Septembre, et alors que Tsipras avait déjà commencé à lâcher du lest, j’avais suivi avec angoisse les manœuvres de la commission européenne [6].
Je constatais sans surprise le rôle plus qu’ambigu du président Hollande, présenté comme un sauveur [7].
Je constatais alors avec consternation la réaction dichotomique de la gauche de la gauche : où on approuve entièrement le reniement de Tsipras, ou on le stigmatise totalement [8].
Et je ne me faisais guère d’illusion sur les vœux pieux du parti de gauche et du PCF [9].
En dépit des messages de soutien à Syriza émanant de la gauche de la gauche, la colonisation de la Grèce devint un fait accompli et le reniement de Tsipras fut présenté comme une mesure de bon sens devant l’inéluctable.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Tsipras persiste et signe
À quelques jours des élections européennes, il accorde une interview au Financial Times et envisage l’accélération des réformes qui ont ruiné les retraités, mis à bas la santé publique, livré le pays aux privatisations et aux investisseurs étrangers.
Financial Times
Marianne
Comparaison n’est pas raison, mais on peut se demander ce qu’il adviendrait si l’équivalent de Syriza arrivait aux affaires dans un pays de l’UE. Quels seraient ses moyens de défense contre l’offensive inévitable de la Troïka ? Ses dirigeants éviteraient-ils une palinodie à la Tsiras ?
En attendant, et pour en revenir aux élections européennes, après avoir reçu lu attentivement les propositions des formations la gauche de la gauche (c’est-à-dire celles qui ne sont pas sociales-démocrates), je ne doute pas que leurs députés proposent et fassent avancer des mesures positives, mais je ne peux que me demander, comment, au lendemain du scrutin, leur petite minorité pourra enfin obtenir les indispensables modifications de structures de l’UE. On peut douter que leur présence au Parlement européen, aussi souhaitable soit-elle, puisse y suffire. Les enjeux se traiteront alors, peut-être, sur d’autres terrains.