Plutôt sédentaire ces temps-ci, j’ai un peu repicoré, pour le plaisir, dans la série télévisée de David Chase, les Sopranos ; (oui, je sais, j’aurais plutôt dû relire nos grands classiques, mais bon, ça n’empêche pas).
Mais revenons au Sopranos.
Étonnant de constater, au-delà des impératives références au Parrain, les clins d’œil que David Chase envoie aux grands ancêtres. À plusieurs reprises, Tony Soprano regarde des films en noir en blanc. Tout cinéphile aura reconnu en particulier l’horrible et mythologique scène de L’Ennemi public (The Public Enemy, de William A.Wellman) où le frère de Tom ouvre la porte et voit tomber le cadavre de Tom (James Cagney) ficelé dans son linceul sanglant. Guerre des gangs sur fond de Prohibition.
Et n’oublions pas Le Petit César (Little Caesar) de Mervyn LeRoy, et son thème désormais classique : l’ascension de Rico Bandello, un ambitieux petit délinquant italo-américain (Edward-G. Robinson), délinquant ambitieux qui détrône ses chefs, mais finira mal… Film de gangsters, oui, mais à condition qu’une "happy end" (force reste à la Loi !) ne vienne pas occulter la noire réalité de la société capitaliste.
En fait au moins deux films de la Warner, que la France découvrit peu après leur sortie américaine en 1931.
J’ai traité sur ce site du succès de L’Opéra de Quat’sous, de Pabst, qui, sur fond de critique sociale, mettait en scène dans Londres l’osmose conflictuelle des Grands de ce monde et des grands délinquants…
Le succès immédiat « chez nous » des films américains de gangsters procédait d’une tout autre logique, et initiait la prégnance de la culture étatsunienne qui s’imposera quinze ans plus tard…
On sait (ou on oublie) que le recours à ces peu coûteux films B n’a dû son avènement qu’à la sévère passe budgétaire que connaissait la Warner avec la crise. En ces débuts du parlant, le studio préférait de loin la comédie musicale et l’opérette divertissantes, jugées en phase avec les goûts du public. En fait, dans un contexte de permissivité qui oubliait volontiers le code de censure puritain, les films de gangsters trouvèrent immédiatement un public américain considérable, et, par ricochet, un public européen, et notamment français.
L’inoubliable Scarface de Howard Hawks suivra un peu plus tard.
Ceci dit, je n’imagine pas que nos jeunes des Cités qui se délectent toujours du Scarface de Brian de Palma aient quelque connaissance et considération pour ces grands ancêtres...
À partir de 1934, sous la pression des églises, des conservateurs, et de la fameuse Légion de la Décence, une chape de plomb s’abat sur le cinéma américain. Les Studios courbent l’échine, c’est l’avènement de l’ère de la Censure. Un avènement qui trouve bien des approbateurs dans une certaine France d’alors, celle qui accouchera du pétainisme : préservons la jeunesse des contaminations malsaines et référons nous aux recommandations de l’Office catholique du cinéma...
Mais quid alors de la critique communiste, alors si remarquablement illustrée par Léon Moussinac ? Comment allait-elle réagir à ce tournant idéologique du creuset du capitalisme, dont elle ne cessait de dénoncer l’emprise ?
Contrairement à une légende, la critique cinématographique communiste de l’entre-deux guerres ne s’intéressait pas qu’aux films soviétiques (auxquels naturellement elle faisait la part belle), qu’à Chaplin ou qu’aux films français et allemands à contenu social, comme l’Opéra de quatre sous de Pabst. Attentive à l’engouement du public populaire pour les films d’évasion, elle analyse la production hollywoodienne de films divertissants, romantiques ou sentimentaux, et n’est pas prise au dépourvu par le passage de cette production aux films de gangsters avec le célèbre Petit César, en 1931 (déjà mentionné sur ce blog), premier et archétype d’une longue série....
L’Humanité – 10 avril 1935 - se gausse de ce moralisme de Tartufes :
" Edward-G. Robinson qui fut l’inoubliable « Little Caesar » dans le premier film de gangsters, revient à ses premières amours dans The Whole Town’s Talking ("Toute la ville en parle"), où il incarne un double rôle, celui d’un bandit et d’un modeste bureaucrate [1].
Hollywood va nous resservir des films sur les gangsters, ne faut-il pas suivre l’actualité ! Mais suivant le désir qui est un ordre formulé par Will (Tzar) Hays [2], la morale de tous ces films sera « que le crime ne paye pas » et que force reste à la loi. Aussi les exploits de Dillinger et « Baby Facce » Nelson ne seront-ils pas évoqués dans les productions suivantes : "Toute la ville en parle", "L’Agent fédéral Dick", "Docteur Socrate", "L’affaire Farrel", et la suite ; à bientôt. "
Et dans tout ça, les films de gangsters made in France en ce début des années Trente ? J’y reviendrai...