Suite de Le Prolétaire, 17 janvier 1880. Aux Travailleurs ! Pour la Révolution sociale !
Première tentative d’un lieu de rencontre entre les diverses chapelles socialistes. La présentation de la revue par Benoît Malon et la liste détaillée des collaborateurs envisagés :
Au Congrès ouvrier de Marseille (20-31 octobre 1879), les thèses collectivistes révolutionnaires l’avaient emporté de peu sur la minorité réformiste et sagement corporatiste, grâce à une fragile coalition mêlant marxistes, anarchistes et autres socialistes sans étiquette, dont les cheminements ultérieurs seront divergents et parfois inattendus.
Cette majorité initie le processus de fondation d’un parti de classe, Parti ouvrier, qui s’appellera dans un premier temps Fédération du Parti des travailleurs socialistes de France.
Mais quel socialisme ?
Guesde et ses amis, on l’a vu, militent pour le collectivisme, et sont fermement opposés (c’est un euphémisme) aux tendances socialistes qui ne l’admettent pas.
D’autres désirent vivement dépasser les querelles de chapelles. C’est particulièrement le cas de l’ex communard Benoît Malon, passé de la tendance libertaire jurassienne à un rapprochement avec les idées de Guesde. Il se décide à créer une revue qui serait le lieu de rencontre et de discussion entre tous les courants socialistes.
Il ne rentrera en France qu’après l’amnistie de juillet 1880 mais la Revue socialiste qu’il lance début 1880, est imprimée en France, et son gérant, Lécluse, vit à Saint-Cloud, près de Paris.
« Revue socialiste, Numéro 1, 20 janvier 1880
Programme
Le socialisme est la grande force de ce siècle, ni les calomnies ni les persécutions ne peuvent le vaincre.
Quand les religions sont de plus en plus refoulées par la science, quand les vieilles formes sociales disparaissent l’une après l’autre, quand les partis purement politiques s’agitent dans leur impuissance, s’amoindrissent par leurs palinodies, s’entre-dévorent sans trop savoir pourquoi et sans jamais pouvoir donner, pendant leur domination passagère, cette paix et cette justice que les peuples réclament aujourd’hui, le Socialisme est non-seulement invincible, mais il grandit et se fortifie sans cesse.
Marchant de pair, en cela, avec la science proprement dite et la philosophie générale, le Socialisme, toujours plus conscient et plus vivace, multiplie ses recherches, inventorie et classe ses acquisitions, précise ses démonstrations, se répand dans le peuple chaque jour davantage, s’essaie aux réalisations et fait de plus en plus sentir son influence rénovatrice dans la direction des affaires humaines.
Mais, il faut le dire, si les efforts de la coalition conservatrice ne peuvent arrêter l’expansion du Socialisme et si même ils favorisent parfois cette expansion, comme lors de l’écrasement de la Commune, ils mettent quelquefois le désordre dans les rangs du parti, en supprimant brusquement les périodes d’étude, de propagande et d’expérimentation, en jetant le socialisme dans des situations révolutionnaires d’où il ne peut sortir que mutilé et saigné du plus pur de son sang.
Nous pourrions ici, sans sortir du cercle des dix dernières années, invoquer des exemples qui sont présents à tous les esprits.
Bornons nous à conclure que dans la plupart des nations européennes, le Socialisme n’eut jamais plus besoin de se recueillir, de reprendre la calme élaboration de ses théories, de concentrer ses forces, de solidariser ses efforts, de bien délimiter ses revendications et ses aspirations.
Et c’est en France que ce besoin est le plus urgent. Le peuple français a déjà proclamé la liberté politique, l’avènement de la bourgeoisie, le suffrage universel [1], la République démocratique et qui – ses ennemis eux-mêmes le reconnaissent – a pour tâche historique, dans notre siècle de révolutions, d’expérimenter au prix de son repos et de son sang, toutes les formes politiques et sociales nouvelles, le peuple français est le plus épris des idées rénovatrices. Après avoir tiré de son sein les premiers apôtres du Socialisme moderne, il a mis, depuis plus de trente ans, les réformes économiques à l’ordre du jour.
Toutefois, si la France est la nation du monde où les socialistes sont plus nombreux, elle est une de celles où ils sont le plus divisés.
De louables efforts sont faits pour amener les fractions divisées du grand parti de l’avenir à une organisation fédérative, qui permettrait de coordonner les activités et de solidariser les efforts.
Mais la tâche est difficile, et il est du devoir de tous les hommes de l’avenir d’apporter leur concours à cette œuvre de conciliation féconde et de réalisations prochaines.
C’est surtout dans cet esprit que nous voulons fonder en France et pour tous les pays de langue française, la REVUE SOCIALISTE, que nous venons de recommander au public.
La REVUE SOCIALISTE ne sera pas l’organe exclusif d’une école quelconque ; elle a des visées plus hautes, elle sera la lice ouverte où viendront se débattre pacifiquement, et dans une forme sévère et calme, toutes les grandes questions de rénovation qui passionnent si justement notre époque.
Pour cela, les fondateurs de la Revue ont fait appel aux représentants les plus connus du socialisme militant contemporain, et leur appel a été entendu ; ils peuvent déjà annoncer la collaboration des publicistes dont les noms suivent, qui se sont presque tous fait connaître par des publications estimées et qui ont tous fait leurs preuves dans des journaux ou revues de notre parti [2] :
Les points spéciaux de la sociologie, dans l’ordre scientifique proprement dit, philosophique, économique, esthétique, politique et historique, seront librement traités par les collaborateurs de la Revue, la rédaction se bornant à quelques observations et les lecteurs resteront juges de cette élaboration collective du socialisme scientifique. Mais cette étude, si importante et si nécessaire, ne prendra qu’une partie de la Revue. Nous publierons, en outre, un état général de la littérature mondiale socialiste contemporaine dans tous les pays civilisés et notamment en France, en Allemagne, en Belgique, en Angleterre, en Hollande, en Autriche-Hongrie, en Russie, en Italie, en Espagne, aux Etats-Unis, etc. Elle publiera de même une série d’études sur les grands mouvements actuels du socialisme militant et une bibliographie générale des ouvrages socialistes.
Enfin, chaque numéro se terminera par un bulletin du mouvement social, qui sera une vue d’ensemble des agissements socialistes.
Depuis le Congrès de Marseille, les attaques contre le socialisme ont redoublé, les unes spécieuses, les autres furibondes ; aux deux nous répondrons par des arguments sérieux en nous appuyant sur les données incontestables de la science sociale, et cette polémique calme, mais solidement motivée contre les économistes orthodoxes et la presse bourgeoise en général, ne sera pas la partie la moins utile et la moins intéressante de la Revue socialiste.
Tout en nous attachant aux investigations théoriques, aux appréciations pratiques et la vulgarisation des idées émises, nous n’oublierons pas la question si urgente des moyens. C’est même à cette question des moyens que nous consacrerons la plupart de nos articles de fond.
N’est-il pas temps, en effet, que les socialistes sortent des nuages de la théorie pour chercher ce qui est immédiatement applicable et pour aviser aux moyens de les appliquer autant que le permettent les circonstances.
Un parti ne vit pas seulement d’idées et d’aspirations, il vit aussi d’actes et de réalisations. Le parti socialiste doit avoir non-seulement un programme d’action, c’est-à-dire une tactique, une politique, il doit être un parti agissant. Les rédacteurs de la Revue socialiste favoriseront tous les efforts qui seront faits dans ce sens, en faisant de leur publication, non seulement l’organe du socialisme contemporain et la mine la plus abondante des renseignements de toute sorte, mais encore un foyer de discussion des réformes urgentes.
En somme, la Revue socialiste sera pour le socialisme ce que la Revue des Deux-Mondes fut un moment pour la littérature bourgeoise, ce que le Journal des économistes est pour l’économie politique orthodoxe, ce que la Revue philosophique est pour la philosophie. C’est-à-dire qu’elle sera pour le socialisme un inventaire permanent de toutes les acquisitions de la science sociale, un centre de renseignements, de discussion et de calmes études. Les lecteurs de la Revue socialiste connaîtront non-seulement tout ce qui s’imprime et tout ce qui se tente d’important, au point de vue socialiste, mais encore ils seront initiés à tout ce qui se discute ou se propose dans l’ordre des moyens comme dans l’ordre des idées, en un mot, à toutes les manifestations de la vie socialiste.
C’est la première fois qu’une pareille publication est tentée en France ; jusqu’ici, ou les organes socialistes ont été exclusivement militants, ou ils ont exclusivement représenté des écoles spéciales. C’est la première fois que le socialisme proprement dit aura un organe général d’études. C’est pourquoi nous osons compter sur la faveur du public et de tous ceux qui cherchent sincèrement l’amélioration du sort du peuple.
L’existence financière de la Revue est assurée. Elle paraîtra régulièrement, à Saint-Cloud à partir du 15 janvier 1880, et poursuivra avec constance son œuvre d’élaboration, de conciliation et de préparation pratique [3].
Maintenant, nous demandera-t-on notre programme ?
Nous avons dit que la Revue serait ouverte à toutes les opinions socialistes, mais nous devons ajouter que les fondateurs de la Revue et les principaux rédacteurs sont collectivistes, ce qui ne les empêchera pas de faire leurs preuves d’impartialité.
La Revue socialiste répond à un grand besoin de l’opinion, il est temps que le socialisme ait, lui aussi, un organe scientifique pour pouvoir formuler et concentrer sa pensée ; cet instrument général d’études sociales, de défense contre la presse conservatrice et de conciliation sur le terrain du socialisme expérimental, existera désormais ; il dépend du public démocratique que son action soit efficace. Nous espérons fermement qu’il en sera ainsi.
Nous ferons notre devoir ; que tous les amis de la justice viennent à nous ! "
Comme on l’a vu dans la présentation de Malon, la Revue socialiste défend un collectivisme fondé sur le socialisme scientifique, mais elle se donne pour mission d’ouvrir entre les différents courants socialistes une large discussion des principes et des moyens du socialisme : « un champ de bataille des idées sociales » comme l’écrivait Malon à son ami belge De Paepe.
Rappelons qu’en 1872 la scission de l’Internationale (Association Internationale des Travailleurs) portait notamment sur la définition du collectivisme. Pour les partisans de Bakounine, et le Bulletin de la Fédération jurassienne de l’Internationale ne cessa de le répéter : « Si la propriété passe simplement des mains des capitalistes aux mains de l’État, le salariat est à la vérité transformé, mais non aboli : le travailleur deviendra le salarié de l’État, et ne sera pas plus libre qu’il ne l’était dans la fabrique du capitaliste ».
Autre important élément de la scission : la participation des socialistes à la politique électorale et l’éventualité de candidatures ouvrières. À l’exemple des socialistes allemands, les éléments « marxistes » pensaient que, tout en proclamant la nécessité de la révolution sociale, il était nécessaire d’adopter l’agitation légale comme moyen de propagande, et notamment de présenter aux différentes élections des candidatures ouvrières : il était nécessaire pour cela notamment de créer des Partis ouvriers, destinés à prendre la place des fédérations de l’Internationale. C’est sur cette perspective que l’Internationale « marxiste » se saborda en 1876, pour céder la place à des Partis ouvriers nationaux. Ce qui apparaissait aux Bakouniniens comme la perversion de la notion d’internationalisme (L’émancipation des travailleurs n’est pas un problème national, mais un problème international ) et la porte ouverte au parlementarisme.
Or, jusqu’au début 1880, après des années de répression anti communarde et d’étouffement du socialisme, il n’existait pas en France un Parti ouvrier comme l’Allemagne en connaissait.
Les congrès ouvriers de 1876 et 1878 étaient fondés sur la seule action revendicative légale, sans aucun but révolutionnaire, ni masqué, ni proclamé.
On mesure le coup de tonnerre du Congrès de Marseille.
C’est dans ce contexte que, au tout début de 1880, Malon lance sa revue , et que Guesde réussit à republier son journal L’Égalité, avec un comité de rédaction à peu près identique à celui de 1877.
Il est donc intéressant de voir de quels collaborateurs Malon envisage de s’entourer. Je donne quelques rapides précisions bibliographiques afin de mieux comprendre la stratégie de Benoît Malon. Je ne donne pas d’indications sur les itinéraires postérieurs à 1880, souvent inattendus.
Les indications de lieu après le nom sont de la revue ; j’ai ajouté les précisions [ . ]
Mme ANDRÉ LÉO, Rome [Victoire Léodile Champseix, romancière, journaliste militante féministe, internationaliste, libertaire au sens le plus large et le plus positif, exilée après la Commune en Suisse, où elle est la compagne de Benoît Malon, puis en Italie. Tout en refusant de participer, elle écrit à Malon (qui publie son mot de refus dans ce premier numéro de la Revue socialiste ) : « plus tard, si le choix m’en est laissé, je traiterai de cette question du droit de la femme qui est identiquement celle du droit nouveau, et qui, cependant, sous l’effort de diverses influences appartenant, sans la vouloir ou sans le savoir, au passe plus qu’à l’avenir, me semble subir un recul momentané » ] ;
V. ARNOULD, Bruxelles [Victor, homme politique libéral et progressiste, philosophe et auteur de travaux d’histoire sociale, collabore à la Revue positive de Littré, libre penseur, un temps internationaliste mais opposé aux thèses collectivistes] ;
A.BEBEL, Leipzig [dirigeant historique du parti social démocrate allemand, marxiste. Député au Reichstag, fut accusé de haute trahison pour avoir refusé de voter les crédits de guerre en 1871, et condamné à deux ans de prison. En juin 1877, Bebel avait été condamné à neuf mois de prison pour une brochure de propagande. Voir : Liebknecht] ;
BERTZ, Londres [Eduard, écrivain et philosophe allemand, social démocrate, engagé dans des causes d’émancipation notamment celle des homosexuels ; il doit à cause de cela quitter l’Allemagne et s’installe à Paris en 1878. À la demande de la Prusse, il y est condamné à cinq mois de prison pour insulte à l’armée prussienne ; il fuit en Angleterre] ;
L. BERTRAND, Bruxelles [Louis, collectiviste, secrétaire de la Chambre du travail de Bruxelles (fédération des sociétés ouvrières bruxelloises, fondée en 1875), rédacteur au Peuple, fondateur du journal La Voix de l’Ouvrier à l’origine de la constitution du parti socialiste belge, en 1879 ; il milite pour la fondation du Parti Ouvrier belge, qui verra le jour en 1885] ;
BERNSTEIN [Eduard, collabore avec Malon lors de l’exil de celui-ci en Suisse ; il est bientôt gagné aux thèses de la social-démocratie allemande et au marxisme (qu’il mettra en doute bien plus tard] ;
BÜRCKLI, Zurich [Karl, fouriériste, internationaliste, puis social démocrate suisse] ;
BORDE, Paris (Frédéric, autodidacte, vulgarisateur de la « science sociale » morale et idéaliste de Colins (Jean Hippolyte Colins de Ham, militaire polygraphe, sociologue et philosophe, avait notamment publié à Paris en 1849 Socialisme rationnel ou Association universelle des amis de l’humanité, du droit dominant la force, de la paix, du bien-être général pour l’abolition du prolétariat et des révolutions.
Borde est fondateur en 1875 de La philosophie de l’avenir – Revue du socialisme rationnel opposée au matérialisme marxiste, dont Malon écrit : "La Philosophie de l’avenir défend toujours avec énergie le collectivisme modéré dont Colins fut l’initiateur", (Malon appréciait la philosophie de Colins). Borde collabore à ce premier numéro de la Revue socialiste] ;
BOYER, Marseille [Antide, ouvrier devenu comptable ; un des délégués de Marseille au Congrès ouvrier de Marseille en octobre 1879 ; il s’y range du côté des collectivistes ; félibre "rouge" avec de Ricard (voir plus bas)] ;
BRUGNOT, Lyon [Joseph, arrêté et condamné pour sa participations aux soulèvements communalistes de Lyon en 1871, participe au Congrès ouvrier de Marseille en octobre 1879, collectiviste, un des fondateurs du groupe lyonnais de la Fédération des travailleurs socialistes de France en 1880 ] ;
COSTA, Lugano [Andrea, internationaliste et pionnier romagnol du mouvement ouvrier italien, actif militant socialiste révolutionnaire anarchiste, arrêté et condamnée en 1874 ; proche des partisans des « actes d’énergie révolutionnaire », il ne néglige pas la propagande légale pacifique ; plusieurs fois arrêté et emprisonné ; en 1876, pour éviter un nouvel emprisonnement, il se réfugie en France, (d’où il est expulsé en 1878). Il vit en Suisse avant de retourner en Italie. Il explique son passage de l’anarchisme au socialisme « évolutionniste », dans sa fameuse lettre Ai miei amici di Romagna, publiée dans le journal de Gnocchi La Plebe, 3 août 1879. Il œuvrera par ses publications à la formation du Parti socialiste révolutionnaire de Romagne en 1881].
CORNETTE, Anvers [Arthur, professeur à l’école normale d’Anvers, philosophe, journaliste libéral proche des socialistes et de Malon, dignitaire d’une association de libres penseurs] ;
Dr DE PAEPE [César, typographe et médecin, figure marquante du mouvement socialiste belge, « entre Marx et Bakounine » ; lutte pour le suffrage universel ; libre penseur, un temps proudhonien, puis bakouninien, puis collectiviste non bakouninien, mais partisan de la réconciliation des deux tendances du mouvement collectiviste ; partisan de la fédération des communes et de la représentation des groupes corporatifs par l’administration publique : l’État – service public ; la forme étatiste qui est aujourd’hui en question, c’est la forme de l’État-services publics, de l’État administration publique centralisée, que De Paepe préconise. De Paepe soutinrent que la propriété devait rentrer tout entière aux mains de l’État ; mais cette transformation ne pourra s’opérer que lentement, par une série de réformes législatives dont le résultat serait de transformer, au bout de quelques siècles, la société bourgeoise en société communiste (toutefois De Paepe admettait aussi, parmi les éventualités possibles, la transformation par voie de révolution). Parmi les mesures propres à opérer cette transformation, De Paepe rangeait même la participation des ouvriers aux bénéfices, si cette participation se généralisait et était pratiquée loyalement. De Paepe expliquait que, « dans l’avenir, l’État serait, selon toute probabilité, en partie la représentation des groupes corporatifs [la Chambre du travail], ayant pour mandat de servir de lien entre ces groupes pour tout ce qui regarde la production en particulier et les faits économiques en général ; et en partie la fédération des groupes locaux ou communes, ayant pour mandat de servir de lien entre les communes pour tous les intérêts généraux qui nous regardent en tant qu’hommes et non plus en tant que producteurs : Chambre régionale du travail et Fédération des communes, tels nous semblent donc être les deux aspects de l’État dans l’avenir ».] ;
DEGREEF [Guillaume, socialiste belge, proudhonien, rédacteur de la Liberté, hostile aux thèses collectiviste, partisan de la création d’un Parti ouvrier] ;
H. DENIS [Hector, socialiste belge, professeur d’économie politique, rédacteur de la Liberté, proudhonien, libre penseur, hostile aux thèses collectivistes, collabore à la Revue positive de Littré et G.Wyroubof] ;
DU VERGER, Bruxelles [Arthur Duverger, Le Parti socialiste belge, Lyon, H. Albert, 1880] ;
DELAHAYE, Londres [militant ouvrier et internationaliste sous le Second Empire, membre de la Commune, exilé à Londres où il défend des positions révolutionnaires opposées à celles de Marx] ;
DELAPORTE, Paris [socialiste prônant le mouvement coopératif] ;
DOMELA-NIEUWENHUIS, La Haye [Ferdinand, figure marquante du mouvement socialiste révolutionnaire et anarchiste néerlandais. Malon écrit : « C’est un évolutionniste ; sur beaucoup de points nous sommes d’accord avec lui, mais pas sur tous »] ;
DLUSKI, Genève [Kazimierz, de famille aristocratique polonaise, étudiant en droit, doit fuir la Russie à cause de ses opinions démocratiques, rallié au socialisme, anime à Genève des revues socialistes polonaises dont Rownosc (l’Égalité)] ;
DOUAI, New York [Adolf, socialiste allemand émigré aux États-Unis où il milite dans le Workingmen’s Party socialiste qui devient le Socialist Labor Party ; Douai, toujours lié aux socialistes allemands, est un des rédacteurs de la Volkzeitung germano-américaine] ;
DEVILLE [Gabriel, étudiant en droit puis journaliste guesdiste (L’Égalité), diffuseur des textes et des thèses de Marx] ;
DERVILLERS, Paris [Prudent, Maître tailleur, un des initiateurs du Parti Ouvrier] ;
DUMAY, Le Creusot [Jean Baptiste, ouvrier, animateur de la Commune du Creusot en 1871, condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité, exilé, internationaliste opposé aux thèses de Marx, rentre en France en 1879] ;
GAREL, Lyon [poète, militant babouviste, condamné par contumace à la déportation après les mouvements communalistes de Lyon en 1871] ;
GREULICH, Zurich [socialiste proche de la social démocratie allemande, dirigeant du Schweizerischer Arbeiterbund collectiviste fondé en 1873, opposé à la Fédération jurasssienne bakouninienne ; sur les positions de la social démocratie allemande, il partage aussi les positions évolutionnistes de De Paepe (voir ce nom)] ;
GUESDE, Paris [Jules ; il n’est pas question évidemment ici de tracer la biographie de Guesde, mais simplement de le situer en 1880 ; journaliste républicain, condamné pour délit de presse (partisan de la Commune en province), il s’exile en Suisse, puis en Italie. Il devient ami de Malon dans cet exil. Il il adhère d’abord aux thèses de la Fédération jurassienne bakouniniste, puis s’initie progressivement aux thèses marxistes dont il a alors une approche superficielle. Rentré en France en 1876, il écrit dans la presse radicale avancée puis fonde en 1877 le journal collectiviste L’Égalité. Le journal reparaît début 1880 : « organe collectiviste révolutionnaire »] ;
GNOCCHI-VIANI, Milan [Osvaldo, journaliste, dirige la Plebe, journal initialement démocrate et républicain mazziniste, puis socialiste : opposé aux internationalistes bakouniniens italiens, il est bientôt proche des thèses socialistes allemandes ; cofondateur de la Fédération internationaliste des travailleurs de l’Italie du Nord, opposée aux anarchistes et à l’action insurrectionnelle sans support populaire ; milite pour la fondation du parti ouvrier italien qui verra le jour en 1882] ;
JENER, Espagne ; [est-ce le militant anarchiste Felipe Jener, tisserand, délégué de Reus (Catalogne), au Congrès de la branche internationale de Córdoba en 1872-1873 ?] ;
KAUTZKI, Vienne (Autriche) [Karl Kautsky, socialiste autrichien, bientôt un des dirigeants de la social démocratie allemande, proche de Marx, et d’Engels dont il fut le secrétaire. Kautski, alors jeune publiciste à Vienne, vient de publier Influence de l’accroissement de la population sur le progrès social] ;
LABUSQUIÈRE [John, fils d’émigrés français aux États-Unis, étudiant en médecine en France, puis médecin, internationaliste, actif journaliste dans la presse d’extrême gauche, notamment de l’Égalité guesdiste, milite pour la création du Parti ouvrier ] ;
LEROY, [Achille, typographe, auteur et diffuseur de brochures et chansons socialistes, anime la Librairie socialise internationale, rue Soufflot à Paris, diffuse brochures et chansons socialistes ; il est notamment l’auteur des paroles du « Chant des prolétaires », sur lequel je reviendrai dans un article ultérieur (il sera condamné pour injures faites à l’armée dans le final) ; rédacteur de Le Prolétaire, journal socialiste « exclusivement rédigé par des ouvriers » ; s’il préconise « les réformes sociales urgentes » (temps de travail, salaires), ouvrant la voie à la société collectiviste, il demeure partisan de l’action violente : « Toutes les armes sont bonnes contre les tyrans » écrit-il dans La Commune immortelle. « Avant d’être Français, je suis socialiste et citoyen du monde » déclare-t-il au procès de son Chant des Prolétaires] ;
LECLERC, Paris ; [Adhémard ; autour de La femme au XIXe siècle, il milite pour « l’affranchissement moral et politique de la femme », et contre le proxénétisme et la prostitution. Il est guesdiste, mais à sa façon en écrivant en 1880 dans la Revue socialiste : « En somme, l’œuvre du citoyen J. Guesde est remarquable et présente une série d’arguments bien coordonnés et de démonstrations puissantes qi rendent la lecture de ses brochures extrêmement utile et très-instructive. C’est avec impatience que nous attendons la prochaine publication qui doit énumérer les réformes qui s’imposeront au lendemain de la Révolution collectiviste à l’avènement de laquelle l’auteur se dévoue avec une intelligence et une énergie qui recommandent tout particulièrement ses ouvrages à l’attention de ceux qui cherchent autre chose qu’une révolution infructueuse et violente, bonne tout au plus à porter au pouvoir, à côté des dirigeants d’aujourd’hui, de nouveaux dirigeants qui ne vaudraient guère mieux »] ;
LIEBKNECHT, Leipzig [Wilhelm, figure historique de la social-démocratie allemande ; étudiant, il avait participé à la Révolution allemande de 1848-1849 ; exilé à Londres, il y milite à la Ligue des communistes et devient le compagnon et disciple de Marx. Il rentre en Allemagne après l’amnistie de 1862 et avec Bebel fonde le Sächsische Volkspartei, (Parti populaire saxon) puis en 1869 le Sozialdemokratische Arbeiterpartei (SDAP, Parti social-démocrate des travailleurs), qui se réclame des thèses marxistes. En 1875, le SDAP fusionne avec la socialiste réformiste ADAV (Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein, Association générale des travailleurs allemands) pour former le SAP (Sozialistische Arbeiterpartei, Parti ouvrier socialiste)] ;
LOMBARD, Marseille [Jean, ouvrier horloger et bijoutier, puis graveur sur métaux. représente les chambres syndicales marseillaises aux congrès ouvriers de Paris (1876) et Lyon (1878) ; secrétaire de la commission d’organisation du Congrès ouvrier de Marseille en 1879, militant socialiste révolutionnaire, rallié aux thèses collectivistes] ;
LAFARGUE, Londres [médecin, internationaliste, fréquente Marx à Londres en tant que délégué de l’Internationale, épouse un fille de Marx ; partisan de la Commune à Bordeaux, fuit la répression en Espagne où il fonde une section marxiste puis émigre en Angleterre où il côtoie Marx et rencontre Guesde. Il rentrera en France après l’amnistie de 1880. Il diffuse un marxisme assez élémentaire dans lequel Marx et Engels ne se retrouvent pas toujours] ;
LAVROFF, Paris [Piotr Lavrov, mathématicien russe, condamné à la relégation pour ses écrits révolutionnaires, s’exile en France, internationaliste, participe à la Commune de Paris, exilé en Suisse puis à Londres ; il crée la revue Vpered (En avant), rentre en France en 1877 mais en sera expulsé en 1882 à cause de ses activités révolutionnaires russes, vit à Londres, ami de Marx] ;
Madame J. LILJENCRANTZ, Copenhague [Jaquette, social-démocrate] ;
MAROUCK, Paris ; [Victor, étudiant en droit à Paris, athée, révolutionnaire, socialiste, collaborateur du journal guesdiste l’Égalité, mais proche de Benoît Malon et des possibilistes. Découvrant les thèses marxistes, il écrit : « Le socialisme n’est plus un assemblage de déclamations, de sophismes et d’aspirations vagues. Il a pris corps. La science l’a transformé. Il est devenu la science sociale. Le socialisme inconscient a fait place au socialisme organique ».]
MARIO, Zurich [Il saluera le Congrès ouvrier de Marseille dans ce numéro de la Revue] ;
Mlle Eug. PIERRE [Eugénie Potonié-Pierre, militante socialiste, fouriériste, secrétaire de la Société pour l’amélioration de la condition des femmes, collabore à l’hebdomadaire de Léon Richer, Le Droit des femmes] ;
PAULARD, Paris [Stylite, cheminot, puis caissier comptable, collectiviste, milite pour la création du Parti ouvrier, tendance possibiliste ; gérant de l’hebdomadaire Le Prolétaire, journal républicain des ouvriers démocrates socialistes] ;
E. PÉRON, Icarie [Émile, ouvrier mécanicien, internationaliste, membre de la Commune, communiste libertaire, rejoint la colonie américaine d’Icarie de Corning, dans l’Iowa, membre du Comité de propagande communiste de la Communauté icarienne] ;
PIGNON, Paris [Etienne, confirme son engagement féministe en participant au Congrès international du droit des femmes en 1878 à Paris, y affirme que « toutes les femmes indistinctement doivent travailler, même sans nécessité » ; résolument ouvriériste, il regrette le manque de représentation de la classe ouvrière dans les débats socialistes] ;
S. POLITZER, Hongrie [Zsigmond, rédacteur de la Fraternité, exilé, arrêté à Paris en 1871, on le retrouve fin 1880 correspondant du fugitif quotidien de Malon, l’Émancipation, organe du parti ouvrier] ;
PELLETIER, New-York [Claude, typographe, banni lors de la répression anti démocrate socialiste de 1849, devenu millionnaire aux Etats-Unis, mais toujours socialiste (et bailleur de fonds du mouvement)] ;
DE RICARD, Montpellier [Louis Xavier, journaliste et écrivain, membre de la Commune, publie depuis 1877 à Montpellier l’Armanac de la Lauseta, almanach républicain fédéraliste et pan organe du félibrige « rouge » opposé à l’idéologie du félibrisme provençal. Je reviendrai sur lui dans un article ultérieur]
E. RECLUS, Paris [Élisée, géographe, internationaliste libertaire, membre de la Commune, il est alors émigré en Suisse, où il est membre résolue de la Fédération jurassienne bakouninienne ; je reviendrai sur lui dans un article ultérieur] ;
ROCHE, Bordeaux [militant révolutionnaire et représentant des chambres syndicales de Bordeaux] ;
THÉODOROWITCH, Serbie ;
VINAS, Espagne [Jose García Viñas, médecin, internationaliste, pionnier de l’anarchisme à Barcelone (mouvement insurrectionnel de Barcelone en 1873) et en Espagne, fondateur du groupe L’Alliance bakouniniste en 1871 à Barcelone ; édite la Revista social, 1872-1880, en 1880 se retire en désaccord devant une orientation plus légaliste et réformiste. A traduit James Guillaume, rédacteur du Bulletin de la Fédération jurassienne] ;
WALSTER, Saint-Louis, Mo [socialiste allemand émigré aux Etats-Unis, représente les socialistes allemands au dernier congrès de l’Internationale marxiste à New York en 1876] ;
SKETCHLEY, Birmingham [John, chartiste, républicain radical, collaborateur du journal avancé International Herald, puis socialiste propagandiste propagateur des thèses marxistes mais aussi anarchistes ; il sera correspondant du fugitif quotidien de Malon, l’Émancipation, organe du parti ouvrier, fin 1880 ] ;
VIERECK, Leipzig [Louis, social démocrate « modéré », opposé aux thèses marxistes] ;
WOLMAR, Zurich [Georg von Wollmar, rédacteur de la Dresdner Volkszeitung, emprisonné à Zwickau (Saxe) en 1878 pour délit d’opinion, rédacteur de l’organe hebdomadaire officiel des socialistes allemands, Der Sozialdemokrat. Zurich était en effet la base arrière des socialistes allemands qui, suite aux lois répressives de Bismarck, ne pouvaient éditer en Allemagne. du Parti. Vollmar appartenait à la fraction « modérée » du Parti],
Que dire de cet impressionnant potentiel de collaborateurs, en grande partie nourri des contacts pris par Malon durant son émigration (rappelons qu’en ce début 1880, en attente de l’amnistie, il est toujours en Suisse.
La répartition géographique est des plus inégales. On remarquera l’absence presque totale des Britanniques.
Si, dans un souci d’œcuménisme, les représentants des thèses bakouniniennes sont quelque peu présents, notamment l’éminent Élisée Reclus, on constate que Malon a définitivement coupé les ponts avec les leaders de la Fédération jurassienne : absence remarquée de James Guillaume avec lequel il a rompu en 1876.
L’ intérêt de Malon pour les thèses collectivistes « marxistes », marqué par la présence de ses contacts allemands Bebel et Liebknecht, et celle du gendre de Marx, Lafargue, n’exclut pas la présence de sociaux-démocrates allemands « modérés », peu favorables au marxisme.
Notable aussi la présence des socialistes belges, partagés entre une aile prolétarienne résolument collectiviste marxiste et une aile plus modérée, le pivot unitaire était le vieil ami de Malon, De Paepe, qui est passé du bakouninisme au collectivisme réformiste, à certains égards proche du marxisme, mais qui ne désespère pas de réunir les différentes chapelles socialistes.
Un grand absent, Karl Marx. Malon l’avait contacté, mais il n’obtint pas de réponse. Marx n’avait pas oublié le récent bakouninisme de Malon, et se méfiait. Il donnera pourtant, anonymement, une contribution à la Revue socialiste, avril 1880, n°4, sous forme d’un questionnaire, "Enquête ouvrière", qui sera tiré à 25.000 exemplaires et envoyé à tous les groupes ouvriers et socialistes. Le 5 novembre 1880, Marx écrira à son vieux compagnon Friedrich Sorge, désormais militant aux Etats-Unis que Malon, « bien qu’avec les inconséquences inséparables de sa nature éclectique, — a été obligé (nous étions ennemis, car il a été à l’origine un des co-fondateurs de l’Alliance) de se convertir au « socialisme moderne scientifique », c’est-à-dire au socialisme allemand. »
Bref, tout en respectant l’autonomie des groupes et des individus, Malon veut s’efforcer de faire de la Revue socialiste un foyer international d’échange et de rapprochement entre les deux grandes tendances (marxistes intransigeants, et réformistes), à l’exclusion presque totale des anarchistes).
Le souci majeur de Malon est que l’avant-garde socialiste révolutionnaire ne s’isole, si elle privilégie la proclamation révolutionnaire, en négligeant la participation aux luttes immédiates politique et économiques, dans lesquelles se forgera une conscience de classe révolutionnaire de masse. Il est également que, dans cette lutte immédiate, les socialistes n’oublient pas la dimension morale universelle dont est porteuse la doctrine.
Le Congrès de Marseille est longuement commenté à chaud dans ce premier numéro de la Revue socialiste de Benoît Malon,
Voici l’entame vibrante du long article de Guesde :
« En concluant – ce sont les termes de sa « déclaration » - à « l’appropriation collective du sol, du sous-sol, des machines, des voies de transport, des bâtiments » et autres moyens de production, le troisième Congrès ouvrier de France, tenu à Marseille en septembre-octobre dernier, n’a pas seulement coupé le câble qui retenait notre prolétariat dans les eaux radicales bourgeoises. Il a encore et surtout consommé l’union des prolétaires de tous les pays (l’Angleterre excepté [4]) autour d’un programme commun et unique ; - ce que n’avait pu l’Internationale elle-même, dont les résolutions collectives de Bruxelles [1868] et de Bâle [1869] avaient eu contre elles les délégués français, les uns dupes, les autres complices de la sophistique proud’honienne [sic].
Aussi s’explique-ton facilement les clameurs de colère par lesquelles nos dirigeants les plus républicains ont accueilli cette entrée – définitive – de la France des salariés dans le mouvement socialiste européen. L’Association internationale des travailleurs mise hors la loi ; Paris pris d’assaut, dix jours de tuerie, Brest, Lorient et leurs milliers d’empontonnés [5], Satory[[Camp de regroupement des prisonniers] et ses poteaux d’exécution, la Nouvelle Calédonie et son peuple de déportés, tout cela pour aboutir en moins de neuf ans à transformer en partisans à outrance de l’expropriation de la classe capitaliste, les innocents « organisateurs (sur le papier) du crédit et de l’échange » ! Il faut avouer qu’on éclaterait à moins, et que, pour cette fois, les oies du Capitole bourgeois sont pleinement justifiées dans leurs cris d’alarme.
Mais comme on s’est bien gardé dans les critiques dirigées contre la majorité du Congrès de Marseille de découvrir le véritable motif de cette bruyante polémique ; qu’on s’est couvert, avec une habileté cousue de fil blanc, de l’intérêt ouvrier compromis, paraît-il, dans des « extravagances d’un autre temps » ; il ne sera peut-être pas inutile de passer brièvement en revue les objections à l’aide desquelles on essaie de faire rebrousser chemin à nos travailleurs, et d’en établir en quelques mots le néant.
Aussi bien aurons-nous l’occasion de compléter les considérants dont le Congrès de Marseille a étayé son collectivisme, en montrant ses revendications en pleine conformité, non plus seulement avec la justice, mais avec la science et ses données les plus expérimentales. »
Citons encore cet extrait du « Bulletin du mouvement social » qui clôt ce premier numéro de la Revue socialiste. Le socialiste zurichois Mario a présenté la situation du mouvement socialiste dans le différents pays européen, et conclut ainsi :
« Nous pourrions faire ainsi le tour de l’Europe montrant partout les réactions débordées et le socialisme grandissant.
Toutefois il restait un grand vide, le prolétariat français saigné à blanc par la répression 1871 n’avait pas adopté dans ses lignes générales le programme des socialistes européens. Il vient de le faire dans le Congrès de Marseille. Ce congrès sera l’événement le plus important de l’année qui vient de s’écouler et nous comprenons parfaitement que s’il a comblé de joie des millions de socialistes de toutes les parties du monde, il ait soulevé l’indignation de tous les rétrogrades, de tous les conservateurs, de tous les modérés, même de ceux qui sont à l’extrême droit du socialisme. Nous comprenons encore qu’il se soit trouvé une minorité pour protester contre certaines conclusions que nous approuvons pour notre part, mais qui pouvaient ne pas leur paraître assez démontrées. C’est toujours par ce concert de réprobations intéressées ou aveugles que sont accueillies les grandes idées régénératrices.
Mais le premier moment d’étonnement passé, on discutera avec plus de calme un programme qui s’appuie sur les données des économistes socialistes les plus éminents et qui a été adopté par tous les socialistes militants organisées en partie de l’Europe et de l’Amérique. Et pour mieux éclairer la discussion, dans l’un des plus prochains numéros nous reprendrons tous les programmes des partis ouvriers européens et américains.
Nous savons que le nombre n’est pas un argument, mais quand il vient à l’appui de la science et quand l’idée adoptée répond aux nécessités historiques d’un siècle, il faut bien le compter pour quelque chose.
Mario. »
L’adhésion au collectivisme n’était pourtant ni unanime, ni univoque. D’une part, on a vu qu’au Congrès de Marseille la résolution n’avait pas été adoptée sans mal, et s’était heurtée à l’opposition de syndicalistes qui, à l’image des Trade Unions britanniques, étaient attachés à la seule défense des revendications ouvrières immédiates et désireux de ne pas effrayer par une perspective révolutionnaire
Et d’autre part, le flou demeurait sur le sens à donner au mot « collectivisme », qui variait grandement selon les différentes chapelles révolutionnaires qui s’en réclamaient. Guesde évoque d’ailleurs dans son article les dissensions qui s’étaient exprimées lors des premiers Congrès de l’Association internationale des Travailleurs (AIT).
On comprend mieux dans ces conditions l’insistance de Mario, et de Guesde, frais disciple de Marx, sur le caractère scientifique et non utopique de l’engagement collectiviste.