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Sur la Commune insurrectionnelle de Marseille

mardi 29 décembre 2020, par René Merle

Sur la Commune insurrectionnelle de Marseille (24 mars - 4 avril 1871)


L’armée de Thiers bombarde Marseille à partir de "la Bonne Mère"

J’ai dit par ailleurs tout le bien que je pense de l’œuvre de Jean Dautry (1910-1968)
C’est pourtant un peu à cause de Dautry que j’ai mis si longtemps à m’intéresser au premier (et longtemps seul) ouvrage consacré à la Commune de Marseille (1870-1871) :
Antoine Olivesi, La Commune de 1871 à Marseille et ses origines, Paris, Librairie Marcel Rivière (Bibliothèque d’histoire économique et sociale), 1950. Le livre est préfacé par le célèbre archiviste Georges Bourgin (1879-1958), socialiste, historien notamment de la Commune, un des fondateurs en 1949 avec J.Maitron et E.Dolléans de l’Institut Français d’Histoire sociale (IFHS).
Mais quel rapport avec Jean Dautry ?

En 1951, dans un terrible climat de guerre froide, extérieure et intérieure, la revue Europe consacre un numéro spécial à la Commune de Paris, dont on célèbre les 80 ans : Europe revue mensuelle, avril-mai 1951, n°64-65.
La revue est intimement liée au parti communiste. Et Dautry, dont les positions révolutionnaires étaient affirmées bien avant la guerre de 1939-1945, est devenu depuis la guerre un militant communiste. Historien du mouvement ouvrier, il est dès son lancement un collaborateur important du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier Maitron, évoqué ci-dessus.
Je lis ce numéro d’Europe dans l’été 1952. J’ai seize ans. C’est un été un peu spécial. À la suite des manifestations de la fin mai contre la venue du général US Rigdway, les dirigeants communistes au plan national sont accusés d’espionnage dans le ridicule "complot des pigeons", et par ricochet, dans le Var, la chasse aux sorcières s’abat sur de nombreux militants, particulièrement dans la région toulonnaise : l’Arsenal aurait été un foyer d’espionnage "rouge". Pendant des semaines, je ne vois pas mon père, recherché pour cela. Et j’avais même eu en juin, sans trop comprendre pourquoi, visite policière de mon placard à l’école normale d’Aix. Au cas où, comme tous ces militants, j’aurais caché des plans destinés à Moscou ?
C’est dire que, dans pareil climat, qui n’est pas avec toi t’apparaît contre toi. La nuance n’est pas de mise. Et tout ce qui vient de ton camp est donc, par définition, parole d’évangile (si j’ose dire). Ce fut tout naturellement le cas de la recension du livre d’Antoine Olivesi par Jean Dautry, dans ce numéro spécial d’Europe.
Recension ? Exécution plutôt, sur laquelle il n’est pas inutile de revenir, pour mieux comprendre la Commune de Marseille, et pour mieux saisir ce qu’a été alors un certain communisme français de combat, tant au plan national qu’au plan régional (le règlement de compte avec le Marseillais Antoine Olivesi, dont les sympathies socialistes étaient connues, est sans doute inséparable d’un règlement de compte avec un socialisme marseillais qui faisait de l’anticommuniste son virulent cheval de bataille).
Voici donc le début de la recension de Jean Dautry :

" Antoine Olivesi, La Commune de 1871 à Marseille et ses origines (Rivière, éditeur).
Il manquait une étude sur la Commune de Marseille. On ne peut dire aujourd’hui que cette lacune soit comblée.
M.Olivesi se veut proudhonien, bakouniste et mistralien. C’est au nom de cette Sainte Famille anarcho-réactionnaire qu’il répète contre Marx les calembredaines de toujours : Marx serait un "théoricien dogmatique et persuadé de son infaillibilité", voulant un "État ouvrier fondé sur la loi du matérialisme historique" (sic. p.45) et préparant de longue main, la guerre et la Commune aidant, la défaite de Proudhon et de Bakounine en 1871 (p.157). C’est au nom de Mistral, en vertu d’une pétition de principe, et sans donner dans le volume la moindre preuve que Mistral ait rien à débattre avec les événements de Marseille, même en qualité de Saint-Esprit félibre [1] ; au nom de Bakounine qui laissa en plan les révolutionnaires marseillais ; au nom de Proudhon flanqué de M.Jacques Bourgeat (des Nouveaux Temps de feu Luchaire [2]) qui commenta Proudhon en 1942 [3] que M. Olivesi raconte, explique et juge.
Visiblement l’histoire réelle gêne M. Olivesi ; pour lui, l’histoire réelle s’est faite à contretemps. "La guerre et la Commune elle-même, écrit-il p.157, ont tué cette révolution originale et universelle qui se préparait si activement, et dont l’esprit, l’ambition et la noblesse, l’envergure et la hardiesse des conceptions ne se sont jamais plus retrouvés."
Qu’était-ce donc que "cette révolution originale et universelle etc..." ? Très simplement : "La radicale révolution économique... également éloignée des théoriciens bourgeois et des hommes politiques qui n’ont apporté aux travailleurs que faillite et déceptions" (p.37). Cette pure révolution, patronnée par Proudhon et Bakounine, M. Olivesi ne s’aperçoit pas qu’elle a bien toutes les vertus, sauf une, celle d’avoir existé, car elle n’exista jamais que dans quelques cervelles obnubilées par des abstractions. M. Olivesi n’a peut-être pas rencontré à Marseille de proudhoniens aussi conséquents que les Tolain et les Fribourg de l’Internationale parisienne [4] ? Et peut-être ignore-t-il qu’après la Commune de Paris, Fribourg réprouva dans le journal Le Soir ces lupercales populacières", "tout en restant, assurait-il, profondément dévoué à l’émancipation du prolétariat." ? Il y aurait là pourtant un sujet de méditation pour M. Olivesi, qui l’aiderait à confronter les formules et la vie, à ne pas succomber à la tentation des mots.
Sur la foi des mots, M. Olivesi croit par exemple à une contradiction entre l’internationalisme des hommes d’action de l’Internationale ou des autres mouvements révolutionnaires et leur patriotisme. "La guerre, dit-il p. 66, réveilla le patriotisme, un patriotisme exaspéré par la défaite, qui allait se superposer aux facteurs préexistants, qui allait briser le cours normal des événements." S’il ne confondait pas internationalisme et cosmopolitisme, patriotisme et chauvinisme, M. Olivesi aurait senti, comme les hommes de chair de 1870-1871, de Marseille et de partout en France, que patriotisme et internationalisme allaient de pair. La France, débarrassée du chauvinisme impérial, était une patrie que rien n’opposait aux autres et l’agression de Bismarck contre la patrie française trouvait contre elle les patriotes - internationalistes de France et les internationalistes - patriotes d’Allemagne. En face des capitulards à la Jules Favre, à la Trochu et à la Thiers, qui jugeaient la guerre perdue d’avance et qui préparaient leur réconciliation avec Bismarck, les résistants français, par leur lutte ardente, servaient aussi bien les intérêts profonds de la nation allemande menacés par la victoire de Bismarck que les intérêts immédiats de la nation française. Mais lorsqu’il lui arrive d’employer les termes résistants et capitulards (p.129) M. Olivesi éprouve l’incoercible besoin de les guillemeter. "
On le voit, les temps n’étaient pas à la nuance...

La recension de Jean Dautry se poursuit immédiatement par cette présentation de la Commune de Marseille :

"L’histoire réelle, M. Olivesi en parle quand même. Tentons de la retracer et de poser à son sujet les points d’interrogation que M. Olivesi n’a pas posés.
La tradition révolutionnaire de villes comme Paris ou Lyon est infiniment plus riche que la tradition de Marseille. D’où vient qu’en 1870-1871 Marseille se trouve pour ainsi dire haussée sur le même plan révolutionnaire que Lyon et que Paris ? D’où vient qu’il y ait eu à Marseille une grande manifestation le jour même de l’assassinat de Victor Noir par Pierre Bonaparte ( soirée du 10 janvier 1870. M. Olivesi donne par erreur la date du 8 février) ; 59.882 voix contre l’Empire (et 39.531 pour), au plébiscite du 8 mai 1870 ; une tentative de renverser l’Empire le 8 août 1870 (antérieurement au putsch manqué des blanquistes parisiens du 14 août) ; un 4 et un 5 septembre très agités dont le principal résultat fut la formation de la milice populaire armée des gardes civiques ; des journées du 1er et du 2 novembre plus importantes que la journée parisienne du 31 octobre ; des élections républicaines et résistantes le 8 février 1871 ; une Commune enfin, du 23 mars au 4 avril 1871 ?
Marseille est la ville de France qui, pendant le second empire, enregistre proportionnellement le plus gros afflux de population. M. Olivesi donne les chiffres : 195.500 habitants en 1851 ; 313.000 en 1872 (p.35). Son port profite, sous Napoléon III, des relations commerciales de plus en plus actives de la métropole avec l’Algérie. La grande industrie s’y développe. Avec elle un nouveau prolétariat de souche paysanne misérable, dont l’éducation politique est à faire, mais qui mène des grèves victorieuses contre l’aggravation de ses conditions d’existence. M.Olivesi cite les grèves caractéristiques des bassins miniers de Fuveau, Gréasque, Gardanne, Auriol, la Bouilladisse, entre avril 1867 et février 1868 [5].
Sous l’impulsion de Bastelica, la section marseillaise de l’Internationale dirigée par des ouvriers de la petite et de la moyenne industrie, un tapissier, un commis, un vernisseur, un boulanger et Bastelica lui-même, tour à tour employé de commerce et typographe, tente d’organiser ces masses. Elle y parvient à Fuveau, à Aix. Mais ailleurs ? Et dans Marseille, que sont les 4.500 adhérents de l’Internationale au sein de tout le prolétariat ? Une minorité constituée par des corporations semi-artisanales, tailleurs, cordonniers, menuisiers, etc. Une minorité très consciente des buts du mouvement ouvrier et des moyens d’y parvenir ? M. Olivesi n’en doute pas, et qu’il n’y ait jamais eu idéologie "révolutionnaire" plus achevée. La vérité est autre. Quelles que fussent les qualités de militant et d’organisateur de Bastelica, sa tactique politique, si l’on se fie au résumé de M. Olivesi, était enfantine. "Dominer les hommes politiques, écrit M. Olivesi, p.61, en faire les jouets du socialisme, les tromper en affectant le radicalisme, telle fut l’ambition de Bastelica."
Sur ce qu’était le radicalisme marseillais, M. Olivesi ne nous éclaire pas. Quelles étaient les raisons profondes du mécontentement durable d’une bonne partie de la petite et de la moyenne bourgeoisie ? M. Olivesi hésite entre le sarcasme proudhonien à l’égard du radicalisme marseillais et du jacobinisme en général, et la sympathie pour les radicaux marseillais pris individuellement. Il est probable que, si la féodalité financière de Marseille était satisfaite de l’Empire, qui lui procurait d’amples profits, petite et moyenne bourgeoisie estimaient leur part trop réduite.
En tout cas, la puissance et parfois la hardiesse du radicalisme marseillais, auquel la tactique de Bastelica devait surtout servir de caution auprès des masses, apparaissent remarquables en 1870.
Le 10 janvier la manifestation contre l’assassinat de Victor Noir est une manifestation radicale à laquelle participent les Internationaux.
Le 7 août les radicaux Gaston Crémieux et Gustave Naquet rassemblent 40.000 personnes devant la préfecture et l’arrestation de Gustave Naquet provoque le lendemain l’occupation de l’hôtel de ville par un Comité d’action révolutionnaire qu’anime Gaston Crémieux et où figurent des ouvriers, membres ou non de l’Internationale. L’état de siège est proclamé. Mais les juges impériaux, devant la popularité de Crémieux, ne prononcent qu’une condamnation à six mois de prison, alors que Crémieux encourait la peine de mort.
La révolution des 4 et 5 septembre installe une Commission départementale provisoire formée de radicaux et de républicains bourgeois modérés. La foule qui, le 5, a envahi la préfecture et pris 1.200 fusils, fournit trois compagnies armées de gardes civiques. Il y a sans doute chez les gardes civiques des hommes de l’Internationale marseillaise, mais plus encore des prolétaires influencés par le radicalisme.
Que ces prolétaires des gardes civiques, radicaux à leur manière, ne badinant pas avec la vigilance républicaine, aient eu ensuite maille à partir avec les chefs radicaux, cela est certain. Il n’est pas moins certain que l’Internationale marseillaise qui était peut-être en voie, à la veille de la guerre, de grouper l’ensemble du prolétariat, qui assurément faisait de gros progrès, n’a pas réussi à constituer au cours de la lutte politique une organisation de masse.
Ce ne sont pas les masses qui ont fait faillite, mais les idéologues confus et bavards de l’Internationale marseillaise, livrés aux suggestions de l’Américain Georges Francis Train, "un bien curieux personnage", dit M. Olivesi (p.103), et au désenchantement de Bakounine qui ne se remettait pas de son échec à Lyon.
Dans la constitution de la Ligue du Midi, destinée à promouvoir la défense nationale sur une base régionale, le représentant radical de Gambetta à Marseille, Alphonse Esquiros, et les radicaux marseillais, jouent également le principal rôle. Bastelica et l’Internationale leur emboîtent le pas.
La rupture entre Esquiros et Gambetta, et le refus par les républicains modérés de Marseille de consentir au prélèvement d’un impôt de trois millions sur les riches pour les dépenses militaires de la Ligue du Midi, amènent une première proclamation de la Commune le 1er novembre. L’aventurier Cluseret que l’on retrouvera pendant la Commune de Paris est nommé au commandement en chef de la Ligue du Midi. Il enthousiasme les gardes civiques, mais disparaît le 3 novembre, quand un nouveau représentant de Gambetta "rétablit l’ordre", avec le concours des gardes nationaux des quartiers bourgeois.
Alors les gardes civiques cessent d’exister. Les uns entrent sans uniforme dans la garde nationale. Les autres vont rejoindre en Bourgogne l’armée de Garibaldi, aussi populaire à Marseille qu’il l’est à Paris. Après les élections du 8 février 1871, patriotiques à Marseille comme à Paris, et les préliminaires de paix, anciens gardes civiques et garibaldiens refluent en haillons.
Entre Paris et Versailles les républicains bourgeois du conseil municipal voudraient bien occuper une position moyenne. Radicaux et Internationaux se prononcent pour Paris. Le préfet de Thiers, un contre-amiral, organise une manifestation des gardes nationaux en faveur de Versailles (23 mars 1871). Ne se dérangent que les gardes nationaux des faubourgs qui chassent le contre-amiral de sa préfecture. Ainsi naît, sans Bastelica qui est à Paris où on lui confie l’administration des contributions directes indirectes, ce qui est proprement dans l’histoire la Commune de Marseille.
Le 23 mars à Marseille n’a rien de comparable au 18 mars parisien. À Marseille, pas de Comité central. Les ex-gardes civiques et les garibaldiens se joignent spontanément aux ouvriers de la garde nationale. Les Internationaux qui, quelques jours auparavant, ont su organiser des grèves, entre autres une grève du port, ne dirigent pas l’insurrection. Pourtant, le personnage le plus important du 23 mars est l’International (non Marseillais) Edmond Mégy, qui fait preuve d’énergie à Marseille, comme il en fera preuve dans la défense du fort d’Issy-les-Moulineaux contre le Versaillais Leperche pendant la seconde quinzaine d’avril. Pourtant, les chefs radicaux, cette fois-ci, sont nettement débordés. Les masses vont plus vite qu’eux et Gaston Crémieux lui-même se trouve dépassé.
Et cependant, quand il s’agit d’organiser la Commune insurrectionnelle, sous le titre de Commission départementale provisoire, parce qu’à côté d’elle subsistait le Conseil municipal légal, les radicaux y eurent la majorité. Gaston Crémieux en fut la tête. Tête bien vacillante. M.Olivesi dénonce justement son "attentisme", son "opportunisme équivoque" (p. 136), son incapacité à prévoir la défense de la ville contre la reconquête que le général réactionnaire Espivent de la Villeboisnet prépare en rassemblant ses forces à Aubagne. Il finit par être "surveillé, retenu de force" (p.143) par les ouvriers en armes.
Eux seuls résistent le 4 avril au bombardement de la préfecture où ils se sont retranchés et où Espivent les encercle. Mais ils ne tiennent que quelques heures. Le lendemain, les troupes d’Espivent défilent victorieusement au cri de "Vive le Sacré-Cœur !". L’état de siège durera jusqu’en 1876.
Le 30 novembre 1871 Gaston Crémieux avait été fusillé au Pharo, moins pour sa piteuse participation à la Commune marseillaise que parce que Thiers le poursuivait de sa haine particulière. C’était lui qui, le 13 février 1871, d’une tribune du Théâtre de Bordeaux, avait qualifié de ruraux les députés de l’Assemblée.
On aura reconnu au passage bien des faiblesses des Communards marseillais qui ne leur sont pas propres. À Marseille, comme à Lyon et à Paris, il y avait un admirable prolétariat révolutionnaire, mais pas de théorie révolutionnaire d’avant-garde et conséquemment pas de parti révolutionnaire, pour mener le prolétariat au combat dans les meilleures conditions.
Jean DAUTRY "

J’ai donc pendant longtemps classé le livre d’Antoine Olivesi dans la liste des ouvrages à consulter éventuellement, et avec quelque méfiance. Mais demeuraient les interrogations soulevées par J. Dautry sur la spécificité de l’événement marseillais, interrogations qui, dans les tumultueuses années 1960, n’étaient pas la première de mes préoccupations, et auxquelles aucune étude de spécialiste ne vint alors répondre.
En 1971 fut célébré le centième anniversaire de la Commune de Paris, et, bien accessoirement, celui des Communes de province. Marseille pourtant fit écho à sa Commune. Le quotidien communiste régional La Marseillaise publia alors une très intéressante série d’articles de son journaliste Jean-Claude Izzo (oui, le même dont la trilogie policière marseillaise connaîtra le succès que l’on sait à la fin des années 1990).
On peut lire l’intégralité de sa présentation de la Commune de Marseille sur le site de Pierre Assante :
Izzo

Izzo, lui aussi, n’était pas tendre pour l’ouvrage d’Olivesi, et me renvoyait à l’article d’Europe :
"Il n’existe qu’un seul ouvrage sur "la Commune de Marseille", de M. Olivesi, paru aux éditions Rivière et Cie (actuellement épuisé). Nous faisons de très nombreuses réserves à son sujet. Nous conseillons vivement au lecteur qui aurait l’occasion de lire cet ouvrage, de se reporter ensuite à la critique pertinente de Jean Dautry, parue dans "Europe", avril mai 1951, ainsi qu’au chapitre consacré par Jean Bouvier aux Communes de province, dans "La Commune de 1871" de jean Bruhat, Jean Dautry et Émile Tersen, aux Éditions sociales."
Ce n’était donc pas la lecture d’Izzo qui aurait pu m’inciter à rechercher chez des bouquinistes ou en bibliothèque l’ouvrage d’Antoine Olivesi.
Autour de l’anniversaire, et dans les années qui suivirent, j’ai pu lire aussi des articles intéressants de Marseillais, aux éclairages divers : Lucien Gaillard, René Bianco, Claude Barsotti, etc...

Cette même année 1971 paraissait l’ouvrage novateur de Jeanne Gaillard, Communes de province, commune de Paris 1870-1871, Questions d’histoire, Flammarion, 1971, qui éclairait vraiment les rapports entre le républicanisme radical et le militantisme ouvrier, à la fin du Second Empire et au tout début de la Troisième République.
Je pouvais lire dans sa bibliographie :
"Études et monographies : Marseille.
"Encyclopédie départementale des Bouches-du-Rhône", tome V et tome X. Non négligeable pour l’histoire de Marseille pendant le second Empire et la Commune.
OLIVESI : "La Commune de Marseille de 1871 et ses origines" (Rivière, 1950, Paris). Récit intéressant mais il manque une analyse sociologique de la population de Marseille. Celle-ci a été faite par Olivesi lui-même dans "Les élections de 1869" (Recueil spécial de la Société d’Histoire de 1848, publié en 1960)
."
Le point de vue de la haute figure de Jeanne Gaillard, résistante, militante, historienne, m’incita alors à rechercher l’ouvrage d’Olivesi en bibliothèque. Je le lus avec d’autant plus d’intérêt qu’en ces lendemains de 1968, je découvrais l’occitanisme et, de ce fait, j’étais amené, comme bien d’autres, à revisiter notre histoire "régionale". Se posait alors la question du fédéralisme de Mistral et de son influence sur les événements marseillais de 1870-1871, dont Olivesi faisait grand cas.
Izzo était catégorique : "Il n’existe pas une histoire des "Ligues", Ligue du Midi, du Sud-Ouest... Elle reste à faire. Cependant, nous ne pouvons vraiment pas suivre M. Olivesi quand il évoque la régionalisme, les provincialismes, et fait appel à Mistral pour expliquer les origines de ce mouvement de Provence. En effet, "on retrouve des réactions identiques de défense et d’indépendance locales, par opposition à la lourde tutelle centralisatrice de l’État. Ce qui importe, c’est le contenu nouveau, social, politique, des aspirations à l’autonomie régionale" (cf. Bouvier, op.cit). Que M. Olivesi en soit conscient ou non, seuls les problèmes politiques sont à l’ordre du jour."
En tout cas, la lecture des réactions de Mistral dans l’almanach du Félibrige, me montrait comment, oubliant ses velléités fédéralistes, il condamna avec violence cette Commune "rouge" (Cf. sur ce site).

Cependant, bien plus que les ponctuelles Communes de Narbonne ou de Marseille, la puissante insurrection républicaine méridionale de 1851 fascinait alors les jeunes occitanistes que nous étions. Le site de l’Association 1851 montre, en ce qui me concerne, à quel travail de mémoire et de restitution publique cette fascination pour 1851 devait aboutir quelques années plus tard.
En décembre 1851 en effet, c’est un véritable front de classe (petits paysans, artisans, ouvriers de la petite industrie des localités rurales, enseignants, médecins et notaires de villages...) qui se leva pour la République démocratique et sociale, alors que Marseille hésita, mais ne bougea pas. Inversion des rôles : en 1871, c’est Marseille qui bougea, et pas vraiment son arrière-pays. En 1871, les travaux de l’historien varois Émilien Constant nous le confirmaient, les zones insurgées en 1851, et qui l’avaient durement payé, manifestèrent leur sympathie à la Commune, mais elles ne passèrent pas à l’acte. Distorsion avec "l’aventurisme" prolétarien marseillais ? Réalisme républicain dans une situation complexe où le danger d’un retour royaliste n’est pas exclu ? On consultera sur le site de l’Association 1851 l’article très éclairant d’Émilien Constant consacré à un des chefs de l’insurrection varoise de 1851, et de la prise en main républicaine du département en 1870-1871 : “De la Seconde à la Troisième République le parcours d’un Varois : Paul Cotte, rebelle et politique”.
L’ouvrage de Jeanne Gaillard répondait en grande partie à nos interrogations. Et jusqu’à ces dernières années je n’avais pas eu l’occasion d’y revenir.

Les années 2000 ont connu un renouveau d’intérêt pour la Commune de Marseille, et, en tant que lecteur passionné (passionné, mais seulement lecteur), j’ai pu confronter les problématiques initiales d’Antoine Olivesi et de Jean Dautry à une nouvelle production éditoriale.
D’abord l’ouvrage d’Antoine Olivesi a été réprinté (Marseille, Éditions Jeanne Laffitte 2001) et bien diffusé.
Puis Maître Roger Vignaud publia Gaston Crémieux - la Commune de Marseille, un rêve inachevé, Édisud, 2003, suivi de La Commune de Marseille, dictionnaire, Édisud, 2005. D’autres auteurs marseillais ont suivi.
En 2009, Jacques Girault proposait une nouvelle édition de son ouvrage paru aux Éditions sociales en 1971 : Bordeaux et la Commune (1870-1871), Contribution à l’étude du mouvement ouvrier et de l’idéologie républicaine en province au moment de la Commune de Paris, Périgueux, Éditeur Fanlac, 2009. Dans l’introduction, Jacques Rougerie, éminent historien de la Commune et pionnier de la recherche archivistique en la matière, invitait les historiens à se dégager de la vulgate et à mieux analyser, en ce qui concerne la maturation et le déroulement des Communes de province, les rapports entre le républicanisme radical et le mouvement ouvrier. Bien que la Commune de Marseille apparaisse à peine dans ce texte dense et interrogatif, je ne pouvais que l’intégrer à cette approche qui se voulait nouvelle.
Non sans une double frustration.
Car d’une part en effet, en ce qui concerne Marseille, ce rapport du républicanisme radical et du mouvement ouvrier me semblait avoir depuis longtemps été posé (et résolu), tant par les remarques de Dautry que par le très riche et pertinent petit (en pagination) ouvrage de Jeanne Gaillard. Un radicalisme plébéien en osmose provisoire avec le radicalisme politique d’une petite, voire d’une moyenne bourgeoisie, frustrée de sa part dans le boom économique de la cité... Le vieux clivage, et la vieille osmose, entre ceux qui voulaient la République démocratique, et ceux qui la voulaient aussi sociale...
Et d’autre part, parce que cette seule analyse, pour pertinente qu’elle soit, ne prenait pas en compte la spécificité d’une volonté marseillaise d’auto-gouvernement, inscrite sur le long terme de l’Histoire. Spécificité maintes fois soulignée dans les chroniques de Claude Barsotti, (qui pointa souvent aussi le rôle des bourgeoisies marseillaises dans les Communes de Marseille). Spécificité magistralement évoquée par les interventions d’Alessi Dell’Umbria, et notamment son Histoire universelle de Marseille, de l’an mil à l’an deux mille, Marseille, Agone, 2006.
Notons encore qu’en 2011, année anniversaire, dans son exposé introductif au Colloque de Narbonne (24-26 mars 2011 : "Regards sur la Commune de 1871 en France. Nouvelles approches et perspectives"), [consultable sur le net] Jacques Rougerie, distribuant éloges et réserves, et faisant le tri entre ouvrages de spécialistes et "honnête vulgarisation par des non-spécialistes" (!), signalait le vide d’ouvrages concernant la Commune de Marseille, hormis "Antoine Olivesi, La Commune de Marseille et ses origines, Marcel Rivière, 1950, 169 p. Heureusement réédité en 2001 aux éditions Jeanne Laffite, 170 p. À signaler cependant Roger Vignaud : Gaston Crémieux - la Commune de Marseille - un rêve inachevé." Voilà donc Antoine Olivesi remis en honneur par un historien par ailleurs très exigeant...
Bref, nous revenions au point de départ...

Mais que se passait-il à Marseille même en cette année anniversaire 2011 ?
A priori peu de choses au printemps, où, depuis Notre Dame de la Garde, les canons versaillais écrasèrent l’espérance... Mais cependant, en ce printemps, des signes avant-coureurs d’un intérêt renouvelé.
Par exemple la belle enquête menée sur Marseille Bondy Blog.
Par exemple, l’apparition d’une excellente page wikipedia, riche de liens :
Page
Puis survinrent en fin d’années deux initiatives publiques qui remportèrent un beau succès : le 30 novembre 2011, au palais du Pharo, un colloque organisé par les Amis de la Commune, FTP, PROMEMO : "Il y a cent quarante ans, une utopie assassinée : Gaston Crémieux et la Commune de Marseille" ; le 2 décembre, dans une salle bondée du palais de justice (la salle même où fut condamné Crémieux), la reconstitution du procès... et l’acquittement salué par une foule enthousiaste (que le journal La Provence présente comme une foule de "badauds" !).
Le propos n’était pas ce jour là de savoir si le mouvement de 1870-1871 était plutôt radical ou plutôt prolétarien. Le propos était encore moins de savoir si Crémieux, comme le lui reprochèrent nombre de ses compagnons, n’avait pas toujours eu la lucidité nécessaire en ces jours de tumultes. Le propos n’était pas de savoir si, mieux organisée, mieux dirigée, la Commune aurait pu triompher, ou si son échec était dès le départ inscrit dans l’Histoire. Le propos n’était pas, comme hélas nous en avons l’habitude, de célébrer une fois de plus une défaite... Les Marseillaises et Marseillais qui saluèrent l’acquittement au chant de l’Internationale témoignaient que le souvenir de cette Commune, trop souvent passée sous silence, était un stimulant précieux pour les luttes du présent.

Notes

[1Marx, reniant tout fédéralisme, avait fermement condamné la Commune marseillaise de 1871, voir sur ce site

[2Jean Luchaire (1901-1946), journaliste pacifiste passé à la collaboration, et fusillé pour ce fait en 1946

[3Cf. Jacques Bourgeat, P.-J.Proudhon, père du socialisme français, Paris, Denoël, 1943

[4Lors de la fondation de l’Association internationale des Travailleurs (AIT) ou Première Internationale, Henri Tolain et Édouard Fribourg sont les dirigeants de la Section française. L’un et l’autre condamneront la Commune

[5Il s’agit là d’un prolétariat spécifique, proche de la grande ville certes, mais enraciné dans un terroir rural. Ouvriers-paysans souvent, ils ont mené des luttes dures, où souvent le politique se mêle au social : ainsi en décembre 1851

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